Décision de justice sur la Confidentialité

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Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2022

(n° 27, 19 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/05128 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDJ5L

Décision déférée à la Cour : Décision de l’Autorité de la concurrence n° 21-D-04 rendue le 24 février 2021

REQUÉRANTE :

CARTOCAD S.A.R.L.

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au RCS de LYON sous le n° 392 928 479

Dont le siège social est [Adresse 6]

[Localité 3]

Élisant domicile au cabinet de la SCP BAECHLIN

[Adresse 2]

[Localité 4]

Non comparante

Ayant pour avocat constitué Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Ayant pour avocat plaidant Me Eric-Louis LEVY, avocat au barreau de LYON

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Prise en la personne de sa présidente

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par M. [C] [K], dûment mandaté

LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE

TELEDOC 252 – DGCCRF

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représenté par M. [O] [V], dûment mandaté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre,

‘ Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocat général

ARRÊT :

‘ contradictoire

‘ prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

‘ signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la déclaration de recours à l’encontre de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 21-D-04 du 24 février 2021 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur de l’édition et de la vente de logiciels professionnels, déposée au greffe le 23 mars 2021 par la société Cartocad ;

Vu le mémoire déposé au greffe le 4 mai 2021 par la société Cartocad ;

Vu les observations déposées au greffe le 10 février 2022 par le ministre chargé de l’économie ;

Vu les observations déposées au greffe le 15 février 2022 par l’Autorité de la concurrence ;

Vu l’avis du ministère public en date du 9 septembre 2022, communiqué le même jour à la société Cartocad, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;

Par une lettre en date du 14 septembre 2022, transmise aux autres parties par courriel du même jour, Me Baechlin a transmis à la Cour la demande de la société Cartocad aux fins de renvoi de l’affaire « afin de pouvoir utilement répliquer aux écritures du ministère public » ;

À l’audience publique du 15 septembre 2022, à 9h, où ont comparu l’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public, la Cour a constaté que la société Cartocad, qui a disposé d’un délai s’achevant le 24 mai 2022 pour répliquer aux écritures du ministre chargé de l’économie et de l’Autorité, respectivement en date des 10 et 15 février 2022, n’a pas exercé cette faculté et que l’avis du ministère public ne comportait aucun élément nouveau par rapport aux écritures précitées, de sorte, qu’en cet état, la demande de renvoi n’était pas justifiée.

Les représentants de l’Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l’économie, ainsi que le ministère public, n’ont formulé aucune observation orale sur le fond du dossier et s’en sont rapportés à leurs observations écrites.

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

I. LE SECTEUR CONCERNÉ

§ 2

II. LES ENTREPRISES CONCERNÉES ET LEUR ENVIRONNEMENT CONTRACTUEL

§ 11

A. Le groupe Autodesk, la société Autodesk France et le réseau de distribution afférent

§ 11

B. la société Cartocad

§ 25

III. LA GENÈSE DE LA PLAINTE ET LES PROCÉDURES ANTÉRIEURES

§ 32

A. La saisine de la DIRECCTE

§ 32

B. La saisine du juge des référés du tribunal de commerce

§ 35

C. La fin des relations commerciales entre les parties

§ 37

D. La saisine du tribunal de commerce de Paris

§ 39

IV. LA PRÉSENTE PROCÉDURE

§ 40

MOTIVATION

§ 47

I. SUR LE CARACTÈRE SUFFISAMMENT PROBANT DES ÉLÉMENTS PRODUITS AU SOUTIEN DE LA SAISINE CONCERNANT L’ÉTAT DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

§ 47

II. SUR L’INSTRUCTION DE LA PLAINTE EN CE QU’ELLE DÉNONCE UNE PRATIQUE RESTRICTIVE DE CONCURRENCE TENANT AU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF IMPOSÉ AU PARTENAIRE

§ 100

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie d’un recours en réformation et/ou annulation formé contre la décision de l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») n° 21-D-04 du 24 février 2021 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur de l’édition et de la vente de logiciels professionnels (ci-après, la « décision attaquée ») qui, statuant sur la plainte de la société Cartocad, l’a rejetée pour défaut d’éléments suffisamment probants.

I. LE SECTEUR CONCERNÉ

2.Selon la présentation faite par la décision attaquée, non contestée sur ce point et à laquelle la Cour renvoie pour de plus amples détails, le secteur de l’édition logicielle comporte trois principales branches d’activité :

‘ l’édition de logiciels de technique informatique,

‘ l’édition de jeux électroniques et enfin

‘ l’édition de logiciels applicatifs.

3.La plus grande part des logiciels applicatifs, correspondant aux logiciels « Enterprise Application Software » dits « EAS », est destinée à un usage professionnel au sein des entreprises. Parmi ceux-ci figurent les logiciels de gestion du cycle de vie des produits ou « Product Lifecycle Management », dits « PLM », dont font partie les logiciels de conception assistées par ordinateur (ci-après les « CAO ») et les logiciels de fabrication assistées par ordinateur (ci-après les « FAO »), qui constituent ensemble les « CFAO ».

4.La CAO comprend l’ensemble des outils informatiques, logiciels et matériels, qui permettent de réaliser la modélisation d’un objet en vue de sa fabrication ou d’un projet en vue de sa réalisation.

5.Selon un rapport publié début 2020, présenté aux § 6 et suivants de la décision attaquée, les dix plus grands éditeurs de CAO se partageraient plus de 95 % du chiffre d’affaires mondial : Siemens (Allemagne, 31 %), Dassault Systèmes (France, 20 %), Autodesk (US, 18 %), Hexagon (Suède, 6 %), Bentley Systems (US, 5 %), Parametric Technology Corporation (US, 5 %), Nemetschek (Allemagne, 5 %), Aveva (UK, 4 %), Trimble (US, 2 %). Chacun d’entre eux opère dans un ou plusieurs domaines d’expertise qui peuvent se chevaucher en raison de l’adaptabilité des solutions informatiques et des nombreuses fonctionnalités des logiciels.

6.Selon ce même rapport, les segments les plus dynamiques du marché seraient les processus de fabrication, la production industrielle, les secteurs maritimes et de l’énergie, et, ensemble, l’architecture, l’ingénierie et la construction couramment désignés par le sigle « AEC » (Architecture, Engineering & Construction). Dans ce dernier domaine, les solutions informatiques de modélisation des informations du bâtiment ou « BIM » (Building Information Modeling) sont en plein essor. Elles permettent, selon cette étude, en sus des outils traditionnels de conception et de production d’un bâtiment, de collecter un ensemble d’informations relatives à son cycle de vie, de sa construction à sa destruction.

7.Les éditeurs commercialisent leurs produits de manière directe ou indirecte, via un réseau de distribution physique généralement composé d’entreprises de services informatiques, dont l’activité peut englober plusieurs métiers tels que le conseil, l’intégration de systèmes informatiques (mise en place d’une architecture informatique, vente de logiciels…), la conception et la réalisation de projets informatiques (comme un site web), la maintenance, l’assistance et la formation.

8.La commercialisation de logiciels s’effectue selon deux principaux modes :

‘ la vente d’une licence (perpétuelle ou à durée limitée), qui autorise l’utilisateur à installer le logiciel sur sa ou ses machines sans cession des droits d’auteur, et

‘ la vente d’une solution « Software as a Service » dite « SaaS » dans laquelle l’accès au logiciel, installé sur un serveur distant dont l’hébergement est géré par l’éditeur, est facturé à l’utilisateur qui paie à l’utilisation ou via un abonnement.

9.Dans les deux modes, des services connexes de support sont généralement proposés, comme les mises à jour, le paramétrage et la personnalisation des logiciels, la maintenance ou la formation professionnelle.

10.Selon une étude consacrée à « L’édition de logiciels » d’avril 2019, la part des ventes de logiciels (applicatifs et d’infrastructure) en mode SaaS représentait en moyenne, en 2016, 32 % du chiffre d’affaires des éditeurs (jusqu’à 50 % pour les acteurs les plus importants), la part des ventes de licences 32 % et la part de fournitures de services 36 %. Avec la généralisation de l’internet à haut débit et l’augmentation des capacités de traitement des serveurs, le mode de distribution SaaS a progressé fortement et, selon cette étude, est « devenu incontournable dans la stratégie des principaux éditeurs de logiciels » (cote 957).

II. LES ENTREPRISES CONCERNÉES ET LEUR ENVIRONNEMENT CONTRACTUEL

A. Le groupe Autodesk, la société Autodesk France et le réseau de distribution afférent

11.Fondée en 1982 aux États-Unis, la société Autodesk Inc. est une société d’édition de logiciels de création et de contenu numériques, traditionnellement connue comme éditrice du logiciel de CAO « AutoCAD ».

12.En 2019, le groupe Autodesk a réalisé un chiffre d’affaires global de plus de 2,5 milliards d’euros, réalisé à hauteur de 40 % dans la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique.

13.L’activité du groupe Autodesk repose sur l’édition et la commercialisation de quatre grandes familles de produits logiciels de CAO :

‘ les logiciels « historiques » et pluridisciplinaires (architecture, urbanisme, industrie, mécanique, électronique) AutoCAD et AutoCAD Light ;

‘ les logiciels et solutions d’Architecture, Engineering & Construction (AEC) ;

‘ les logiciels et solutions de Manufacturing ;

‘ les logiciels et solutions de Media & Entertainment.

14.La société Autodesk France a été implantée en France en 1989. Elle vend ses produits et services à la fois directement et indirectement :

‘ le canal direct comprend les ventes aux grands comptes, les transactions effectuées au sein du groupe et les ventes réalisées par la boutique en ligne de la société ;

‘ le canal indirect, constitué d’un réseau de 1500 distributeurs et revendeurs (2000 en 2016) représentait 79 % de son chiffre d’affaires global en 2016 (70 % en 2019).

15.Ce réseau comprend à la fois :

‘ une structure à niveau unique, dans laquelle Autodesk vend directement à des « revendeurs à valeur ajoutée » (ci-après « VAR ») ;

‘ et une structure à deux niveaux, dans laquelle des « distributeurs à valeur ajoutée » (VAD) ont un rôle de grossistes entre Autodesk et les revendeurs.

16.Les deux plus importants grossistes d’Autodesk sont Tech Data Corporation (et ses filiales) et Ingram Micro Inc.

17.Chaque VAR est identifié par trois éléments :

‘ un niveau, qui représente son investissement « en termes de compétences techniques et de capacité de vente ». En 2016, il existait quatre niveaux : Bronze, Silver, Gold et Platinum ;

‘ des spécialisations, qui déterminent les domaines dans lesquels le partenaire « connaît bien les produits et/ou le secteur et pour le[s]quel[s] il a démontré son expertise via les ventes, les certifications techniques et les références client ». En 2016, le programme comportait onze spécialisations ;

‘ des services à valeur ajoutée, qui « reflètent les compétences clés intersectorielles (…), notamment en développement et formation ».

18.L’accès d’un partenaire à chaque niveau et spécialisation impose le respect de conditions, relatives au personnel, à l’activité du partenaire et aux performances.

19.En contrepartie de ces obligations, le partenaire peut prétendre à un certain nombre d’avantages, également déclinés en fonction de son niveau et de ses spécialisations (remises, prospects, outils de marketing, formations’).

20.Un ensemble de documents est par ailleurs annexé au contrat VAR, parmi lesquels le « Guide du programme des avantages pour les partenaires Autodesk » qui décrit l’organisation et le fonctionnement du réseau.

21.S’agissant de la mise en ‘uvre du contrat VAR, Autodesk transmet chaque année à ses revendeurs les orientations stratégiques et commerciales à suivre, via un document intitulé « Framework ». Les exemplaires qui figurent au dossier comprennent une présentation générale des principales évolutions de l’organisation du réseau pour l’année fiscale à venir et une partie individualisée qui présente, pour le revendeur concerné, en fonction de son niveau dans le réseau et de ses spécialisations, ses objectifs commerciaux et sa grille de rémunération.

22.Ce groupe a fait le choix d’une transition du modèle économique traditionnel de ventes de licences vers un modèle SaaS. Les grilles de rémunérations des partenaires ont ainsi progressivement évolué dans le sens d’une majoration des remises consenties sur la vente d’abonnements en ligne et d’une diminution des remises consenties sur la vente de licences (et notamment perpétuelles dès le mois de mars 2015) ainsi que les produits associés à ces licences.

23.Au 1er février 2016, Autodesk a définitivement cessé de commercialiser les licences perpétuelles « autonomes », c’est-à-dire associées à un seul logiciel, l’accès à un logiciel seul n’étant plus possible que par un abonnement en ligne.

24.Les offres de licences perpétuelles pour les « suites » de logiciels (c’est-à-dire une offre groupée comprenant plusieurs licences de logiciels) ont été remplacées par des collections accessibles par abonnement.

B. la société Cartocad

25.C’est une entreprise indépendante de services en informatique exerçant son activité sur l’ensemble du territoire métropolitain.

26.Depuis sa création en 1993, elle fait partie du réseau de distribution du groupe Autodesk, liée à la société Autodesk France en qualité de revendeurs à valeur ajoutée VAR. À l’origine, le réseau était purement sélectif, avant de devenir multicanal, dans les années 2010.

27.Elle développe également des activités pour Hewlett Packard, depuis plus de dix ans, selon un statut attribué aux revendeurs des logiciels de dessin Autodesk qui en font la demande. Le matériel HP est ainsi vendu afin d’y installer, la plupart du temps, des logiciels Autodesk.

28.Elle est liée au groupe Autodesk par un contrat VAR.

29.S’agissant des droits attachés à ce contrat (contrat en cotes 41 à 59) :

‘ la société Cartocad ne disposait pas d’un droit exclusif de fournir les produits Autodesk et services associés sur son territoire géographique d’activité et Autodesk se réservait la possibilité d’intervenir directement sur ce territoire, auprès des clients finaux, ou par le biais d’un autre distributeur ;

‘ elle devait se conformer aux obligations prévues dans le Guide du programme pour obtenir un niveau ou des spécialisations particulières et bénéficier en contrepartie des avantages correspondants ;

‘ elle pouvait commercialiser et distribuer des produits concurrents, sous réserve de maintenir une équipe commerciale et technique dédiée exclusivement aux activités de distribution des produits Autodesk, pour des raisons de confidentialité ;

‘ Autodesk se réservait la possibilité de modifier les règles d’octroi des concessions de licence, de commercialisation, et de distribution pour ses produits, ainsi que celles des services d’assistance. En particulier, Autodesk se réservait la faculté de retirer unilatéralement tout produit ou service du marché ou d’en modifier la distribution, moyennant un préavis de trente jours.

30.La société Cartocad a été certifiée par le groupe Autodesk dans deux spécialisations, l’une dite « mécanique » jusqu’au 1er août 2015, l’autre dite « bâtiment » jusqu’à échéance de son contrat de distribution, au 1er août 2020.

31.Cette société était, jusqu’au 1er février 2018, au niveau « silver », devenu ensuite le niveau « reseller ».

III. LA GENÈSE DE LA PLAINTE ET LES PROCÉDURES ANTÉRIEURES

A. La saisine de la DIRECCTE

32.S’estimant victime d’un changement brutal de ses conditions commerciales et financières à l’initiative d’Autodesk, la société Cartocad précise, dans son mémoire devant la Cour, avoir, dans un premier temps, déposé plainte le 15 janvier 2018 auprès de la Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation du Travail et de l’Emploi d’Ile de France (ci-après la « DIRECCTE ») à l’encontre de la société Autodesk, concernant le secteur des CFAO (pièce Cartocad n° 7) .

33.Le 4 avril 2019, la DIRECCTE a informé la société Cartocad de ce que les investigations menées par ses services ne con’rmaient pas les potentielles quali’cations soulevées, en particulier :

« S’agissant de l’abus de dépendance économique dénoncé (article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce), si le positionnement de la société AUTODESK est prééminent sur certains logiciels destinés à des segments de professionnels en particulier, cette domination historique est remise en cause par le fort développement des logiciels 3D. En conséquence, il n’est pas démontré que la stratégie commerciale mise en ‘uvre par AUTODESK vis-à-vis de CARTOCAD et le cas échéant vis-à-vis d’autres distributeurs, aurait un objet ou un effet anticoncurrentiel sensible sur le marché susceptible de recevoir la quali’cation d’abus de dépendance économique » (pièce Cartocad n° 10) ;

34.Elle a également attiré l’attention de la plaignante sur le fait que le comportement commercial de la société Autodesk pourrait relever de la qualification de rupture partielle des relations commerciales (article L.442-6, alinéas 4 et 5 du code de commerce) et pris acte de ce qu’un litige judiciaire était en cours, la société Cartocad et la société Assistance étude conseil (AEC), ainsi qu’un un autre revendeur Autodesk, ayant conjointement saisi en référé le président du tribunal de commerce de Paris par acte du 11 avril 2018.

B. La saisine du juge des référés du tribunal de commerce

35.À la suite de sa saisine et par une décision du 5 juin 2018, le juge de référés du tribunal de commerce de Paris a ordonné :

« la suspension des effets, la suspension des nouvelles conditions de distribution, relatives au plan ‘FRAMEWORK FY19″ et à la suppression du statut revendeur ‘silver’, à l’égard de la SARL Cartocad et de la SARL ASSISTANCE ETUDE CONSEIL (AEC), sous astreinte de 1500€ par jour de retard à compter du 8ème jour de la signification de [cette] ordonnance, et ce, jusqu’au 31/12/2018 » ;

« la remise en place du statut de revendeur agréé ‘silver’ à l’égard [de ces deux sociétés], sous astreinte de 1500€ par jour de retard, à compter du 8ème jour de la signification de [cette] ordonnance, et ce, jusqu’au 31/12/2018 ».

« la remise en place des conditions contractuelles du plan ‘FRAMEWORK FY18’ à l’égard [des mêmes sociétés], sous astreinte de 1500€ par jour de retard à compter du 8ème jour de la signification de cette ordonnance, et ce, jusqu’au 31/12/2018 ». (pièce Cartocad n° 11)

36.Reprochant à la société Autodesk France de n’avoir que partiellement exécuté cette ordonnance, les sociétés Cartocad et AEC ont saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris en décembre 2018 aux fins de liquidation de l’astreinte. Ce dernier, par un jugement du 26 décembre 2018, a accueilli partiellement leurs demandes (pièce Cartocad n°13). Les sociétés Cartocad et AEC en ont interjeté appel le 7 janvier 2019 (pièce Cartocad n°14).

C. La fin des relations commerciales entre les parties

37.Le dernier contrat entre les sociétés Cartocad et Autodesk France, signé le 25 février 2016, venait à son échéance le 31 janvier 2019. Autodesk France a notifié à la société Cartocad, par courrier recommandé du 25 janvier 2019, la fin des relations commerciales entre les deux sociétés, après expiration d’un préavis de 18 mois, soit à compter du 1er août 2020.

38.Il n’est pas contesté que les faits et pratiques dénoncés s’inscrivent globalement dans la durée du contrat VAR de 2016.

D. La saisine du tribunal de commerce de Paris

39.La société Cartocad précise également, dans son mémoire déposé devant la Cour, avoir saisi le tribunal de commerce par acte du 28 juillet 2020, afin de faire juger que :

‘ la société Autodesk France a manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat VAR rendant impossible son renouvellement fin janvier 2019 ;

‘ ces comportements déloyaux répétés et inadmissibles ont eu un impact d’autant plus violent en raison de la grande dépendance économique, imposée par la société Autodesk France à l’égard de la société Cartocad ;

‘ la situation de dépendance économique imposée par Autodesk France a provoqué un impact d’autant plus important qu’il s’agissait de comportements répétés de déloyauté contractuelle ;

‘ la clause 2.2. du contrat VAR, conclu sous pression entre les sociétés Autodesk France et Cartocad en février 2016, a créé un déséquilibre significatif dans les relations contractuelles entre les deux partenaires commerciaux ;

‘ la société Cartocad a subi un préjudice global chiffré à hauteur de 4 311 500 €.HT de ce fait et demande de condamner la société Autodesk France à l’indemniser.

IV. LA PRÉSENTE PROCÉDURE

40.C’est dans ce contexte que, le 4 septembre 2020, la société Cartocad a saisi l’Autorité, reprochant à « la société Autodesk » une politique commerciale mise en ‘uvre en violation des articles L.420-2 et L.442-1, I-2° du code de commerce.

41.Par la décision n° 21-D-04 du 24 février 2021, notifiée aux parties le 4 mars 2021, l’Autorité a rejeté la saisine de la société Cartocad pour défaut d’éléments probants, aux motifs, tout d’abord, que la démonstration de l’état de dépendance économique dans laquelle elle se trouverait ne serait pas faite, en l’absence d’éléments :

‘ démontrant  que, dans les gammes de logiciels de CAO disponibles dans le segment « bâtiment » et dans le segment « mécanique », ne se trouvent pas des produits de marque ou présentant des caractéristiques techniques telles qu’ils pourraient être considérés comme interchangeables avec les produits d’Autodesk (décision attaquée, § 57) alors qu’il existe un certain nombre de logiciels développés par d’autres éditeurs sur les marchés des PLM, en particulier à destination de l’industrie mécanique et dans le domaine de l’AEC, et distribués sur le territoire national, tant pour les logiciels de BIM que pour les logiciels axés sur le segment « mécanique » ;

‘ permettant d’apprécier les différences de notoriété des marques des logiciels présents sur ces segments et le caractère incontournable de la marque Autodesk pour les distributeurs de logiciels de PLM ;

‘ établissant en quoi la reconversion et réaffectation de personnels, notamment auprès des réseaux alternatifs de distribution de logiciels de PLM, aurait été impossible en raison de la relation contractuelle entre les parties ;

‘ établissant que la vente de produits concurrents ne pouvait constituer une alternative économiquement viable aux activités de distribution de la société Cartocad pour le compte d’Autodesk.

42.Relevant que l’état de dépendance économique mentionné au deuxième alinéa de l’article L.420-2 du code de commerce était une condition de l’application de cet article, l’Autorité en a déduit qu’il n’était pas nécessaire d’analyser le caractère abusif des comportements dénoncés.

43.Elle a retenu, qu’en tout état de cause, il n’était fourni aucun élément factuel permettant de démontrer une altération, même potentielle, de la concurrence, dans la mesure où la société Cartocad a indiqué poursuivre son activité auprès de ses clients par le biais du système de sous-distribution des produits Autodesk, pour lesquels elle s’approvisionne auprès d’un revendeur de statut Gold et ce malgré la fin de sa relation contractuelle avec Autodesk au 1er août 2020.

44.Par déclaration en date du 23 mars 2021, la société Cartocad a formé un recours en réformation et/ou annulation contre cette décision.

45.Aux termes du mémoire, comprenant l’exposé de ses moyens, elle demande à la Cour de :

‘ constater que sa saisine devant l’Autorité est étayée de suffisamment d’éléments probants ;

‘ annuler la décision attaquée ;

‘ renvoyer l’affaire à l’Autorité pour instruction complémentaire.

46.L’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public invitent la Cour à rejeter ce recours.

MOTIVATION

I. SUR LE CARACTÈRE SUFFISAMMENT PROBANT DES ÉLÉMENTS PRODUITS AU SOUTIEN DE LA SAISINE CONCERNANT L’ÉTAT DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

47.La société Cartocad fait valoir que les critères de la dépendance économique sont réunis.

48.Elle invoque, ainsi, en premier lieu, le fait que la vente de ses logiciels et services associés représentait plus de 90 % de son chiffre d’affaire annuel.

49.À cet égard, elle soutient que, bien que le contrat VAR signé en février 2016 ne mentionne pas d’exclusivité explicite, une situation d’exclusivité’ de fait résulte des difficultés d’approvisionnement, des traitements discriminatoires et notamment de l’instabilité des conditions de rémunération des revendeurs agréés « reseller » (anciennement silver).

50.Elle fait valoir, en deuxième lieu, que les produits et services d’Autodesk bénéficient d’une notoriété particulière en matière de logiciels CFAO et qu’il existe un monopole, voire quasi-monopole, détenu par ce groupe dans l’esprit de la plupart des professionnels concernés par les logiciels métiers. Elle renvoie à cet égard à plusieurs captures d’écran de sites ou forums évoquant cette « omniprésence des produits Autodesk », la situation « quasi-monopolistique » du marché dominé par le logiciel AutoCAD et les « alternatives aux logiciels de CAO et Architecture AutoCAD, Revit’ » qui sont commercialisés (notamment pièces Cartocad n° 66 et n° 64).

51.Elle se prévaut également de la décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-76 du 26 novembre 1996 relative à des pratiques mises en ‘uvre par la société Autodesk, pour lesquelles celle-ci a été condamnée pour avoir enfreint les dispositions des articles 85 paragraphe 1 du traité de Rome et 7 de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 du fait de certaines clauses insérées dans le contrat de distributeur agréé Autodesk (RAA) alors applicable (pièce Cartocad n° 60).

52.Elle précise également que les logiciels d’Autodesk sont commercialisés dans plus d’une centaine de pays dans le monde, comptent plus de douze millions d’utilisateurs et que le principal logiciel édité et commercialisé par la société Autodesk (le logiciel AutoCAD) est le plus répandu dans le monde, selon le magazine Forbes.

53.Elle déduit de ces éléments la notoriété mondiale de la marque Autodesk et soutient qu’en France, Autodesk bénéfice d’une position dominante sur le marché des logiciels concernant le domaine de la CFAO. Elle estime, contrairement à l’avis précité rendu par la DIRECCTE, que ce positionnement n’est pas remis en cause par le fort développement des logiciels 3D puisque l’interopérabilité et le caractère pluridisciplinaire des solutions Autodesk lui confèrent (avec le logiciel « Revit ») une place de leader mondial des solutions d’AEC.

54.Elle relève encore à cet égard que Autodesk constitue un réel « Goliath économique », dont la valeur du titre en bourse ne cesse d’augmenter, à l’instar du nombre de ses filiales et des nombreuses acquisitions de sociétés spécialisées qu’il a effectué (comme Plangrid, Innovyze et Spacemarker). Elle souligne qu’à l’occasion d’autres décisions, l’Autorité s’est contentée d’une notoriété « suffisante » pour ordonner des mesures conservatoires (renvoyant à la décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus, § 120).

55.Elle évoque, en troisième lieu, l’importance de la part de marché du fournisseur, rappelant que la société Autodesk se considère elle-même comme étant « l’éditeur leader du marché international de la CAO sur PC ». (pièce Cartocad n° 23). Elle renvoie également aux propres constats de la décision attaquée (§ 9) l’incluant dans les dix plus grands éditeurs de CAO. Elle précise, en outre, que les principaux concurrents de la société Autodesk ne fournissent pas exactement le même genre de services et que la clientèle d’Autodesk est substantiellement différente des autres, couvrant une clientèle professionnelle, avec des PME et des grandes sociétés internationales, aussi bien qu’une clientèle de particuliers.

56.Elle invoque, en quatrième lieu, l’absence de solution de remplacement et sa « difficile reconversion » en l’absence de solution alternative, situation qui la place en position de totale dépendance. Elle renvoie à cet égard à la place unique d’Autodesk auprès des entreprises sur le marché pertinent de la conception et de la vente de logiciels de conception 2D/3D, d’ingénierie. Elle en déduit qu’il est donc « difficile, voire impossible » pour elle de trouver une solution de remplacement pour l’activité de distribution sélective qu’elle exerce :

‘ d’une part, du fait de la place importante occupée par Autodesk  sur le marché pertinent, qui n’est détenue par aucune autre société concurrente, et ;

‘ d’autre part, du fait que les formats des fichiers des logiciels 3D paramétriques (mécanique et bâtiment) sont spécifiques et propres à chaque logiciel, rendant impossible l’exploitation de ces fichiers à l’aide d’un autre logiciel concurrent (notamment en ce qui concerne la nomenclature, les attributs, historique de la conception, etc’).

57.Elle ajoute qu’après 27 ans consacrés à la vente et distribution de logiciels Autodesk, il est impossible pour elle de remplacer cet éditeur par un autre, car cela entraînerait la perte de tous ses clients. Elle fait également valoir que, s’étant présentée pendant plus d’une vingtaine d’année comme concurrent féroce des autres éditeurs, il apparait délicat du jour au lendemain de collaborer avec cette même concurrence.

58.Elle met également en exergue les limites apportées à sa faculté de distribuer des produits concurrents par les articles 9.3 et 9.4 du contrat VAR, interprétant le premier comme impliquant que la société Autodesk soit consultée préalablement à toute éventuelle distribution des produits concurrents et le second comme lui imposant des mesures très contraignantes en mettant en place des équipes de travail distinctes pour les produits concurrents et pour les produits Autodesk. Elle soutient qu’elle ne disposait pas des moyens financiers suffisants pour supporter cette mesure et considère que le fait de conditionner la faculté de distribution des produits concurrents à l’obligation d’établir une équipe commerciale, technique et d’assistance distincte à celle déjà existante pour la distribution des produits Autodesk vide de sa substance la clause 9.3. du contrat. Elle déduit de l’ensemble de ces éléments qu’étant dans l’impossibilité de respecter les conditions contractuelles prévues à l’article 9.4. du contrat, elle ne disposait pas de la capacité réelle de nouer des relations contractuelles équivalentes avec une société concurrente d’Autodesk.

59.Elle ajoute que remplacer les logiciels Autodesk nécessite un lourd investissement financier en formation et en technique avec plusieurs éditeurs, l’exposant à l’ouverture d’une procédure collective compte tenu du monopole d’Autodesk.

60.En réponse à l’Autorité qui indique qu’elle aurait pu procéder à sa reconversion auprès de réseaux alternatifs de distribution de logiciels de PLM, elle fait valoir que le PLM complète l’agrément mécanique (MFG) qu’Autodesk lui a retiré le 31 juillet 2015 et qu’il nécessite l’embauche d’un commercial confirmé, ainsi que d’un ingénieur expérimenté en ce domaine, donc un investissement financier très lourd qu’elle ne peut supporter.

61.Elle demande en conséquence un renvoi de l’affaire devant les services d’instruction de l’Autorité, considérant que cette dernière aurait dû palier ses éventuelles carences en menant plus d’investigations et en usant davantage de son pouvoir d’instruction, comme elle l’a fait dans l’affaire opposant la société eBizcuss.com à Apple (décision n° 20-D-04 du 16 mars 2020) qui présente, à ses yeux, des similitudes avec la présente affaire.

62.Elle soutient, en dernier lieu, que l’Autorité doit intervenir lorsque l’équilibre de la concurrence est faussé et se doit de réprimer les pratiques anticoncurrentielles.

63.L’Autorité relève, préalablement, qu’il revient à l’entreprise plaignante d’apporter, à tout le moins, des indices suffisants de l’existence de pratiques anticoncurrentielles. Elle en déduit qu’elle n’était pas tenue de suppléer la carence de la société Cartocad dans l’administration de la preuve. Elle relève également, qu’en l’espèce, les services d’instruction ont examiné la saisine, envoyé deux questionnaires à la requérante et conduit d’autres mesures d’instruction (en l’occurrence, la consultation d’études de marché non fournie par cette dernière), à la suite de quoi l’Autorité a estimé que les éléments avancés dans cette saisine et dans les réponses aux questionnaires ne rendaient vraisemblable ni l’existence d’une situation de dépendance économique ni l’existence d’une altération, même potentielle, de la concurrence. Elle souligne que les allégations en cause tenaient directement à l’activité commerciale de la plaignante, de sorte qu’elle était en mesure de les étayer. Elle constate que les éléments invoqués dans le cadre du présent recours ne sont pas de nature à remettre en cause le raisonnement attaqué, faute d’expliquer en quoi la plaignante ne serait pas capable, financièrement ou matériellement, de fournir les éléments qui permettraient d’appuyer suffisamment ses allégations. Elle en déduit qu’il convient de rejeter l’argument de la société Cartocad tendant à être exonérée de la charge de la preuve des éléments venant à l’appui de sa saisine. Elle rappelle également que la décision attaquée n’a pas autorité de chose décidée et qu’elle n’est pas exclusive d’un possible examen ultérieur des mêmes pratiques dans le cadre d’un dossier plus étayé.

64.Sur le fond, elle rappelle que l’abus de dépendance économique suppose la réunion de trois conditions cumulatives (l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, une exploitation abusive de cette situation, et une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure de la concurrence) et qu’aucun élément suffisamment probant n’a été produit concernant la première et la troisième.

65.Sur la situation de dépendance économique, elle relève que pour apprécier l’existence d’un tel état, il ne suffit pas de tenir compte de la notoriété de la marque du fournisseur et qu’il convient également de tenir compte, notamment, de la diversité éventuelle de solutions alternatives.

66.Elle rappelle que, dans la décision attaquée, il a été identifié, en s’en tenant aux solutions payantes et éditées par des entreprises d’envergure internationale, des fournisseurs alternatifs (§ 58 et 59 de la décision attaquée). Elle souligne qu’il a également été relevé l’absence, dans la saisine, d’éléments permettant d’apprécier les différences de notoriété entre ces logiciels et les logiciels d’Autodesk et qu’aucune pièce ne permet d’apprécier le positionnement d’Autodesk sur les différents segments de marché pertinents. Elle relève qu’aucune des pièces versées aux débats ne modifie cette analyse et constate que la pièce n° 63 de la requérante montre, à l’inverse, qu’il existe des solutions alternatives au logiciel AutoCAD avec des « fonctionnalités similaires et le même genre d’infrastructure ».

67.Elle constate également, que n’est pas étayée l’allégation selon laquelle les formats des fichiers des logiciels 3D paramétriques sont spécifiques et propres à chaque logiciel, ce qui rendrait impossible l’exploitation de ces fichiers à l’aide d’un autre logiciel concurrent, et, qu’à l’inverse, il ressort de la lecture de la jurisprudence du Tribunal de l’Union (arrêt du 14 septembre 2017, affaire T-751/15, Contact Software GmbH c/ Commission Européenne) et de documents produits par la plaignante  (pièces n° 34, cotes 497 à 501 dans le dossier de l’Autorité, et 63 de la requérante) que des solutions informatiques étaient disponibles pour convertir des fichiers similaires. L’Autorité reproduit également dans ses observations une capture d’écran dont il ressort, selon elle , que la société Cartocad a commencé à distribuer, notamment, un logiciel dénommé ZWCAD et développé par ZWSOFT, présenté comme un logiciel « 100% DWG » « permettant de créer des dessins 2D et 3D (‘) utilisé par des ingénieurs, bureau d’étude, architectes etc… », qui assure une « compatibilité parfaite avec le format DWG ». Elle constate, qu’à supposer même établis d’éventuels problèmes de conversion de fichiers pour la seule catégorie des logiciels 3D paramétriques, la requérante ne fournit aucun élément permettant d’établir que cette circonstance aurait empêché la société Cartocad de commencer à distribuer d’autres logiciels pour la conception 2D ou la conception 3D non paramétrique.

68.S’agissant de l’empêchement de se diversifier résultant de la relation nouée avec Autodesk, elle fait valoir qu’il ne ressort pas de l’article 9.3 que le distributeur ait à consulter préalablement Autodesk avant de commercialiser un produit concurrent, ni qu’Autodesk aurait la possibilité d’empêcher une telle initiative, si bien que la saisine n’apporte aucun élément suffisamment probant établissant que la société Cartocad aurait été empêchée juridiquement de se tourner vers d’autres fournisseurs. Quant à l’article 9.4, elle précise que l’instruction a permis de clarifier que cette exigence impliquait une équipe devant être constituée, pour les distributeurs silver comme Cartocad, de deux personnes différentes par spécialisation, à savoir un commercial et un ingénieur technique, charge matérielle importante mais qui lui permettait de réaliser près de 90 % de son chiffre d’affaires. Elle en déduit que cette circonstance ne permet donc pas d’établir de façon suffisamment probante une impossibilité matérielle de distribuer d’autres logiciels équivalents avec d’autres employés. Elle ajoute qu’avant le 31 juillet 2015, la société Cartocad bénéficiait de la spécialisation « mécanique » et de la spécialisation « bâtiment », et disposait donc de deux équipes distinctes chargées de la distribution des produits Autodesk, de sorte que la perte, au 1er août 2015, de la spécialisation « mécanique » a libéré un commercial et un ingénieur technique, spécialisés en logiciels pour le segment « mécanique » sans pour autant qu’ils aient été réaffectés à la distribution d’autres logiciels spécialisés dans le même segment, notamment ceux identifiés au § 59 de la décision

69.Sur l’altération, même potentielle de la concurrence exigée par l’article L.420-2 du code de commerce, elle renvoie aux constats de la décision attaquée selon lesquels, malgré la fin de sa relation contractuelle avec Autodesk au 1er août 2020, la société Cartocad a poursuivi ses ventes de logiciels Autodesk auprès de ses clients par le biais du système de sous-distribution des produits Autodesk, qui lui permet de s’approvisionner auprès d’un revendeur de statut Gold, maintenant ainsi un degré de concurrence intra-marque au sein du réseau.

70.Le ministre chargé de l’économie partage l’ensemble de cette analyse et ajoute, qu’à la lumière de la jurisprudence rendue en la matière, l’Autorité dispose d’une marge de man’uvre pour apprécier la notion « d’éléments suffisamment probants », qui relève d’un choix d’opportunité s’agissant des dossiers pour lesquels l’instruction complètera ou non les données de la saisine. Il invite en conséquence la Cour à rejeter le moyen.

71.Le ministère public s’associe à ces analyses.

Sur ce, la Cour,

72.En application du deuxième alinéa de l’article L.462-8 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence peut rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants. Il ne lui appartient pas, en effet, de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve (Com., 19 janvier 2016, pourvoi n° 14-21.670, 14-21.671, Bull. 2016, IV, n° 8). Il est donc vain de reprocher à l’Autorité de ne pas avoir suffisamment usé de son pouvoir d’instruction. À cet égard, aucune comparaison ne peut être utilement faite avec d’autres plaintes pour reprocher à l’Autorité de ne pas avoir complété les données de la saisine, celle-ci appréciant librement la nécessité d’y procéder ou non, au regard des éléments propres à chaque affaire, du contexte de marché en cause et des priorités qu’elle s’est fixée pour mener à bien ses missions.

73.La plainte de la société Cartocad dénonce une pratique d’abus de dépendance économique, prohibée, aux termes de l’article L.420-2, alinéa 2 du code de commerce, « dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur [‘] ». L’abus de dépendance économique suppose donc la réunion de trois conditions cumulatives : l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation (réelle ou potentielle) du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.

74.Si au stade de la saisine il n’est pas exigé de l’entreprise plaignante d’établir ces trois éléments, il lui incombe néanmoins d’apporter des indices suffisants de l’existence de la pratique anticoncurrentielle alléguée.

75.Concernant, en premier lieu, la situation de dépendance économique, condition préalable et nécessaire à l’application du texte précité, celle-ci se définit comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise (Com., 12 février 2013, pourvoi n° 12-13.603, Bull. n° 23 ; Com., 3 mars 2004, pourvoi n° 02-14529, Bull. n° 44).

76.L’existence d’un état de dépendance économique s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents (Com., 12 octobre 1993 pourvois n° 91-16988 et 91-17090, Bull n° 337).

77.La possibilité de disposer d’une solution équivalente s’entend de la possibilité juridique mais aussi matérielle pour l’entreprise de développer des relations contractuelles avec d’autres partenaires (Com.,12 février 2013, précité). Il faut ainsi rechercher si l’entreprise dispose de la possibilité de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres donneurs d’ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007 pourvoi n° 06-14.981).

78.En l’espèce, s’agissant du premier élément d’appréciation tenant à la notoriété du groupe Autodesk et sa place sur le marché, il ressort des éléments de la procédure des indices suffisants d’une notoriété certaine et d’un positionnement parmi les leaders du marché. En effet, ce groupe, dès 1996, était présenté par l’Autorité comme un « groupe international possédant des réseaux de distributeurs dans l’ensemble des États membres de l’Union Européenne », commercialisant « le logiciel de dessin (CAD) le plus utilisé dans le monde » (pièce Cartocad n° 60, décision n° 96-D-76 du 26 novembre 1996 relative à des pratiques mises en ‘uvre par la société Autodesk S.A.). À cette occasion, il avait déjà été relevé « la situation occupée par la société Autodesk S.A. dans le secteur des logiciels de CFAO et notamment du fait que le logiciel Autocad, qui existe en version « école », fait l’objet d’une utilisation importante dans les établissements techniques et les Instituts universitaires de technologie ; qu’une telle promotion auprès d’étudiants utilisateurs de CFAO assure à la société Autodesk S.A. des débouchés futurs importants en créant une clientèle sinon captive du moins incitée à travailler sur les logiciels sur lesquels ils ont été formés » (même décision, page 12).

79.Les éléments versés à la procédure, plus contemporains, confirment la pérennité de cette notoriété, notamment  :

‘ la présentation actuelle d’Autodesk, sur son site, comme « Leader mondial en matière de logiciels de conception 3D » (pièce Cartocad n° 23) ;

‘ la mention d’Autodesk parmi les dix plus grands éditeurs de CAO se partageant 95 % du chiffre d’affaires mondial, Siemens ayant le pourcentage le plus élevé avec 31 %, contre 18% pour Autodesk, placé en 3ème position (décision attaquée,§ 9, se fondant sur un rapport publié début 2020) ;

‘ la position de ce groupe, non contestée, couvrant « de 50 % à 70 % du marché du bâtiment » (cote 667, citée § 56 de la décision attaquée) ;

‘ le classement, non contesté, du logiciel AutoCAD d’Autodesk par le magazine Forbes comme le logiciel de dessin assisté par ordinateur le plus répandu au monde (cote 18 de la procédure d’instruction, citée § 56) ;

‘ ou encore, les publications d’articles sur certains sites, tels que « BIM & BTP », faisant état du fait que « La situation actuelle où le format DWG, créé par Autodesk, est devenu un standard aussi banal lors d’échanges de fichiers de DAO que le PDF pour le partage de documents imprimables est certes malsaine car elle est basée sur un quasi-monopole d’AutoCAD, mais elle a le mérite de simplifier les échanges entre logiciels. » (pièce n° 61) ou du site « All3P », indiquant que « Auto CAD est à l’univers de la CAO ce que Photoshop est au domaine de l’édition d’images : un incontournable » (pièce Cartocad n° 63).

80.S’agissant du deuxième élément d’appréciation tenant à la part représentée par les produits d’Autodesk dans le chiffre d’affaires de la société Cartocad, il n’est pas contesté qu’elle est très significative, ayant été évaluée à plus de 90 % de son chiffre d’affaires.

81.La notion de dépendance étant une notion objective qui ne résulte pas des choix stratégiques de l’entreprise présentée comme étant en situation de dépendance, l’importance du chiffre d’affaires ne doit toutefois pas être la conséquence d’un choix délibéré du revendeur de concentrer ou recentrer son activité avec un seul partenaire (Com., 10 décembre 1996, pourvoi n° 94-16.192, Bull. n° 310),

82.En l’occurrence, il n’est pas établi de façon suffisamment probante une impossibilité juridique de distribuer d’autres logiciels concurrents. À cet égard, la Cour relève que par sa décision n° 96-D-76 du 26 novembre 1996, précitée, l’Autorité avait enjoint à la société Autodesk de modifier les clauses de son contrat de distributeur agréé Autodesk, en particulier, «  c)- en permettant à ses revendeurs agréés de commercialiser librement des logiciels concurrents dès lors qu’ils ont satisfait à des conditions objectives et précises concernant les moyens à mettre en ‘uvre pour la vente des logiciels Autocad » et qu’il ne ressort pas du libellé de l’article 9.3 du contrat en cause (pièce Cartocad n° 3) que la vente de produits concurrents serait soumise à l’avis préalable de la société Autodesk.

83.Cet article est en effet libellé en ces termes :

« Rien dans le présent Contrat n’interdira au VAR de s’impliquer dans le développement, la commercialisation, la vente ou la distribution de produits qui, de l’avis raisonnable d’AUTODESK, sont en concurrence avec ou ont des fonctions substantiellement identiques à celles des Produits (Les ‘Produits concurrents’) » (soulignement ajouté par la Cour).

84.L’article 9.3 ne constitue donc pas un obstacle juridique à la diversification de l’approvisionnement du distributeur.

85.L’article 9.4 du même contrat prévoit, pour sa part, que « Dans l’éventualité où le VAR commencerait à revendre ou distribuer un ou plusieurs Produits concurrents, le VAR prendra immédiatement les mesures suivantes pour veiller à ce que les informations confidentielles ne soient pas utilisées abusivement ou détournées dans le but de promouvoir, commercialiser ou avantager les Produits concurrents : (1) le VAR établira et maintiendra en permanence une équipe commerciale et technique distincte dédiée exclusivement à la promotion et la commercialisation des Produits, ainsi qu’à l’assistance liée à ceux-ci. Les noms des membres de l’équipe doivent être indiqués à Autodesk. Chacun d’entre eux devra signer un accord de confidentialité équivalentes à celles auxquelles le VAR est soumis en vertu des présentes ; (2) le VAR se conformera strictement aux obligations relatives aux informations confidentielles stipulées dans le présent Contrat pour veiller à ce que l’ensemble du personnel en charge de la promotion des Produits concurrents n’ait pas accès aux informations confidentielles pour quelques motifs que ce soit ».

86.Comme l’a indiqué la société Cartocad en réponse aux questionnaires des services d’instruction « pour le statut Silver, par spécialisation, il faut 2 personnes différentes : un commercial et un ingénieur technique », de sorte que cette charge est liée au choix qu’elle a fait de se spécialiser, plus qu’aux mesures prises pour préserver la confidentialité des informations communiquées lorsque le distributeur choisit de se diversifier.

87.Par suite, il n’est pas davantage établi, de façon suffisamment probante, une impossibilité juridique ou matérielle de distribuer d’autres logiciels, en recourant notamment, à cette fin à d’autres membres de son personnel, distincts de l’équipe dédiée aux produits Autodesk. La Cour relève à cet égard que les effectifs de la société Cartocad ont compté jusqu’à 12 salariés lorsqu’elle disposait de deux spécialisations (pièce Cartocad n° 70), réduit à 7 salariés à compter de la fin 2015, puis se stabilisant à 6 depuis la fin 2017, mais que depuis la perte de sa spécialisation « mécanique » à l’été 2015 la société Cartocad n’a pas pour autant affecté son personnel qualifié, désormais disponible, à la distribution de l’un des logiciels concurrents spécialisés sur ce segment.

88.Une entreprise ayant disposé de solutions de diversification qu’elle n’a pas souhaité poursuivre n’étant pas en situation de dépendance (Com., 6 juin 2001, pourvoi n° 99-20.831, Bull. n° 112), il est nécessaire de rechercher si l’entreprise dispose de la possibilité de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007 n° 06-14.981).

89.S’agissant du troisième élément d’appréciation tenant à l’absence de solutions alternatives, ni les analyses mentionnées dans la décision attaquée ni les éléments versés à la procédure ne fournissent d’indices suffisants en ce sens. En effet, d’une part, il existe un certain nombre de logiciels développés par d’autres éditeurs sur les marchés des PLM, en particulier à destination de l’industrie mécanique et dans le domaine de l’AEC, distribués sur le territoire national, d’autre part, il n’est produit aucun élément permettant d’apprécier les différences de notoriété des marques des logiciels présents sur les segments « mécanique » et « bâtiment » et de conclure au caractère incontournable de la marque Autodesk pour les distributeurs de logiciels de PLM.

90.Ainsi, sur la seule base des solutions payantes et éditées par des entreprises d’envergure internationale, six fournisseurs de solutions informatiques de modélisation des informations du bâtiment ont été identifiés aux côtés du logiciel Revit d’Autodesk, au § 58 la décision attaquée, et sept fournisseurs de solutions informatiques l’ont été sur le segment « mécanique », aux côtés des logiciels AutoCAD et Inventor d’Autodesk, au § 59 de cette même décision.

91.Les captures d’écran de publications et forums, versées aux débats par la société Cartocad, attestent également de l’existence d’alternatives.

92.La société Cartocad cite elle-même, dans ses écritures, le site Iplusconcept sur lequel il est certifié que ce site édite et commercialise « des alternatives aux logiciels de CAO et Architecture Autocad, Revit’ » et que « IntelliPlus propose les mêmes services que le grand leader ». (pièce Cartocad n° 66) .

93.La pièce Cartocad n° 63 portant sur « Les meilleures alternatives à AutoCAD », met certes en garde sur le fait que le marché de la CAO est envahi « d’imitations peu reluisantes d’AutoCAD », mais relève que « certains de ses concurrents offrent des fonctionnalités similaires et le même genre d’infrastructure ». Cet article présente ainsi « les meilleures alternatives » qui, pour plusieurs d’entre elles sont « entièrement compatible avec les modèles, blocs et feuilles créés dans AutoCAD ». Ces alternatives permettent une « transition avec AutoCAD [‘] très fluide, car le logiciel offre une interface assez proche. La similarité va plus loin, les deux logiciels partagent quasiment le même système de couches pour le dessin 2D, qui permet de contrôler facilement les versions et révisions des projets », mais également de « travailler nativement avec les blocs dynamiques d’AutoCAD » ou « fonctionne en natif avec les fichiers DWG », ce qui correspond au format natif des fichiers de dessins AutoCAD.

94.Le site internet de la société Cartocad, en février 2022, tel qu’il est reproduit en capture d’écran par l’Autorité dans ses observations, confirme d’ailleurs que cette dernière distribue, notamment, un logiciel dénommé ZWCAD et développé par ZWSOFT, présenté comme un logiciel « 100 % DWG ».

95.Il suit de là que les problèmes allégués de compatibilité (interopérabilité du format des fichiers de données issus des logiciels Autodesk) voire de difficultés de migration d’un logiciel vers un autre, ne sont pas davantage étayés par des éléments suffisamment probants.

96.En définitive, comme l’a justement retenu la décision attaquée, aucun élément de la procédure ne fournit d’indices suffisamment probants concernant le fait que la vente de produits concurrents ne pouvait constituer une alternative économiquement viable aux activités de distribution de la société Cartocad pour le compte d’Autodesk. Les pièces versées aux débats n’apportent à cet égard aucun éclairage nouveau permettant de modifier cette appréciation.

97.Enfin, la Cour, comme l’Autorité, constate qu’il n’est produit aucun indice concernant l’existence d’une altération, même potentielle, de la concurrence, née de l’abus dénoncé par la société Cartocad. En effet, cette dernière a indiqué qu’en dépit de la fin de sa relation contractuelle avec Autodesk au 1er août 2020, elle poursuivait son activité auprès de ses clients par le biais du système de sous-distribution des produits Autodesk, qui lui permet de s’approvisioner auprès d’un autre revendeur de statut Gold. Par ce système, la société Cartocad maintient ainsi un degré de concurrence intra-marque au sein du réseau de distribution, comme l’a justement constaté la décision attaquée.

98.En l’absence d’éléments suffisamment probants pour caractériser un état de dépendance économique, comme une altération, même potentielle, de la concurrence, c’est à juste titre que l’Autorité a retenu qu’il n’était pas nécessaire d’analyser le caractère abusif des comportements dénoncés et en conséquence, a rejeté la saisine en application du deuxième alinéa de l’article L.462-8 du code de commerce.

99.Le moyen est rejeté.

II. SUR L’INSTRUCTION DE LA PLAINTE EN CE QU’ELLE DÉNONCE UNE PRATIQUE RESTRICTIVE DE CONCURRENCE TENANT AU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF IMPOSÉ AU PARTENAIRE

100.La société Cartocad invoque un déséquilibre significatif (article L.442-1 du code de commerce) créé entre les parties, notamment du fait de l’accès progressif de la société Autodesk à sa clientèle sans contrepartie proportionnée. Elle reproche à l’Autorité de s’être abstenue de toute analyse quant au comportement fautif de la société Autodesk. Elle demande en conséquence à la Cour de renvoyer l’affaire à l’Autorité pour instruction complémentaire également sur ce point.

101.L’Autorité rappelle qu’en application du II de l’article L.462-5 du code de commerce, les entreprises peuvent saisir l’Autorité « pour toutes les pratiques mentionnées aux articles L.420-1 à L.420-2-2 et L.420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l’article L.410-3 du code de commerce ». Elle en déduit qu’elle n’est pas compétente, dans le cadre d’une saisine par une entreprise, pour se prononcer, en tant que tel, sur l’article L.442-1 du code de commerce.

102.Le ministre chargé de l’économie considère que la plaignante, qui invoque des pratiques commerciales restrictives en elles-mêmes constitutives d’un abus de dépendance économique, n’a pas fourni d’éléments suffisants pour caractériser une situation de dépendance économique et considère qu’en application de l’article L.442-4 du code de commerce le déséquilibre significatif imposé à un partenaire ne ressort pas de la compétence de l’Autorité.

103.Le ministère public partage cette analyse et considère la critique comme inopérante.

Sur ce, la Cour,

104.La Cour rappelle que l’article L.420-2, alinéa 2, du code de commerce n’énonce aucune liste exhaustive d’abus entrant dans le champ de l’abus de dépendance économique, mais en fournit en revanche quelques exemples. Il précise ainsi que « Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l’article L.442-6 ou en accords de gamme ».

105.Le I de l’article L.442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à 2019, prévoyait notamment qu’:

« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; »

106.Cette infraction est désormais codifiée à l’article L.442-1 du code de commerce depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.

107.Par suite, le champ d’application de l’article L.420-2 du code de commerce n’exclut pas les pratiques restrictives de l’article L.442-1 du même code, et plus précisément celle relative à un déséquilibre significatif, dès lors que la pratique litigieuse est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence.

108.En conséquence, si l’Autorité n’est pas compétente, dans le cadre d’une saisine par une entreprise, pour se prononcer, en tant que telle, sur la violation de l’article L.442-1 du code de commerce, rien ne lui interdit en revanche d’instruire une plainte dénonçant l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique, incluant divers abus dont la soumission d’un partenaire à un déséquilibre significatif, pour autant que cette plainte soit étayée d’éléments suffisamment probants de nature à corroborer, notamment, l’existence même d’une situation de dépendance économique et l’altération du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.

109.Ces éléments faisant défaut, en l’état, comme il a été démontré en partie I, la société Cartocad n’est pas fondée à demander à la Cour la réformation de la décision attaquée et le renvoi de l’affaire à l’instruction concernant l’abus en cause.

110.Le moyen est rejeté.

111.La société Cartocad succombant en son recours, il y a lieu de laisser à sa charge les dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

REJETTE le recours de la société Cartocad contre la décision n° 21-D-04 du 24 février 2021 ;

LAISSE les dépens de l’instance à la charge de la société Cartocad .

LA GREFFIÈRE,

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE,

Agnès MAITREPIERRE

 

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