Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 3 septembre 2022, le 20 septembre 2022 et le 5 octobre 2022, M. B A, représenté par Me Coutaz, demande au tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté du 6 juillet 2022 par lequel le préfet de l’Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
2°) d’enjoindre au préfet de l’Isère de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours et, dans l’attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler dans les deux jours suivant la notification du jugement, le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
* La décision portant refus de titre de séjour :
— est entachée d’incompétence ;
— méconnaît les dispositions de l’article L. 421-20 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
— méconnaît les dispositions de l’article L. 421-21 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
— méconnaît les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
— est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.
* La décision portant obligation de quitter le territoire français :
— méconnaît l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
— est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.
* La décision fixant le pays de renvoi :
— doit être annulée par voie de conséquence de l’annulation de la mesure d’éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2022, le préfet de l’Isère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
— le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
— le rapport de Mme d’Elbreil, conseillère,
— les observations de Me Coutaz, représentant M. A.
Considérant ce qui suit :
1. M. A, ressortissant chinois né en 1988, est entré régulièrement sur le territoire français le 4 avril 2015, muni d’un visa de long séjour portant la mention « étudiant ». Les 27 avril 2016 et 28 novembre 2017, il a obtenu des cartes de séjour en qualité d’étudiant. En dernier lieu, il a obtenu le 25 novembre 2019 la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « recherche d’emploi et création d’entreprise ». A l’expiration de ce titre, il a sollicité le 25 novembre 2020 une carte de séjour portant la mention « passeport talent » en se prévalant d’une œuvre artistique et culturelle. Par un arrêté du 6 juillet 2022, le préfet de l’Isère a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A demande au tribunal l’annulation de ces décisions.
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, l’arrêté attaqué a été signé par Mme Nathalie Cencic, secrétaire générale adjointe de la préfecture de l’Isère, pour la secrétaire générale absente. Elle disposait à cet effet d’une délégation de signature consentie par arrêté du 2 février 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité signataire de la décision portant refus de titre de séjour, qui manque en fait, doit être écarté.
3. En deuxième lieu, M. A ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l’article L. 421-21 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dès lors qu’il ressort de la fiche de renseignements produite en défense qu’il n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur ce fondement.
4. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 411-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « () / Une carte de séjour pluriannuelle a une durée de validité maximale de quatre ans. / () ». Aux termes de l’article L. 411-4 du même code : « La carte de séjour pluriannuelle a une durée de validité de quatre ans, sauf lorsqu’elle est délivrée : / () ». Aux termes de l’article L. 421-20 de ce code : « L’étranger qui exerce la profession d’artiste-interprète, définie à l’article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, ou qui est auteur d’une œuvre littéraire ou artistique mentionnée à l’article L. 112-2 du même code se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention »passeport talent« d’une durée maximale de quatre ans, sous réserve de justifier du seuil de rémunération fixé par décret en Conseil d’Etat. / () / Cette carte permet l’exercice de l’activité professionnelle ayant justifié la délivrance ». Selon l’article R. 421-13 de ce code : « La durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention »passeport-talent« prévue aux articles () L. 421-20 () est déterminée au regard des motifs du séjour et du projet de l’étranger, dans la limite d’une durée de quatre ans ». Enfin, selon le paragraphe 13 de l’annexe 10 à ce code, l’étranger exerçant une activité professionnelle artistique et sollicitant un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l’article L. 421-20 du même code doit apporter, en cas d’activité non salariée, des « justificatifs de ressources, issues principalement (au moins 51 %) de l’activité, pour la période envisagée, pour un montant au moins équivalent à 70 % du SMIC brut pour un emploi à temps plein par mois de séjour en France ».
5. Il résulte des dispositions précitées que l’étranger auteur d’une œuvre artistique qui sollicite la délivrance d’une carte pluriannuelle portant la mention « passeport talent » doit justifier, pour la période pour laquelle il demande un titre de séjour, de ressources issues principalement de son activité artistique ou littéraire, soit au moins 51 % de ces ressources, qui doivent elle-même représenter au moins 70 % du salaire minimum brut de croissance pour un emploi à temps plein par mois, à l’exclusion de l’allocation d’assurance des travailleurs involontairement privés d’emploi. Le préfet doit, d’une part, apprécier si les ressources dont l’étranger justifie pour la période pour laquelle il demande un titre de séjour sont principalement issues de son activité artistique ou littéraire et, d’autre part, pour déterminer si le demandeur dispose de moyens d’existence suffisants à hauteur du seuil de 70 % du salaire minimum de croissance pour un emploi, prendre en compte l’ensemble des ressources de l’intéressé, quelle que soit leur nature, à l’exclusion de l’allocation d’assurance des travailleurs involontairement privés d’emploi. En outre, en l’absence de précision par l’étranger de la période pour laquelle il sollicite la délivrance de ce titre, notamment au regard d’un projet artistique déterminé, sa demande doit être regardée, s’agissant d’une carte de séjour pluriannuelle, comme tendant à la délivrance d’un titre de séjour d’une durée de quatre ans.
6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A, qui est présent en France depuis plusieurs années, aurait sollicité la délivrance d’une carte pluriannuelle portant la mention « passeport talent » en indiquant une période de validité de cette carte compte tenu d’un projet artistique d’une durée prédéfinie. Dès lors, et eu égard à ce qui a été dit au point précédent, en application du paragraphe 13 de l’annexe 10 au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il lui revient d’établir qu’il respecte les conditions de ressources pour une période de séjour de quatre ans. Pour le SMIC brut de l’année 2020, année lors de laquelle l’intéressé a déposé sa demande de titre de séjour, ses ressources devaient a minima provenir de son activité artistique pour un montant de 6 595 euros par an, soit 51 % de 12 931 euros, représentant 70 % du SMIC brut annuel. Si M. A produit des factures pour la vente d’œuvres et pour des droits de présentation, adaptation et production d’œuvres ayant généré des revenus de 8 400 euros au cours de l’année précédant directement la décision attaquée, il n’aurait touché, selon ses propres allégations, que 1 950 euros de cette même activité pour la période de juillet 2020 à juillet 2021 et 5 280 euros pour la période de juillet 2019 à juillet 2020. Dès lors, il ne remplissait pas la condition de ressources pour ces deux dernières années. S’il se prévaut de la crise sanitaire du covid-19 pour justifier de la faiblesse de ses revenus au titre de l’année 2020, cet élément ne permet pas de justifier l’insuffisance antérieure de ses ressources. En outre, s’il produit de nombreuses attestations d’anciens professeurs qui témoignent de son sérieux et de son engagement artistique, ces éléments sont sans incidence sur le respect de la condition tenant à la suffisance de ses ressources. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale () / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
8. M. A fait valoir que sa vie artistique, qui constitue sa vie professionnelle, serait mise en danger en cas de retour dans son pays d’origine et produit de nombreuses attestations de ses professeurs qui témoignent de son investissement ainsi que de son potentiel en tant qu’artiste. Toutefois, ces éléments d’insertion professionnelle ne sont accompagnés d’aucun élément tenant à des liens personnels ou familiaux d’une intensité et d’une stabilité particulière qu’il aurait tissés en France. En outre, il ne soutient pas être dépourvu de liens dans son pays d’origine, alors qu’il est constant qu’il est arrivé en France à l’âge de 27 ans, de sorte qu’il s’est nécessairement créé des attaches en Chine. Dans ces circonstances, et compte tenu de la durée et des conditions de séjour de M. A en France, la décision portant refus de titre de séjour attaquée n’a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, M. A n’est pas fondé à soutenir que le préfet de l’Isère aurait méconnu les stipulations précitées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
9. En cinquième lieu, et compte tenu de l’ensemble des éléments précédemment énoncés, la seule insertion artistique de M. A ne permet pas de conclure à l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation du fait de l’absence de régularisation de sa situation.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et d’une erreur manifeste d’appréciation doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 8 et 9 du présent jugement.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
11. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que les conclusions aux fins d’annulation des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français doivent être rejetées. Par suite, M. A n’est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi devrait être annulée par voie de conséquence.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au préfet de l’Isère.
Délibéré après l’audience du 6 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. L’Hôte, président,
Mme Bardad, première conseillère,
Mme d’Elbreil, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2023.
La rapporteure,
M. D’ELBREIL
Le président,
V. L’HÔTELa greffière,
L. ROUYER
La République mande et ordonne au préfet de l’Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.