26 avril 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 21/01106

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COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 26 Avril 2023

N° RG 21/01106 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FTE6

ADV

Arrêt rendu le vingt six Avril deux mille vingt trois

Sur APPEL d’une décision rendue le 13 avril 2021 par le Tribunal de commerce d’AURILLAC (RG n° 2017J32)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé

ENTRE :

La société PECHE CHASSE EVASION sous l’enseigne D.F.EVASION

SARL immatriculée au RCS d’Aurillac sous le n° 477 843 858 00010

[Adresse 6]

[Localité 3]

M. [G] [D] [H]

[Adresse 8]

[Localité 5]

M. [C] [Z]

[Adresse 7]

[Localité 4]

tous les 3 représentés par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Kominé BOCOUM, avocat au barreau d’AURILLAC (plaidant)

APPELANTS

ET :

M. [I] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Joëlle DEBORD CANONNE, avocat au barreau d’AURILLAC

(postulant) et la SELAS RUDELLE VIMINI, avocats au barreau d’AVEYRON (plaidant)

INTIMÉ

DEBATS : A l’audience publique du 01 Février 2023 Madame DUBLED-VACHERON a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 29 Mars 2023 puis prorogé au 26 Avril 2023.

ARRET :

Prononcé publiquement le 26 Avril 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

La SARL Chasse Pêche Evasion dont l’activité est la commercialisation d’articles de pêche, de chasse et de randonnée, a été créée le 8 juillet 2004 entre trois associés : M. [C] [Z], M. [G] [H] et M. [I] [E].

Seuls MM. [Z] et [H] avaient à l’origine la qualité de cogérants. Lors de l’assemblée générale du 22 décembre 2009, M. [E] a été nommé cogérant à compter du 1er janvier 2010.

Une cession de parts est intervenue le 15 juin 2015 à la suite de laquelle M. [H] est devenu associé majoritaire avec 50 parts contre 15 parts pour chacun des deux autres associés.

Le 29 avril 2017, une convocation à une assemblée générale extraordinaire pour le 20 mai 2017 a été adressée aux associés. L’ordre du jour portait notamment sur la ‘révocation de M. [I] [E] de son mandat de gérance’.

Le procès-verbal de l’assemblée générale, à laquelle n’a pas assisté M. [E], fait état de l’adoption à l’unanimité des 65 parts sociales présentes de la résolution relative à la révocation immédiate du mandat de gérance de M. [E].

Contestant les conditions de cette révocation, M. [E] a fait assigner par acte d’huissier du 1er août 2017 la SARL Pêche Chasse Evasion, M. [Z] et M. [H] devant le tribunal de commerce d’Aurillac.

Par jugement du 13 avril 2021, le tribunal de commerce d’Aurillac a :

-déclaré la demande de M. [E] recevable,

-constaté que la révocation de M. [E] de ses fonctions de gérant de la SARL Chasse Pêche Evasion adoptée lors de l’assemblée générale du 20 mai 2017 avait été prononcée sans justes motifs,

-condamné la SARL (‘) à verser à M. [E] la somme de 55.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et financier subi,

-condamné la SARL Chasse Pêche Evasion à verser à M. [E] la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi et la somme de 2.000 euros à titre de dommages intérêts au titre de la perte de temps,

-condamné la SARL Chasse Pêche Evasion au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

-débouté les parties de leurs autres demandes plus amples et contraires.

Le tribunal ne prenant en considération que les seuls motifs visés dans le procès-verbal de l’assemblée générale ayant adopté la résolution contestée, a considéré qu’il n’était pas démontré que M. [E] avait exclusivement en charge la gestion comptable de l’entreprise ainsi que toutes les obligations légales associées ; qu’il ait fait obstacle à la réalisation des tâches comptables qui lui étaient demandées ou qu’il se soit rendu coupable de rétention volontaire d’information ou de documents ou encore que M. [E] se soit vu reprocher ses absences, sa désorganisation ou ses erreurs dans le travail.

Par déclaration d’appel le 17 mai 2021, enregistrée le 18 mai 2021, la SARL Chasse Pêche Evasion a interjeté appel de cette décision.

Suivant conclusions N°5 déposées et notifiées par RPVA le 18 janvier 2023, la SARL Chasse Pêche Evasion, M. [D] [H] et M. [C] [Z], demandent à la cour :

-de dire la SARL Chasse Pêche Evasion recevable et fondée en son appel ;

-d’annuler le jugement du 13 avril 2021 en ses dispositions leur portant grief ;

-subsidiairement, de réformer le jugement du 13 avril 2021 en ses dispositions leur portant grief ;

-de débouter M. [E] de l’intégralité de ses prétentions, fins et conclusions irrecevables et en tous les cas mal fondées ;

-de condamner M. [E] à leur verser la somme de 4.500 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive de contestation de sa révocation à la fonction de gérant,

-de condamner M. [E] à leur verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

-de rejeter toutes prétentions et conclusions contraires.

Au soutien de leurs demandes, ils allèguent :

-que leur appel est recevable et fondé, en ce qu’il respecte les mentions et délai exigés par les articles 901 et 908 du code de procédure civile et comporte l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. Ils ajoutent que les notions ‘d’infirmation’ et de ‘réformation’ sont employées indifféremment par les cours d’appel et la Cour de cassation,

-que les juges ont dénaturé les écrits qui leur étaient soumis ce qui justifie l’annulation du jugement,

-que contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, les juges qui apprécient le caractère abusif de la révocation d’un dirigeant ne doivent pas se fonder sur les motifs invoqués au soutien de la rupture mais sur les circonstances dans lesquelles elle est intervenue. L’assemblée générale des associés a réglièrement décidé de la révocation de M. [E] dans des circonstances légitimes de rupture : ce dernier a créé un climat de défiance et de mésentente, source de divergences graves entre gérants et associés, de nature à compromettre le fonctionnement de la société, en commettant des fautes volontaires de gestion, des imprudences et des négligences.

Ils font essentiellement mention des motifs de révocation suivants :

-la notification, par courriels du 28 avril 2017, du refus de réaliser le bilan de la société et de convoquer l’assemblée générale, source de risque fiscal et de divergences graves entre associés alors qu’il était le seul détenteur des outils informatiques ;

-les retards systématiques et oublis pour rejoindre son poste dans les locaux de la société et un relâchement de son implication dans la gestion de la société ;

-un virement de 24.000 euros au profit de son propre compte personnel au titre de sa rémunération de gérant alors qu’aucune assemblée générale n’avait statué ni autorisé préalablement cette rémunération, qui constitue un détournement de fonds sociaux ;

-une fausse déclaration auprès du site ‘net-entreprise.fr’ pour le compte de la société alors qu’il était informé de sa révocation ;

-l’encaissement sur son compte personnel de fonds sociaux après sa déclaration auprès de ‘net-entreprise.fr’ sans information préalable ou postérieure des co-gérants.

Ils assurent que M. [E] était chargé de la comptabilité et seul détenteur des outils informatiques permettant la tenue des comptes ; qu’il était le seul affecté aux fonctions administratives, à la préparation et à la convocation des associés aux différentes assemblées générales, ainsi qu’au recouvrement des créances et aux déclarations fiscales.

Ils précisent que les retards de M. [E], son relâchement dans la gestion ont été source de divergences entre les associés et de perturbation dans le fonctionnement de la société.

Ils ajoutent que M. [E] n’apporte pas la preuve d’un préjudice valable et se contente de demander de manière forfaitaire des sommes démesurées : il n’a tenu que la comptabilité et ce sont MM. [H] et [Z] qui ont créé et développé la société grâce à leur disponibilité et leur investissement dans la société et la vente des armes, étant les seuls autorisés par la préfecture pour réaliser cette vente. Ils assurent que la révocation n’a présenté aucun caractère brutal et ne s’entoure pas de circonstances vexatoires qui pourraient justifier une indemnisation particulière.

Par conclusions N°5 déposées et notifiées par RPVA le 17 janvier 2023, M. [I] [E] demande à la cour :

A titre principal,

-de débouter la SARL Pêche Chasse Evasion, MM. [Z] et [H] de leurs demandes visant à obtenir l’annulation du jugement du 13 avril 2021,

-de juger que la demande d’infirmation du jugement n’a pas été formulée valablement,

-de débouter la SARL Pêche Chasse Evasion, MM. [Z] et [H] de leurs demandes visant à obtenir la réformation du jugement du 13 avril 2021 en ses dispositions leur portant grief,

-de confirmer le jugement rendu le 13 avril 2021 en toutes ses dispositions,

-de condamner in solidum la SARL Pêche Chasse Evasion, MM. [Z] et [H] à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour l’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel,

-de juger que la demande d’infirmation du jugement seulement dans les motifs de leurs secondes conclusions d’appel ne saisit pas valablement la cour,

-de juger en toute hypothèse que cette demande est irrecevable et à tout le moins tardive,

-de déclarer d’office irrecevables les conclusions et moyens pris par la SARL Pêche Chasse Evasion, MM. [Z] et [H] visant à répondre à l’appel incident en date du 6 octobre 2022 ainsi que les conclusions ultérieures,

-de déclarer d’office que la demande à titre subsidiaire d’infirmation du jugement en ses dispositions portant grief aux appelantes formées dans leurs conclusions récapitulatives n°2 signifiées le 6 octobre 2022 est irrecevable,

A titre subsidiaire,

-de confirmer le jugement rendu le 13 avril 2021 en ce qu’il a constaté sa révocation de ses fonctions de gérant de la SARL Pêche Chasse Evasion adoptée lors de l’assemblée générale du 20 mai 2017a été prononcée sans justes motifs,

-de juger que la révocation de sa fonction de gérant de la SARL Pêche Chasse Evasion a été prononcée sans justes motifs dans l’hypothèse où la cour annulerait le jugement de première instance et que la révocation est abusive et préjudiciable à ce dernier,

-d’infirmer le jugement du 13 avril 2021 en ce qu’il a refusé de reconnaître le caractère abusif de la révocation et l’a débouté de toute demande à ce titre, notamment la condamnation solidaire de la SARL Pêche Chasse Evasion et de MM. [Z] et [H] à réparer les préjudices matériels, moraux et financiers subis,

-d’infirmer le jugement du 13 avril 2021 en ce qu’il a condamné la SARL Pêche Chasse Evasion, MM. [Z] et [H] au versement de différentes sommes, en ce qu’elles sont insuffisantes,

-de statuer à nouveau en jugeant que la révocation adoptée lors de l’assemblée générale du 20 mai 2017 est abusive et constitue une faute personnelle de MM. [Z] et [H] fondant une demande de dommages-intérêts à leur encontre,

-de condamner la SARL Pêche Chasse Evasion, MM. [Z] et [H], ensemble et solidairement, à réparer les préjudices matériels et financiers subis, en les condamnant à lui verser la somme de 275.045 euros, la somme de 25.000 euros au titre du préjudice moral, la somme de 4.000 euros au titre du préjudice de perte de temps, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens pour la première instance,

-de déclarer que ces condamnations seront aussi prononcées si le jugement du 13 avril 2021était annulé.

A titre infiniment subsidiaire,

-de confirmer le jugement à lui verser la somme de 55.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et financier subi.

Au soutien de ses demandes, il allègue :

-que la dénaturation d’un écrit s’applique exclusivement en matière d’interprétation d’un contrat (Cass.1ère. Civ., 21 février 1995, n°92-13.859) et que le tribunal a par ailleurs répondu à chaque moyen soulevé par les appelants.

-que les appelants n’ont pas valablement formulé leurs demandes, conformément aux dispositions des articles 908, 562 et 954 du code de procédure civile, puisqu’ils sollicitent non l’infirmation mais la réformation du jugement dans le dispositif de leurs écritures et qu’ils ne récapitulent pas expressément les chefs de jugement critiqués ;

-que celui qui triomphe, même partiellement, dans ses prétentions en première instance ne peut pas être condamné pour avoir abusé de son droit d’ester en justice. De plus, et en vertu de l’article 564 du code de procédure civile, la SARL Pêche Chasse Evasion n’avait formé aucune demande à ce titre en première instance.

S’agissant de sa révocation, il fait valoir :

-que les statuts, ne précisent pas quels étaient les pouvoirs des cogérants, ni leurs tâches et l’article L. 221-4 du code de commerce prévoit que ‘chacun des gérants détient séparément le pouvoir de faire tous les actes de gestion dans l’intérêt de la société’. En ce sens, le dépôt des documents fiscaux afin d’établir le bilan aurait pu être réalisé par le plus diligent des cogérants : il n’y avait donc aucun risque fiscal, ni aucune rétention d’information ou chantage au calendrier. Tous les gérants pouvaient avoir accès à l’ordinateur,

-que ses retards et absences sont insuffisamment constitués .En outre, n’étant pas salarié mais associé, ils ne peuvent lui être reprochés au titre d’une faute.

-que le détournement de fonds qui lui est reproché est en réalité un simple virement, convenu par écrit, portant sur sa rémunération au titre de l’année 2016, avec l’accord de M. [H]. Les appelants n’ont par ailleurs invoqué ce grief ni dans le procès-verbal ni dans le rapport de gérance.

-que son rôle au sein de la société n’était pas réduit à celui d’expert-comptable puisqu’il donnait également du temps pour la vente et le développement de cette société, il avait une grande connaissance de la chasse et des armes, disposant lui-même d’un permis de chasse et de port d’arme, lui permettant de vendre et de conseiller des clients,

-que la révocation a un caractère abusif et lui porte préjudice puisqu’il s’est retrouvé sans revenu ni activité ; son préjudice moral est caractérisé par un état dépressif dû à l’absence de raison de sa révocation et il subit un préjudice de perte de temps, lié aux diligences accomplies depuis plusieurs années,

-que le comportement de M. [H] qui s’était octroyé une rémunération abusive et totalement injustifiée et qui a commis des abus de biens sociaux, constitue une faute personnelle du dirigeant, engageant sa propre responsabilité.

Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé complet de leurs demandes et moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2023.

Motivation:

I-Sur l’irrecevabilité des demandes des intimés:

M. [E] soulève, au visa des dispositions de l’article 910 du code de procédure civile et en toute fin de ses conclusions, l’irrecevabilité ‘d’office en toute hypothèse’ des éventuelles demandes formulées par les parties adverses.

L’irrecevabilité des conclusions au visa de cet article relève de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état et ne peut donc être examinée par la cour.

M. [E] prétend que la demande à titre d’infirmation du jugement en ses dispositions portant grief aux appelantes dans leurs conclusions récapitulatives N°2 signifiées le 6 octobre 2022 est irrecevable.

Il sera répondu à ce moyen au paragraphe 3 de la présente décision.

II- Sur la demande d’annulation du jugement :

Les appelants prétendent que le tribunal a dénaturé les écrits qui lui étaient soumis en considérant à tort que la révocation de M.[E] était dépourvue de juste motif.

Le grief de dénaturation est retenu si le juge du fond a, pour se prononcer, fait d’un écrit une lecture contraire aux termes clairs et précis qu’il contient. Le contrôle de la Cour de cassation s’étend à la fois aux documents probatoires, aux actes contractuels, aux écritures des parties et aux décisions de justice.

Le fait pour une juridiction de juger que les pièces produites n’ont pas une force probante suffisante ou de ne pas tirer les conséquences légales de ses constatations ne constitue pas une dénaturation des écrits qui lui sont soumis.

Ce moyen sera donc écarté et la demande d’annulation du jugement rejetée.

III- Sur le défaut de saisine valable d’une demande d’infirmation et l’irrecevabilité d’une telle demande :

La déclaration d’appel indique que ‘le présent appel tend à obtenir la nullité, l’infirmation ou à tout le moins la réformation de la décision susvisée’.

En application de l’article 954 alinéa 3 la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens exposés au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les conclusions de la SARL Pêche Chasse Evasion, MM [Z] et [H] sont ainsi libellées:’Annuler le jugement rendu en date du 13 avril 2021 par le Tribunal de Commerce d’AURILLAC en ses dispositions portant grief à la Société PECHE CHASSE EVASION, à Monsieur [C] [Z] et Monsieur [G] [H]

Subsidiairement, réformer le jugement rendu en date du 13 avril 2021 par le Tribunal de Commerce d’AURILLAC en ses dispositions portant grief à la Société PECHE CHASSE’.

L’infirmation désigne la réformation ou l’annulation totale ou partielle par un juge d’appel de la décision dont il est saisi, tandis que la réformation est une espèce d’infimation grâce à laquelle le juge d’appel modifie la décision attaquée devant lui.

Dans un arrêt du 1er juillet 2021 ( Civ. 2e, 1er juill. 2021, F-B, n° 20-10.694), la Cour de cassation a rappelé que les conclusions des intimés ne comportant aucune prétention tendant à ‘l’infirmation ou à la réformation’ du jugement attaqué, ne constituaient pas un appel incident valable.

Cette motivation vient confirmer le fait que les deux termes peuvent être indifférement utilisés et que l’usage de l’un ou de l’autre ne peut permettre d’écarter ou de déclarer irrecevables les demandes et conclusions d’une partie.

M. [E] fait également grief aux conclusions adverses de ne pas récapituler les chefs de jugement critiqués et de ne pas formuler valablement de demande.

Suivant l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

En l’espèce, le dispositif du tribunal ne comporte qu’une seule décision : celle de faire droit à la demande indemnitaire de M. [E], la constatation d’une révocation pour juste motif n’étant que la cause de cette indemnisation.

En faisant état des ‘dispositions portant grief à la société Pêche Chasse Evasion’, les appelants désignent sans ambiguïté le chef du dispositif dont ils font appel, la seconde condamnation ne portant que sur les demandes accessoires présentées au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour se considère en conséquence valablement saisie des demandes de la société Pêche Chasse Evasion et de MM [Z] et [H].

IV- Sur la condamnation prononcée à l’encontre de la SARL Pêche Chasse Evasion

Suivant les statuts mis à jour au 15 juin 2015, la révocation du gérant est décidée par décision des associés prise dans les conditions de l’article L 223-29 du code de commerce aux termes duquel: ‘Dans les assemblées ou lors des consultations écrites, les décisions sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

Si cette majorité n’est pas obtenue et sauf stipulation contraire des statuts, les associés sont, selon les cas, convoqués ou consultés une seconde fois, et les décisions sont prises à la majorité des votes émis, quel que soit le nombre des votants.

Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé.’

Le juste motif de révocation peut résulter d’une faute du gérant, particulièrement lorsqu’elle se rattache à l’exercice de ses fonctions, ou à un manquement de ce dernier à ses obligations légales ou statutaires. L’existence d’un juste motif n’exige cependant pas qu’une faute ait été commise par le gérant. Ainsi, ce juste motif existe si le gérant s’oppose à la volonté des associés d’améliorer la gestion sociale ou de l’orienter dans un sens déterminé, ou encore si les divergences de vue entre associés et gérant sont de nature à compromettre le fonctionnement de la société.

La charge de la preuve de l’existence d’un juste motif pèse sur la société.

La révocation du gérant ne doit pas intervenir dans des conditions vexatoires et injurieuses. La société doit dans ces circonstances agir avec loyauté.

* Sur l’existence d’un juste motif :

Il résulte du rapport de gérance que la décision de révocation est motivée par :

-une rétention d’informations , une mauvaise volonté à faire les diligences légales permettant la réunion de l’assemblée générale ordinaire, dans le but de contraindre les autres associés à décider de lui octroyer une rémunération plus conséquente ;

-un chantage faisant courir le risque à la société de pénalités et amendes ;

-la décision de ne pas ‘déposer le bilan’ lui même comme cela était le cas par le passé par l’intermédiaire de son ex-employeur mais de faire appel à un expert comptable diplômé ;

-des absences régulières, des retard et une distraction à son poste de travail sources de désorganisation, d’erreurs et de perte de temps considérable ;

-un comportement volontaire allant à l’encontre de l’intérêt social et mettant en péril la continuité de l’exploitation sereine de la société par les autres co-gérants.

Les reproches formulés à l’encontre de M. [E] imposent de connaître quelles étaient ses obligations puisqu’il est affirmé qu’il était en charge de toutes les obligations comptables et légales de la société.

Les statuts sont muets sur la répartition des charges entre cogérants étant rappelé que chaque associé a la qualité de cogérant.

Ainsi que l’a justement indiqué le tribunal, chaque gérant disposait donc en application des dispositions de l’article L221-4 du code de commerce de la faculté de faire tous actes de gestion dans l’intérêt de la société, sauf le droit pour chacun des cogérants de s’opposer à toute opération avant qu’elle soit conclue.

Les courriers permettent de constater que le gérant majoritaire, M. [H], agissait comme le véritable dirigeant de l’entreprise, en décidant notamment des salaires, des sommes à inscrire au bilan et en donnant des consignes à M. [E]. Il est ainsi produit un mail du 17 avril 2017 dans lequel M. [H] indique ‘Après mûre réflecion et bilan du travail fourni sur l’année 2016, voici les salaires globaux (NET NET) à indiquer au bilan. En net net sur 2016 donc:SD 28 000 soit 2500 €NET NET/mois( reste à payer 10 000 € donc, libérable immédiatement). LC 42 000 soit 3500 NET NET/mois(reste à payer 24 000€donc, libérable immédiatement). Le bénéfice à inscrire au bilan ne devra pas excéder 2000€. Le reste est à porter à mon compte.’ M. [H] avait donc également un regard sur la comptabilité.

Le fait que la signature et le nom de M.[E] apparaissent sur les pièces 30 à 38 indique que M. [E] s’occupait du recouvrement des factures, de la comptabilité et des convocations aux assemblées générales mais ne signifie pas qu’il était le seul à pouvoir le faire ou que sa volonté d’avoir recours à un expert-comptable diplômé était de nature à mettre en péril le bon fonctionnement de la société.

Par ailleurs, les appelants ne produisent pas de document, postérieur ou contemporain à la désignation de M. [E] en qualité de cogérant, permettant de démontrer que celui-ci a obtenu cette qualité en contrepartie de prestations comptables. L’arrêté préfectoral N° 2012-1147 versé aux débats par M. [E] confirme que celui-ci a obtenu, le 2 août 2012 et pour une durée de 10 ans, l’agrément lui permettant d’exercer la profession d’armurier. Il n’est donc pas justifié d’une répartition préciseet immuable des tâches au sein de la société et du fait que MM [Z] et [H] avaient de leur côté le monopole de la vente des armes.

Le mail par lequel M. [H] ordonne à M. [E] de préparer et expédier les convocations en vue de l’assemblée générale et répartit les tâches incombant à chacun ne suffit pas à démontrer que M. [E] avait la mainmise sur les outils comptables ou qu’il ait fait une rétention d’information pouvant être préjudiciable à la société. La réponse adressée le 28 avril 2017 est la suivante:’Je préfère transmettre ta demande à un expert comptable diplômé. Est-ce que tu as une préférence ».

Cette formulation ne traduit pas une volonté d’obstruction et ne caractérise pas le chantage dont font état les appelants. Une simple divergence de vue n’est pas de nature à légitimer une révocation.

Les cogérants ayant les mêmes pouvoirs, M. [Z] et M. [H] pouvaient, ainsi qu’ils l’ont d’ailleurs fait, s’adresser à un expert-comptable qualifié.

Ils n’ont d’ailleurs jamais interpellé M. [E] au cours de l’exercice 2016 ou à la clôture de cet exercice pour critiquer son inaction dans la tenue des comptes.

Au demeurant,M. [F], l’expert-comptable ayant accepté de prendre en charge le dossier, a ‘finalisé’ le bilan clos au 31 décembre 2016 et n’a donc pas trouvé une comptabilité en déshérence. Le refus de M. [E] n’a généré aucune sanction fiscale. La déclaration de TVA du mois de mars a bien été déposée le 18 avril 2017 et la société avait jusqu’au 31 juillet 2017 pour déposer les comptes annuels.

Enfin au regard de ce qui a été exposé, si la saisie comptable 2017 n’était pas à jour, aucun document ne permet de considérer que ce retard de saisie est exclusivement imputable à M. [E] et qu’il a pu compromettre la bonne administration de la société.

S’agissant des retards au travail reprochés à M. [E] il convient d’observer que pour démontrer que les retards récurrents et les absences de M. [E] ont créé une véritable mésentente entre associés et cogérants, les appelants ne produisent qu’une seule pièce ( pièce 26) : il s’agit de captures écran de messages adressés par M. [E] pour indiquer qu’il arrivera à 9 heures. Une seule véritable conversation témoigne d’une mésentente sur le jour de reprise au mois de janvier 2017. Cette pièce est manifestement insuffisante pour établir le désinvestissement de M. [E] dans la bonne marche de la société.

La pièce N°26 à laquelle se réfère les appelants est un échange de mail aux termes duquel M. [E] explique qu’il est présent 10 heures à 9 heures par jour dans l’entreprise suivant qu’il récupère ou non sa fille à l’école. M. [H] lui reproche de passer des appels téléphoniques personnels et un manque de productivité. Ces griefs ne sont toutefois pas étayés par d’autres éléments objectifs ou par des messages émanant du second associé, M. [Z].

Les erreurs, pertes de temps ou désorganisation invoquées dans le rapport de gérance sont évoquées de façon générale sans précision et ne sont pas établies par les éléments du dossier.

Les appelants se prévalent d’un climat de défiance et d’une forte mésentente. Pour constituer un juste motif de révocation cette mésentente doit être sérieuse , reposer sur des éléments objectifs et empêcher un bon fonctionnement de l’entreprise. En l’espèce, les appelants ne caractérisent pas l’importance de cette mésentente et les impacts éventuels de celle-ci sur le fonctionnement de l’entreprise.

Ils font enfin grief à M. [E] d’avoir détourné une somme de 24.000 euros. Par courrier du 13 mai 2017, M. [E] a été invité à rembourser cette somme. Ce point était donc en débat avant l’assemblée générale. Toutefois, il n’est pas mentionné dans le rapport de gérance sur lequel l’assemblée générale s’est fondée pour prononcer la révocation de M. [E]. Il n’a donc pas été retenu comme motif de révocation. C’est donc à juste titre que le tribunal n’a pas examiné ce grief.

Il convient par ailleurs de souligner que l’échange de mail du 18 avril 2017 démontre que M. [H] a indiqué à ses associés qu’il restait dû à M. [E] une somme de 24.000 euros sur une rémunération annuelle de 42.000 euros. Il a spécifié que cette somme restait à payer et était libérable immédiatement.

Les griefs relatifs à l’inscription sur le site net-entreprise et à l’encaissement de trop-perçus RSI sont formulés ‘pour la moralité des débats’. Ils ne peuvent venir à l’appui de l’examen d’un juste motif de révocation les faits reprochés étant postérieurs à la révocation de M. [E]. Il n’y a donc pas lieu de les examiner.

Au regard des motifs susvisés, la cour à l’instar du tribunal juge que la révocation de M. [E] était dépourvue de justes motifs.

M. [E] est donc bien fondé à solliciter des dommages et intérêts et la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre.

*Sur les circonstances de la révocation:

Indépendamment du motif de la révocation, les circonstances dans lesquelles un mandataire social est révoqué peuvent donner lieu à des dommages et intérêts, si elles ont été humiliantes et vexatoires. En outre, le dirigeant révoqué doit avoir été mis en mesure de présenter préalablement ses observations, imposant ainsi le respect du principe de la contradiction.

En l’espèce, et par des motifs que la cour adopte, le tribunal a justement considéré que M. [E] avait été convoqué dans des délais permettant au contradictoire de s’exercer . Aucune déloyauté dans le processus de révocation ne peut être relevé.

La décision du tribunal sera donc confirmée sur ce point.

*Sur le montant de la condamnation :

M. [E] sollicite la réparation d’un préjudice financier, d’un préjudice moral et d’un préjudice de perte de temps.

M. [E] dénonce une modification arbitraire du calcul des rémunérations respectives et un calcul de prime unilatérale de la part de M. [H] à compter de 2015 ayant permis à ce dernier de bénéficier d’une rémunération injustifiée.

Il convient cependant de rappeler que l’indemnisation du préjudice lié à une révocation sans juste motif ne peut permettre de sanctionner indirectement le comportement qualifié de fautif par l’intimé d’un cogérant ou de recalculer une rémunération qui a été approuvée en son temps au cours des assemblées générales.

Il est en revanche certain que la révocation de M.[E] l’a privé d’un emploi et donc de revenus. Suivant les avis d’imposition fournis : en 2014, M. [E] a perçu un revenu de 74 911 euros; en 2015 ce revenu était de 56 363 euros ; en 2016, ses revenus ont diminué pour atteindre la somme de 44 301 euros. Cette baisse de plus de 10k€ était toutefois contestée par M. [E] et a été source de discorde.

Le revenu moyen de M. [E] peut donc s’évaluer sur la base des revenus 2014 et 2015 soit à 65 637 euros.

Or en 2017, M. [E] n’a perçu que 10 830 euros. Il a retrouvé un emploi en septembre 2017 lui procurant un revenu mensuel brut de 2 500 euros.

Le tribunal de commerce a justement rappelé que l’indemnisation du préjudice subi ne pouvait se traduire par l’allocation d’une rente.

Ainsi la perte de revenu prise en compte sera celle lié à la perte d’emploi jusqu’au mois de septembre 2017. Ainsi ce préjudice sera évalué comme suit :

2017: 65 637 euros – 10 830 euros = 54 807 euros. Le jugement sera réformé sur ce point.

M. [E] démontre avoir été en arrêt de travail, après réception de la convocation à l’assemblée générale à l’occasion de laquelle sa révocation devait être évoquée. L’ordonnance et la prescription qu’elle contient témoigne de l’impact psychologique qu’à eu cette situation sur M. [E] qui,après avoir exprimé un désaccord sur ses revenus et proposé de désigner un expert comptable qualifié, a été écarté de la cogérance. L’indemnité allouée par le tribunal en réparation de ce préjudice, soit la somme de 5.000 euros apparaît satisfactoire au regard de la nature du préjudice et de la durée de l’arrêt de travail consécutif. Pour mémoire et à titre de comparaison, la somme réclamée par M. [E] avoisine celles habituellement allouées par les juridictions en cas de décès d’un enfant.

Le jugement sera confirmé sur ce point, ainsi que sur le préjudice de perte de temps, M. [E] ne justifiant pas de circonstances justifiant une indemnité plus élevée.

V -Sur la demande de condamnation pour procédure abusive :

M. [E] demande à la cour de déclarer cette demande irrecevable comme nouvelle. Cette demande n’apparaît effectivement pas dans le jugement de première instance. Elle sera déclarée irrecevable et n’est en tout état de cause pas fondée au regard de la présente décision.

VI-Sur les autres demandes :

La SARL Chasse Pêche Evasion, M. [H] et M. [Z] succombant en leurs demandes seront condamnés in solidum aux dépens d’appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [E] les frais exposés par lui pour sa défense.

M. [E] critique le jugement quant au montant des sommes allouées en première instance.

Au regard de la complexité du litige il sera alloué une somme de 6.500 euros au titre des frais de défense cumulés engagés en première instance et en appel.

Par ces motifs :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Reçoit les demandes présentées par la SARL Pêche Chasse Evasion, M. [H] et M. [Z] et se déclare valablement saisie des demandes présentées par ces derniers ;

Déboute la SARL Pêche Chasse Evasion, M. [Z] et M. [H] de leur demande d’annulation du jugement critiqué ;

Confirme le jugement critiqué sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués au titre du préjudice matériel et de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SARL Pêche Chasse Evasion à verser à M. [I] [E] la somme de 54 807 euros au titre de son préjudice matériel ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevable comme nouvelle la demande de condamnation pour procédure abusive présentée par la SARL Pêche Chasse Evasion, M. [H] et M.[Z] ;

Condamne in solidum la SARL Chasse Pêche Evasion, M. [H] et M. [Z] à verser à M. [I] [E] la somme de 6.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de défense engagés en première instance et en appel.

Condamne in solidum la SARL Chasse Pêche Evasion, M. [H] et M. [Z] aux dépens d’appel.

Le greffier, La présidente,

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