26 avril 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 22/02204

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COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 26 Avril 2023

N° RG 22/02204 – N° Portalis DBVU-V-B7G-F5II

VD

Arrêt rendu le vingt six Avril deux mille vingt trois

Sur APPEL d’une ORDONNANCE rendue le 29 Août 2022 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (21/02874)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Virginie DUFAYET, Conseiller

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. [T] [E] [S]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : la SCP JAFFEUX-LHERITIER, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/008754 du 18/11/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)

APPELANT

ET :

La société INTRUM DEBT FINANCE AG

SA immatriculée au RCS du canton de ZUG (SUISSE) sous le n° CHE-100.023.266.

Industriestrasse 13C

CH 6300 à ZUG (SUISSE)

Représentants : Me Laurie FURLANINI, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

(postulant) et la SELARL BLG AVOCATS, avocats au barreau de ROANNE(plaidant)

INTIMÉE

DEBATS : A l’audience publique du 22 Février 2023 Madame DUFAYET a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 26 Avril 2023.

ARRET :

Prononcé publiquement le 26 Avril 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

Par acte notarié en date du 27 juin 2007, la Caisse d’Epargne d’Auvergne et du Limousin a consenti à la SCI Solamad un prêt d’un montant de 135 080 euros. M. [T] [S] détenait 99 parts sur 100 au sein de cette SCI, M. [L] [S] en détenant 1.

La banque a prononcé la déchéance du terme du prêt le 23 février 2012.

Elle a ensuite cédé sa créance à la société Intrum Justicia DEBT Finance AG, devenue Intrum DEBT Finance AG.

Une procédure de saisie immobilière a été engagée par celle-ci et une vente amiable est intervenue pour un prix de 85 000 euros le 3 décembre 2015.

Le 14 avril 2016, la SA Intrum Justicia DEBT Finance AG a fait rédiger un projet de distribution des fonds consignés.

Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte au profit de la SCI Solamad par jugement du 9 mai 2016.

La SA Intrum Justicia DEBT Finance AG a déclaré sa créance à hauteur de 136 158,33 euros.

Le 24 février 2017, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand a notifié à ce créancier l’admission de sa créance à hauteur de 132 838,33 euros.

Le 11 mars 2019, le liquidateur judiciaire a adressé un certificat d’irrécouvrabilité à la SA Intrum DEBT Finance AG.

Le 26 septembre 2021, cette dernière a fait assigner M. [T] [S] et M. [L] [S] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.

Dans le cadre de cette procédure, le juge de la mise en état a été saisi d’un incident, M. [T] [S] soulevant la prescription de l’action en paiement dirigée à son encontre.

Par ordonnance du 29 août 2022, le juge de la mise en état a :

– déclaré les demandes formulées par la SA Intrum DEBT Finance AG recevables et débouté M. [T] [S] de sa fin de non-recevoir ;

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté les parties de leurs demandes sur ce fondement ;

– condamné M. [T] [S] aux dépens ;

– rejeté le surplus des demandes ;

– renvoyé le dossier à l’audience de la mise en état du 1er novembre 2022 en invitant M. [T] [S] à conclure au fond.

Le juge de la mise en état a retenu que :

– en vertu de l’article 1858 du code civil les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ;

– en vertu de l’article 1859 du même code, toutes les actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants cause se prescrivent par 5 ans à compter de la publication de la dissolution de la société ;

– il est constant que la poursuite préalable et vaine de la société ne constitue pas le point de départ de la prescription de l’action du créancier contre l’associé, qui est le même que celui de la prescription de l’action contre la société ;

– le point de départ du délai de prescription est fixé à la date de la dissolution de la société ;

– en l’espèce, elle n’est pas encore intervenue, donc l’action n’est pas prescrite.

Suivant déclaration électronique en date du 25 novembre 2022, M. [T] [S] a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 12 janvier 2023, l’appelant sollicite de la cour, au visa des articles 122 et 789 6ème alinéa du code de procédure civile, 2224 du code civil, 582 et suivants du code de procédure civile, 1343-5 du code civil, 1857 et suivants du code civil, de :

– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle :

– a déclaré les demandes formulées par la SA Intrum DEBT Finance AG recevables,

– l’a débouté de sa fin de non-recevoir,

– a dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté les parties de leurs demandes sur ce fondement,

– l’a condamné aux dépens,

– a rejeté le surplus des demandes,

– a renvoyé le dossier à l’audience de mise en état du 1er novembre 2022 en l’invitant à conclure au fond,

– l’a débouté de ses demandes visant à voir :

– dire et juger Intrum Justicia DEBT Finance AG prescrite en son action à son encontre,

– débouter Intrum Justicia DEBT Finance AG de toutes ses demandes, fins et conclusions irrecevables à son encontre,

– condamner Intrum Justicia DEBT Finance AG à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Intrum Justicia DEBT Finance AG aux entiers dépens d’instance,

– statuant de nouveau :

– dire et juger Intrum Justicia DEBT Finance AG irrecevable car prescrite en son action à son encontre,

– débouter Intrum Justicia DEBT Finance AG de toutes ses demandes, fins et conclusions irrecevables à son encontre,

– condamner Intrum Justicia DEBT Finance AG à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d’instance.

Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 6 janvier 2023, l’intimée demande à la cour de :

– à titre principal, vu les dispositions de l’article 795 du code de procédure civile, déclarer irrecevable l’appel interjeté le 25 novembre 2022,

– à titre subsidiaire, vu les dispositions des articles 1857 et 1859 du code civil,

– rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action engagée par la société Intrum DEBT Finance AG,

– confirmer l’ordonnance,

– débouter l’appelant de l’intégralité de ses demandes.

– en toute hypothèse, condamner l’appelant à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Il est renvoyé aux écritures respectives des parties pour l’exposé complet de leurs prétentions et moyens.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 16 février 2023.

Motivation de la décision

1/ Sur la recevabilité de l’appel

A l’appui de sa demande tendant à l’irrecevabilité de l’appel, l’intimée rappelle que l’ordonnance dont appel a été signifiée à l’appelant le 2 novembre 2022. Il disposait d’un délai de 15 jours pour faire appel expirant le 17 novembre 2022, de sorte que l’appel régularisé le 25 novembre 2022 est tardif.

En réponse, l’appelant rappelle qu’en vertu de l’article 43 du décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 lorsqu’un recours doit être intenté avant l’expiration d’un délai devant la cour d’appel, le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée ou déposée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter de la notification de la décision d’admission provisoire. Il rappelle avoir adressé sa demande au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration du délai d’appel qui n’avait d’ailleurs, au moment du dépôt de la demande le 19 octobre 2022, même pas commencé à courir. Le recours à quant à lui été introduit par déclaration d’appel du 25 novembre 2022, soit avant l’expiration du nouveau délai de 15 jours à compter de la notification de la décision d’admission du 18 novembre 2022.

Aux termes de l’article 528 du code de procédure civile, le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la signification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir en vertu de la loi dès la date du jugement.

Cependant, l’article 43 du décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 sur l’aide juridique dispose que ‘sans préjudice de l’application de l’article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée et du II de l’article 44 du présent décret, lorsqu’une action en justice ou un recours doit être intenté avant l’expiration d’un délai devant les juridictions de première instance ou d’appel, l’action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée ou déposée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

1° De la notification de la décision d’admission provisoire ;

2° De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;

3° De la date à laquelle le demandeur de l’aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d’admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l’article 69 et de l’article 70 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ;

4° Ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

(…)’.

En matière d’aide juridictionnelle, l’appel est soumis à un double délai : d’une part un délai pour déposer la demande d’aide juridictionnelle, d’autre part un délai pour former appel proprement dit.

En cas d’admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle, il résulte de ce texte que le recours est réputé avoir été intenté dans les délais si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et s’il est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter de la décision définitive d’admission ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

En l’espèce, la demande d’aide juridictionnelle a été adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration du délai d’appel qui n’avait d’ailleurs, au moment du dépôt de la demande le 19 octobre 2022, pas commencé à courir puisque l’ordonnance dont appel a été signifiée à M. [S] par exploit de commissaire de justice du 2 novembre 2022.

Le recours a quant à lui été introduit par déclaration d’appel du 25 novembre 2022, c’est-à-dire largement avant l’expiration du nouveau délai de 15 jours à compter de la notification de la décision d’admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle du 18 novembre 2022.

Il s’ensuit que l’appel de M. [S] est recevable.

2/ Sur la prescription

A l’appui de sa demande tendant à voir constater la prescription de l’action intentée par la société Intrum DEBT Finance AG, l’appelant soutient que la déclaration de créance entre les mains du liquidateur d’une SCI, par un créancier, démontre les vaines poursuites préalables exigées par l’article 1848, et fait courir le délai de prescription quinquennale prévu par l’article 1859 du code civil, sans que le créancier ne puisse invoquer l’impossibilité d’agir contre l’associé.

Il indique qu’en l’espèce, la SCI Solamad a été placée en liquidation judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand du 9 mai 2016, publié au BODACC le 26 mai suivant. Le créancier a déclaré sa créance le 7 juin 2016. Toute action contre lui est prescrite au plus tard depuis le 7 juin 2021.

L’assignation signifiée le 26 septembre 2021 est donc tardive.

Il ajoute que, si par impossible le point de départ n’était pas fixé à la date de la déclaration de créance, il serait démontré, par une application stricte de l’article 1848, que les vaines poursuites ont été exercées contre la personne morale dès 2015, date d’engagement de la procédure de saisie immobilière, et qu’elles se sont révélées vaines dès le 3 décembre 2015, soit une prescription acquise au 3 décembre 2020.

S’agissant du point de départ du délai de prescription, il estime que le premier juge a commis une erreur en considérant que le délai n’avait pas commencé à courir car la dissolution n’avait pas encore été publiée à la date à laquelle il statuait. Il prétend au contraire qu’il est constant que le point de départ du délai de l’article 1859 du code civil court à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, et non pas à compter de la publication du jugement de clôture. En outre, si la déclaration de créance interrompt le délai de prescription, elle ne le suspend pas, si bien que le délai quinquennal, interrompu le 7 juin 2016, était de toute façon expiré au 7 juin 2021, c’est-à-dire largement avant la délivrance de l’assignation.

De son côté, l’intimée rappelle qu’en application des dispositions de l’article 1858 du code civil, le créancier ne peut poursuivre les associés qu’à la condition d’avoir poursuivi vainement la société. La poursuite est qualifiée de vaine, dès lors qu’elle n’a pas permis de désintéresser le créancier. Ainsi, une procédure collective peut valablement révéler l’insuffisance de l’actif social. La déclaration régulière de la créance à la procédure de liquidation judiciaire dispense d’ailleurs d’établir que le patrimoine social est insuffisant.

Elle rappelle avoir déclaré sa créance au passif de la SCI le 7 juin 2016 et justifie par conséquent des vaines poursuites. Elle indique ensuite qu’aux termes des dispositions de l’article 1859 du code civil, toutes les actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants cause se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société. Elle soutient que c’est donc la date de publication de la dissolution de la société qui fait démarrer le délai de prescription applicable, et non pas la date de publication de la liquidation judiciaire. En matière de procédure collective, c’est le jugement de clôture pour insuffisance d’actif qui marque le début de ce délai.

Or, la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif n’est toujours pas intervenue.

L’article 1857 du code civil dispose :

‘A l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.

L’associé qui n’a apporté que son industrie est tenu comme celui dont la participation dans le capital social est la plus faible.’

L’article suivant prévoit que ‘les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale.’

Enfin, il résulte de l’article 1859 que ‘toutes les actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants cause se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société.’

Ainsi que l’a parfaitement énoncé le premier juge, il est constant que la poursuite préalable et vaine de la société ne constitue pas le point de départ de la prescription de l’action du créancier contre l’associé. Elle constitue un préalable indispensable, lequel est rempli en l’espèce puisque le créancier a bien poursuivi la SCI Solamad avant d’agir à l’encontre de ses associés.

Le point de départ du délai de prescription de l’action du créancier contre les associés est très clairement énoncé par l’article 1859 précité. Il en résulte que la publication du jugement de liquidation judiciaire de la société au BODACC constitue le point de départ de la prescription de l’action (Cass. com. 12 décembre 2006). Par jugement de liquidation judiciaire, il faut entendre le jugement qui emporte dissolution de la société, c’est-à-dire celui qui prononce la clôture de la procédure de liquidation judiciaire, et non le jugement prononçant l’ouverture de la procédure.

A ce jour, aucune publication d’une décision de clôture de la liquidation judiciaire et donc de dissolution de la SCI Solamad n’est intervenue, de sorte que l’action du créancier contre les associés n’est pas prescrite.

La décision sera confirmée.

3/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

M. [S], succombant en son appel, sera condamné aux dépens afférents.

La demande de l’intimée au titre des frais irrépétibles sera rejetée pour des raisons d’équité, l’appelant étant bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevable l’appel interjeté par M. [T] [S],

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Déboute la SA Intrum DEBT Finance AG de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [T] [S] aux dépens d’appel.

Le greffier, La présidente,

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