AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/00078 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NKPR
Société L’ATELIER BOISSON
C/
[V]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de lyon
du 20 Février 2020
RG : 18/01269
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 26 AVRIL 2023
APPELANTE :
Société L’ATELIER BOISSON
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Karen MOURARET, avocat au barreau de LYON substituée par Me Victoire BERN, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[M] [V]
née le 17 Février 1990 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Yann BARRIER, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 14 Février 2023
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 29 septembre 2012, Mme [M] [V] a été embauchée en qualité de menuisier par la SARL L’Atelier Boisson, entreprise spécialisée dans la création et la fabrication de mobiliers.
La convention collective de fabrication et de l’ameublement est applicable aux relations contractuelles.
Le 6 octobre 2017, Mme [V] a adressé un courrier à l’employeur, sollicitant que lui soit appliqué le coefficient AP 42 de la convention collective, qu’il soit procédé à une régularisation de façon rétroactive depuis sa date d’embauche et demandant une rupture conventionnelle du contrat de travail, faute de quoi, elle saisirait le conseil de prud’hommes.
Le 11 octobre 2017, l’employeur a répondu à la salariée que les tâches qui lui étaient confiées ne relevaient pas de l’échelon AP42 ; que son salaire brut était supérieur aux minima conventionnels du niveau AP42 et qu’il n’accédait pas à sa demande de rupture conventionnelle.
Du 14 octobre 2017 au 4 janvier 2018, Mme [V] a été placée en arrêt maladie pour « dépression réactionnelle ».
Par lettre recommandée en date du 10 janvier 2018, Mme [V] a été convoquée par son employeur à un entretien en vue de son éventuel licenciement, fixé le 19 janvier 2018.
Par lettre recommandée en date du 24 janvier 2018, la SARL l’Atelier Boisson a notifié à Mme [V] son licenciement pour inaptitude et dispense de l’obligation de reclassement.
La lettre de licenciement est ainsi motivée « en votre dernier état, vous occupez la fonction de poste d’ouvrier qualifié de scierie (menuisier cariste). Vous avez été placée en arrêt de travail du 14 octobre 2017 au 4 janvier 2018. Dans le cadre de la préparation à votre reprise d’activité, vous avez été convoquée par le Dr [T], médecin du travail, le 11 décembre 2017. A l’issue de cette visite, le médecin du travail a indiqué « l’état de santé de la salariée n’est pas compatible ce jour avec une reprise de son poste. Elle relève de la médecine de soin et doit voir son médecin traitant. Elle sera à revoir en reprise du travail. ». Une étude de poste, au sein de la société a été effectuée par le médecin du travail le 19 décembre 2017. Le Dr [T] vous a ensuite reçue le 5 janvier 2018 pour une visite de reprise et vous a déclaré inapte à votre poste de travail. Le Dr [T] a dispensé l’Atelier Boisson de l’obligation de rechercher un reclassement. Nous vous notifions donc la rupture de votre contrat de travail [‘] »
Par requête en date du 23 avril 2018, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en lui demandant de dire son licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse, de constater que son employeur a commis des manquements lors de l’exécution du contrat de travail, et de condamner la société L’Atelier Boisson à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, pour absence d’information par écrit des éléments s’opposant à son reclassement, pour harcèlement, pour non-fourniture du travail convenu, pour non mise en place d’un plan de prévention des risques et pour exécution fautive du contrat de travail, d’indemnité de préavis et de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.
Le conseil de prud’hommes s’est déclaré en partage de voix le 14 mai 2019.
Par jugement en date du 20 février 2020, le juge départiteur, statuant seul, après avoir pris l’avis des conseillers présents a notamment :
– dit que le licenciement de Mme [M] [V] est sans cause réelle et sérieuse,
– condamné la SARL L’Atelier Boisson à payer à Mme [M] [V] les sommes suivantes :
15 848 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
3 962 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 396 euros au titre des congés payés afférents,
– condamné la SARL L’Atelier Boisson à remettre à Mme [V] des documents de rupture et des bulletins de salaire rectifiés conformes à la décision, dans les 15 jours de la notification du jugement et passé ce délai sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
– rejeté le surplus des demandes
– ordonné l’exécution provisoire
– condamné la SARL L’Atelier Boisson à payer à Mme [M] [V] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné la SARL L’Atelier Boisson aux dépens.
La SARL L’Atelier Boisson a interjeté appel de ce jugement, le 28 février 2020.
Par ordonnance du 10 décembre 2020, le conseiller de la mise en état :
– rejeté la demande de nullité de la déclaration d’appel,
– ordonné la radiation de l’affaire du rôle de la cour d’appel,
– condamné la société L’Atelier Boisson à payer à Mme [M] [V] la somme de 300 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné la société L’Atelier Boisson aux dépens de l’incident.
L’affaire a été réinscrite le 6 janvier 2021.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 9 janvier 2023, la SARL l’Atelier Boisson demande à la cour :
– la confirmation du jugement rendu, en ce qu’il a débouté Mme [V] de ses demandes relatives à :
la nullité du licenciement notifié,
des dommages et intérêts pour absence d’information par écrit des éléments s’opposant à son reclassement,
des rappels de salaires au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents,
des dommages et intérêts pour des faits de harcèlement,
des dommages et intérêts pour non-fourniture du travail convenu,
des dommages et intérêts pour non mise en place d’un plan de prévention des risques,
des dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
– la réformation du jugement rendu en ce qu’il :
a jugé le licenciement de Mme [V] sans cause réelle et sérieuse,
l’a condamnée à verser une indemnité de préavis et les congés payés afférents à Mme [V],
l’a condamnée à verser à Mme [V] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– la condamnation de Mme [V] :
à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel,
aux entiers dépens de l’instance,
Aux termes de ses conclusions notifiées le 5 janvier 2023, Mme [V] demande à la cour :
A titre principal,
– de confirmer les chefs de jugement ayant condamné la SARL L’Atelier Boisson à lui payer les sommes suivantes :
3 962 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 396 euros au titre des congés payés afférents,
– de réformer les chefs de jugement ayant :
dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
condamné la Société L’Atelier Boisson à verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau sur ces chefs de jugement,
– déclarer nul son licenciement,
– condamner la société L’Atelier Boisson à lui verser la somme de 35 648 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul,
A titre subsidiaire,
– de débouter la société L’Atelier Boisson de l’intégralité de ses demandes,
– de confirmer les chefs de jugement ayant dit que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse,
– le réformer sur le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués,
– condamner la SARL L’Atelier Boisson à lui payer à la somme de 35 648 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Dans tous les cas,
– de confirmer les chefs de jugement ayant :
ordonné la capitalisation des intérêts en vertu de l’article 1343-2 du code civil,
condamné la SARL L’Atelier Boisson à lui remettre des documents de rupture et des bulletins de salaire rectifiés conformes à la décision, dans les 15 jours de la notification du jugement et passé ce délai sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
condamné la SARL L’Atelier Boisson à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
condamné la SARL L’Atelier Boisson aux dépens,
– de réformer les chefs de jugement l’ayant déboutée de ses demandes au titre des manquements de l’employeur à ses obligations (absence d’information par écrit des éléments s’opposant à son reclassement, faits de harcèlement, non-fourniture du travail convenu, non mise en place d’un plan de prévention des risques, exécution fautive du contrat de travail)
Statuant à nouveau sur ces chefs de jugement,
– condamner la société L’Atelier Boisson à lui payer les sommes suivantes :
2 500 euros nets de dommages et intérêts pour absence d’information par écrit des éléments s’opposant à son reclassement,
15 000 euros nets de dommages et intérêts pour des faits de harcèlement,
5 000 euros nets de dommages et intérêts pour non-fourniture du travail convenu,
5 000 euros nets de dommages et intérêts pour non mise en place d’un plan de prévention des risques,
5 000 euros nets de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
*outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes en vertu de l’article 1231-7 du Code civil,
Y ajoutant,
– d’ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l’article 1343-2 du Code civil,
– de condamner la société L’Atelier Boisson à lui payer une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,
– de condamner la société L’Atelier Boisson aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.
SUR CE :
Sur l’exécution du contrat de travail :
Sur les faits de harcèlement :
Mme [V] soutient qu’elle a été victime de harcèlement moral et sexuel. Elle affirme :
qu’elle a subi une surcharge de travail ;
que des missions supplémentaires n’entrant pas dans ses fonctions contractuelles et correspondant aux tâches que les autres menuisiers ne voulaient pas faire lui étaient confiées et qu’elle a été écartée de ses fonctions de menuisier ;
que son travail était surveillé en permanence par son employeur via des caméras de vidéosurveillance clandestines ;
qu’elle devait faire face quotidiennement à des réflexions sexistes ou à des remarques à caractère sexuel.
Elle souligne qu’elle a été placée en arrêt de travail et sous antidépresseurs.
La SARL L’Atelier Boisson objecte que la preuve d’une surcharge de travail n’est pas rapportée et que les fonctions contractuellement définies n’étaient pas exhaustives comme les contrats et avenants signés le précisaient expressément ; que les salariés ont bien été informés de la présence de caméras de vidéoprotection, dont l’objectif n’est en aucun cas de surveiller l’activité des salariés mais de protéger les biens, que l’origine de l’inaptitude de Mme [V] est non professionnelle, comme l’a déclaré le médecin du travail.
***
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l’article L. 1153-1 alinéa 1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
1/ les fonctions
Mme [V] a été embauchée en qualité de menuisier junior par contrat à durée déterminée du 2 décembre 2011 puis par contrat à durée déterminée du 31 janvier 2012, en qualité de menuiser d’atelier. Suivant avenant au contrat de travail du 29 septembre 2011, la relation de travail s’est poursuivie, pour une durée indéterminée. Le contrat de travail initial décrit les fonctions, de manière non exhaustive « réception des marchandises, montage des mobiliers d’agencement, préparation et chargement du mobilier et des agencements ».
La société l’Atelier Boisson verse aux débats la lettre de mission pour l’année 2016 : il y est indiqué que Mme [V] devra se concentrer sur 4 missions : le « Montage mobilier », « organiser » (qui inclut réceptionner, commander et ranger la quincaillerie, décharger et réceptionner toutes les commandes) « sécurité et comportement », « développer l’esprit et travailler en équipe »
Mme [V] verse aux débats le compte rendu de réunion interne du 3 juillet 2017, au cours de laquelle, à sa question « pourquoi c’est toujours moi qui doit faire les petits travaux de l’Atelier ‘ », il a été répondu que c’est à elle d’assurer le rangement de la quincaillerie, le plaquage, les réceptions et qu’il est normal que des personnes plus expérimentées soient à la production ou au montage.
Mme [V] a également demandé pourquoi les tâches de ménage n’étaient pas réparties équitablement, précisant que « [R] [X] nettoie une zone trop petite par rapport aux autres ; il ne participe pas au ménage des zones communes : nettoyage des petites machines, quai, zone de stockage. ». Il se déduit de la question même de Mme [V] qu’elle n’est pas la seule à être chargée du ménage, contrairement à ce qu’elle soutient.
Elle verse aussi aux débats l’attestation de M. [E], lequel déclare avoir travaillé à l’Atelier Boisson et affirme que Mme [V] s’est vu attribuer, en plus de son activité de montage, d’autres tâches et qu’elle a été écartée de sa fonction de menuisier.
D’une part, M. [E] ne précise pas à quelle période il a travaillé à l’Atelier Boisson, d’autre part, le rapprochement entre les fiches de mission 2014 et 2016 ne permet pas de constater que Mme [V] aurait été écartée de ses fonctions de menuisier.
Mme [V] ne démontre ni que des missions non prévues au contrat lui ont été confiées, ni qu’elle a été écartée des fonctions de menuisier.
2/ la surcharge de travail
Mme [V] a demandé, lors de la réunion du 3 juillet 2017, pourquoi « [O] n’est pas venu l’aider ou n’a pas été réceptionné les colis, alors qu’il savait que j’étais en train de porter des charges très lourdes » à quoi il a été répondu que « la priorité de [O] est d’être au débit et qu’il ne peut être interrompu tout le temps. ».
Il ne saurait être déduit de cet échange que Mme [V] a subi une surcharge de travail. Le fait n’est pas établi.
3/ les caméras de vidéosurveillance clandestines
Il n’est pas contesté que l’atelier est équipé de caméra de vidéosurveillance.
Mme [V] verse aux débats :
deux clichés de l’atelier, datés du 21 mai 2015, à 13H43 et 13h44 ; sur l’un des clichés, l’on distingue deux personnes ;
le plan de l’atelier, sur lequel figure l’emplacement de six caméras, dont deux tournées vers l’extérieur et 4, à l’intérieur, tournées vers les accès à l’atelier.
La SARL l’Atelier Boisson verse aux débats 4 photographies du site (portes d’accès et intérieur) : un autocollant « site placé sous vidéo protection » a été apposé à l’entrée du site et à l’intérieur ; un mail du 24 juin 2016 de la société SCOTUM, qui a installé les caméras et qui informe son client qu’il n’a rien d’autre à faire que d’informer par des affichettes que le site est sous vidéo protection ; un extrait, non daté d’un devis « proposition commerciale 2015 », qui décrit la vidéo protection « notre protection est destinée à détecter tout accès sur la zone contrôlée par des personnes étrangères au site. Elle ne peut s’exécuter qu’en période d’inactivité, lorsque le site est complétement hermétique (portails fermés) ».
La présence de caméras clandestines, destinées à surveiller les salariés, pendant leur activité, n’est pas établie
Aucun des faits invoqués à l’appui du harcèlement moral n’est établi.
4/ les propos sexistes et à caractère sexuel
Mme [V] se borne à affirmer avoir fait l’objet de propos sexistes ou à caractère sexuel, sans même préciser lesquels. Elle ne verse aucun élément permettant de l’établir.
Le harcèlement sexuel n’est pas établi.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande en dommages-intérêts au titre du harcèlement moral et sexuel.
Sur l’absence de fourniture d’un travail convenu :
Mme [V] soutient qu’elle s’est vu imposer un ensemble de tâches ne correspondant pas à ses fonctions contractuelles et qu’elle réalisait les tâches que les autres menuisiers ne voulaient pas faire.
La SARL L’Atelier Boisson répond que les fonctions contractuellement définies n’étaient pas exhaustives, comme les contrats et avenants signés le précisaient expressément.
***
En vertu de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Ainsi qu’il a été dit plus haut, Mme [V] ne démontre pas s’être vu imposer des tâches ne relevant pas de ses fonctions contractuelles, qui n’étaient pas confiées à ses collègues ni s’être vu écartée de ses fonctions de menuisier.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes à ce titre.
Sur l’évaluation des risques par la SARL :
Mme [V] fait valoir que l’employeur ne justifie pas la mise en place d’un plan de prévention des risques, ce qui lui a été préjudiciable, et qu’il n’a pas mis en ‘uvre son obligation de prévention en matière de harcèlement moral.
La SARL L’Atelier Boisson réplique qu’elle a mis en place un plan de prévention des risques et que la salariée ne verse aucune pièce au soutien de sa demande, ni même aucune explication.
***
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’obligation générale de sécurité se traduit par un principe de prévention au titre duquel les équipements de travail doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs.
Respecte l’obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (actions de prévention, d’information, de formation…) et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
Selon l’article R4121-1 du code du travail « l’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques. »
L’employeur ne justifie pas avoir établi le document unique de prévention des risques.
Mme [V] ne justifie pas d’un préjudice consécutif à une absence de document unique de prévention des risques.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de de chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail :
Mme [V] fait valoir que la société a exécuté fautivement son contrat de travail en la surchargeant de travail, en lui imposant de travailler pour les autres sociétés du groupe alors qu’elle n’a aucun contrat de travail avec ces entreprises, en ayant mis en place un système de vidéosurveillance non déclarée à la CNIL et à la salariée, portant atteinte à sa vie privée.
En vertu de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Comme indiqué précédemment, Mme [V] n’établit pas la mise en place d’un système de vidéosurveillance portant atteinte à sa vie privée ni une surcharge de travail.
Elle n’établit pas non plus qu’elle aurait dû travailler pour d’autres sociétés comme la société VERT OLIVE ou la société BOISSON & PARTNERS.
Dès lors, elle n’établit pas une exécution fautive du contrat de travail.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes en dommages-intérêts à ce titre.
Sur le licenciement :
A titre liminaire, Mme [V] fait valoir qu’aux termes de ses conclusions communiquées le 26 juin 2020, la société L’Atelier Boisson a demandé à la cour « d’infirmer partiellement » le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon, sans aucune précision sur les chefs devant être infirmés ; que la mention de « constater » n’est pas une prétention au sens de l’article 954 du Code de procédure civile ; qu’en ne demandant pas la réformation du chef de jugement ayant dit que le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la société L’Atelier Boisson est réputée avoir irrémédiablement abandonné sa demande.
La SARL L’Atelier Boisson réplique qu’elle a respecté l’ensemble des prescriptions prévues par l’article 954 du Code de procédure civile
***
Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.
Aux termes de ses premières conclusions, la SARL l’Atelier Boisson demandait à la cour d’infirmer partiellement le jugement rendu et de débouter Mme [V] de ses demandes formulées au titre du préavis et de dommages-intérêts au titre d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.
La Cour est donc bien saisie de l’appel des chefs de jugement ayant alloué à Mme [V] des sommes au titre du préavis et de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
Sur la nullité ou l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude définitive :
La SARL L’Atelier Boisson soutient que la visite du 11 décembre 2017 ne saurait être qualifiée de visite de reprise et de premier examen médical au sens des articles R .4624-32, 4° et R. 4624-42, alinéa 7 du Code du travail ; que l’inaptitude a été constatée en une seule fois lors de la visite de reprise du 5 janvier 2018, conformément aux dispositions de l’article L.4624-4 du Code du travail ; qu’aucun délai de 15 jours n’avait à être respecté par le médecin du travail entre 2 examens.
Elle ajoute qu’elle n’avait pas à consulter les délégués du personnel et que leur absence n’a causé aucun préjudice à Mme [V].
Elle affirme que les sociétés L’Atelier Boisson, Vert Olive et Boisson Partners ne constituent pas un groupe au sens de l’article L.1226-2 du Code du travail visant les articles L.231-1, L.233-3 à L.233-16 du Code de commerce ; et qu’en tout état de cause, l’avis du médecin du travail stipule expressément que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. », en sorte qu’elle n’avait pas à appliquer les dispositions du premier alinéa de l’article L.1226-12 du Code du travail prévoyant l’information par l’employeur des motifs s’opposant au reclassement de la salariée, qu’elle pouvait immédiatement convoquer à un entretien préalable.
Elle fait remarquer que Mme [V] ne justifie d’aucun préjudice et qu’elle a retrouvé un emploi.
Elle estime que le barème prévu à l’article 1235-3 du Code du travail est compatible avec l’article 24 de la Charte sociale européenne et l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail.
Mme [V] répond que son licenciement est nul puisque son inaptitude a été causée par divers manquements graves de l’employeur, à savoir une surcharge travail et des faits de harcèlement.
A titre subsidiaire elle soutient que la SARL L’Atelier Boisson n’a pas respecté la réglementation sur la déclaration d’inaptitude définitive ; que la visite médicale du 11 décembre 2017 est une visite médicale de reprise, et que dès lors, la seconde visite médicale aurait dû intervenir au plus tard le 26 décembre 2017 ; que ce délai de 15 jours n’a pas été respecté car la seconde visite n’a eu lieu que le 5 janvier 2018.
Elle ajoute que son inaptitude a été provoquée par les fautes de l’employeur rendant le licenciement sans cause réelle et sérieuse puisqu’elle a subi une surcharge de travail de la part de son employeur ainsi que des faits de harcèlement.
Elle fait valoir que les délégués du personnel n’ont pas été consultés alors que, sur une période de 12 mois consécutifs, la société L’Atelier Boisson comptabilisait 12 salariés, de sorte qu’elle avait l’obligation d’organiser des élections pour mettre en place des délégués du personnel ;
Elle prétend que la société L’Atelier Boisson n’a pas effectué de recherche de reclassement dans le groupe et ne lui a pas transmis les motifs s’opposant à son impossibilité de reclassement avant d’engager la procédure de licenciement.
Enfin elle estime qu’il convient, à titre principal, d’écarter le plafond d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail en ce qu’il est inconventionnel, en qu’il ne permet pas de lui assurer une réparation adéquate, en ce que son état de santé n’est pas pris en compte par les barèmes, induisant une discrimination indirecte à son égard.
***
La salariée n’établissant pas le harcèlement moral, ni le manquement grave de l’employeur à ses obligations contractuelles, le jugement sera confirmé en ce qu’il rejeté la demande de Mme [V] en nullité du licenciement.
Selon l’article R4624-31 du code du travail, « le travailleur bénéficie d’un examen de reprise du travail par le médecin du travail :
[ ‘]
3° Après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail, de maladie ou d’accident non professionnel.
Dès que l’employeur a connaissance de la date de la fin de l’arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l’examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise. »
Selon l’article R 4624-32 du code du travail, « l’examen de reprise a pour objet :
1° De vérifier si le poste de travail que doit reprendre le travailleur ou le poste de reclassement auquel il doit être affecté est compatible avec son état de santé ;
2° D’examiner les propositions d’aménagement ou d’adaptation du poste repris par le travailleur ou de reclassement faites par l’employeur à la suite des préconisations émises le cas échéant par le médecin du travail lors de la visite de préreprise ;
3° De préconiser l’aménagement, l’adaptation du poste ou le reclassement du travailleur ;
4° D’émettre, le cas échéant, un avis d’inaptitude. »
Selon l’article R4624-34 du code du travail « Indépendamment des examens d’aptitude à l’embauche et périodiques ainsi que des visites d’information et de prévention, le travailleur bénéficie, à sa demande ou à celle de l’employeur, d’un examen par le médecin du travail.
Le travailleur peut solliciter notamment une visite médicale, lorsqu’il anticipe un risque d’inaptitude, dans l’objectif d’engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d’un accompagnement personnalisé.[‘] »
Selon l’article R4624-42 du code du travail, « le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :
1° S’il a réalisé au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;
2° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;
3° S’il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l’établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée ;
4° S’il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l’employeur.
Ces échanges avec l’employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser.
S’il estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n’excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l’avis médical d’inaptitude intervient au plus tard à cette date.
Le médecin du travail peut mentionner dans cet avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »
En l’espèce, Mme [V] a rencontré le médecin du travail le 11 décembre 2017. Le praticien a délivré une « attestation de suivi », sur laquelle elle a mentionné qu’il s’agissait d’une visite de reprise. Elle a néanmoins spécifié que « l’état de santé de la salariée n’est pas compatible ce jour avec une reprise de son poste, elle relève de la médecine de soins et doit revoir son médecin traitant, elle sera à revoir en reprise de travail. »
Mme [V] s’est vu prescrire 4 arrêts de travail à compter du 14 octobre 2017 ; le troisième, en date du 9 novembre 2017, de prolongation, jusqu’au 8 décembre 2017.
Le 1er décembre 2017, elle a avisé son employeur qu’elle avait pris rendez-vous « à la médecine du travail », pour le lundi 11 décembre 2017, soit le 1er jour ouvrable suivant l’échéance de son arrêt de travail, alors en cours.
L’employeur verse aux débats l’arrêt de travail, en date du 9 décembre 2017, de prolongation jusqu’au 4 janvier 2018, de sorte que, le 11 décembre 2017, lorsqu’elle a rencontré le médecin du travail, Mme [V] était en arrêt de travail.
La salariée n’a pas, dans son courrier du 1er décembre 2017, manifesté l’intention de reprendre le travail.
L’avis émis le 11 décembre n’a pas eu pour objet d’apprécier l’aptitude de la salariée à reprendre son poste ou la nécessité d’adaptation ou d’aménagement du poste. L’examen du 11 décembre 2017 ne peut donc être qualifié de visite de reprise au sens de l’article R 4624-32 du code du travail, nonobstant la mention portée sur ‘l’attestation de suivi’.
Dès lors la visite du 5 janvier 2018, à l’issue de laquelle le médecin du travail a déclaré la salariée inapte constitue la seule visite de reprise passée par la salariée. L’inaptitude a été déclarée en une seule visite, nonobstant les mentions portées par le médecin sur l’avis d’inaptitude.
Il résulte de l’article L1226-2 du code du travail que lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, et que cette proposition doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.
Selon l’article L1226-2-1 du code du travail, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Il s’ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel.
Dans l’avis du 5 janvier 2018, le médecin, qui avait procédé à l’étude de poste, des conditions de travail et échangé avec l’employeur le 19 décembre 2017, a mentionné que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
La SARL l’Atelier Boisson n’avait donc ni à rechercher un reclassement ni à consulter les délégués du personnel.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SARL l’Atelier Boisson au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande en dommages-intérêts pour absence d’information par écrit des éléments s’opposant à son reclassement.
Sur les autres demandes :
Mme [V], qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en première instance doit être rejetée.
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la SARL l’Atelier Boisson les sommes non comprises dans les dépens qu’elle a dû exposer.