C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE – A –
Section 2
PRUD’HOMMES
Exp +GROSSES le 27 AVRIL 2023 à
la SCP LAVAL – FIRKOWSKI
Me Christian QUINET
LD
ARRÊT du : 27 AVRIL 2023
MINUTE N° : – 23
N° RG 21/01208 – N° Portalis DBVN-V-B7F-GLFD
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BLOIS en date du 23 Mars 2021 – Section : INDUSTRIE
APPELANTE :
S.A.S. SAINT MICHEL CONTRES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Thomas LESTAVEL de l’AARPI EUNOMIE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
ET
INTIMÉ :
Monsieur [K] [S]
né le 27 Octobre 1980 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Christian QUINET, avocat au barreau de BLOIS
Ordonnance de clôture : 26 janvier 2023
Audience publique du 16 Février 2023 tenue par Mme Laurence DUVALLET, Présidente de chambre, et ce, en l’absence d’opposition des parties, assistée lors des débats de Mme Karine DUPONT, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Mme Laurence DUVALLET, Présidente de chambre a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,
Puis le 27 Avril 2023, Madame Laurence Duvallet, présidente de Chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Karine DUPONT, Greffier a rendu l’arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat à durée indéterminée du 29 janvier 2001, M. [K] [S] a été engagé par la société Morina, en qualité de machiniste. Son contrat de travail a été transféré à la société Saint Michel Contres le 1er juillet 2018 et il a ensuite été promu en qualité de responsable d’équipe production.
La relation de travail est régie par la convention collective nationale des 5 branches industries alimentaires diverses du 21 mars 2012
Par lettre du 4 janvier 2019, M.[S] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 15 janvier 2019.
Dans l’attente de la décision à intervenir M. [S] a été maintenu dans son activité.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 janvier 2019, M. [S] a été licencié pour faute grave.
Par requête du 24 septembre 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Blois d’une demande tendant à contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes en conséquence.
Par jugement du 23 mars 2021, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé du litige, le conseil de prud’hommes de Blois a :
-Dit que le licenciement de M.[K] [S] est sans cause réelle et sérieuse
-Condamne la SAS Saint Michel Contres à payer à M.[K] [S] les sommes suivantes :
‘ 15 046,00 euros au titre des indemnités de licenciement,
‘ 5 816,00 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
‘ 581,60 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
-Débouté la SAS Saint Michel Contres de sa demande reconventionnelle.
-Condamné la SAS Saint Michel Contres aux entiers dépens.
Le 13 avril 2021, la SAS Saint Michel Contres a relevé appel de cette décision.
PRÉTENTION ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 9 juillet 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la SAS Saint Michel Contres demande à la cour de :
-Infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Blois du 23 mars 2021 en ce qu’il a :
Dit que le licenciement de M. [K] [S] est sans cause réelle et sérieuse.
Condamné la société SAS Saint Michel Contres à payer à M.[K] [S] les sommes suivantes :
‘ 15 046,00 euros au titre des indemnités de licenciement,
‘ 5 816,00 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
‘ 581,60 euros au titre des congés payés y afférents,
‘ 34 896,00 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Débouté la société SAS Saint Michel Contres de sa demande reconventionnelle.
Condamné la société SAS Saint Michel Contres aux entiers dépens.
En conséquence,
-Débouter M. [S] de l’intégralité de ses demandes.
-Condamner M. [S] à verser à la société Saint Michel Contres la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (1 000 euros au titre de la première instance et 2 000 euros au titre de la procédure d’appel), ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel
***
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 9 septembre 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles M. [K] [S] demande à la cour de :
-Dire la SAS Saint Michel Contres irrecevable en tout cas mal fondée en son appel,
-L’en débouter,
-Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
-Condamner la SAS Saint Michel Contres à verser à M. [S] la somme de 3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 26 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
– Sur le licenciement
Il résulte de l’article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L’article L.1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute existe, il profite au salarié.
La cause réelle est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être existante et imputable au salarié. La cause sérieuse est celle d’une gravité suffisante pour justifier la rupture des relations contractuelles.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. Il incombe à l’employeur de prouver la faute grave.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige invoque :
– la violation de l’interdiction d’introduire et d’utiliser un téléphone portable au sein de l’atelier de production,
– la violation de l’obligation de loyauté, en vaquant à ses occupations personnelles sur le lieu de travail,
– la violation du devoir d’exemplarité qui incombe à un ‘responsable d’équipe’, en adoptant un comportement contraire aux bonnes m’urs par la diffusion de vidéos pornographiques.
M. [S] fait valoir tout d’abord que la faute grave ne peut être retenue à son encontre, en raison du non-respect d’un délai restreint, son employeur l’ayant maintenu à son poste pendant près de trois semaines sans l’avoir mis à pied avant d’engager la procédure de licenciement. Il fait valoir ensuite que la preuve du comportement fautif n’est pas rapportée, la réalité de la cause du licenciement n’étant rapportée qu’au travers de l’attestation d’un collègue avec lequel il n’a pas de bonne relation et deux autres attestations de salariés se basant sur ce qui leur a été dit par leur collègue sans avoir été directement témoins des vidéos.
S’agissant du délai restreint, il ressort de la procédure que M. [S] a été convoqué en entretien préalable le 4 janvier 2019 alors que son employeur soutient avoir été informé le 14 décembre 2018 des faits commis le 17 novembre 2018, et ce en l’ayant maintenu à son poste dans l’attente de la décision. La SAS Saint Michel Contres soutient que ce délai est justifié par le fait qu’elle n’aurait eu connaissance des faits que le 14 décembre 2018 et par la nécessité du temps passé pour comprendre les faits litigieux.
Il est constant que M. [S] a été maintenu à son poste de responsable d’équipe production et ce jusqu’au jour de son licenciement, le 29 janvier 2019.
Même à considérer que la date de connaissance des faits par la SAS Saint Michel Contres serait celle du 14 décembre 2018, celle-ci ne justifie pas de la nécessité d’investigations justifiant un tel délai entre la connaissance des faits qui n’apparaissent pas d’une grande complexité et la convocation de M.[S] en entretien préalable. Il apparaît que la procédure de licenciement n’a pas été engagée dans un délai restreint, excluant que la faute reprochée puisse revêtir un caractère de gravité suffisant pour rendre la présence du salarié impossible au sein de l’entreprise. La qualification de faute grave ne pourrait être retenue ainsi que le soutient M. [S].
– sur la violation de l’interdiction d’introduire et d’utiliser un téléphone portable au sein de l’atelier de production
La SAS Saint Michel Contres soutient, qu’il a été rappelé au salarié, par le biais de formations qualité hygiène sécurité environnement en mars 2018 et 2019, l’interdiction formelle d’introduire dans l’atelier deproduction un téléphone portable personnel pour des raisons d’hygiène évidentes et que cette interdiction était rappelée par des affiches à l’entrée des lieux.
M. [S] oppose que la formation de mars 2018 ne portait pas sur l’objet de la présente discussion et a constitué en un simple QCM. Malgré la sommation de communiquer cette pièce en première instance, réitérée devant la cour, la SAS Saint Michel Contres ne verse pas aux débats les éléments de la formation de mars 2018. En ce qui concerne la formation de mars 2019, M. [S] ayant été licencié pour faute grave à effet immédiat le 29 janvier 2019, il est évident qu’il ne pouvait être présent au sein de la société pour assister à la formation.
La SAS Saint Michel Contres démontre que l’interdiction d’introduire un téléphone portable personnel dans cette zone était rappelée par le biais d’affichage à plusieurs endroits dans l’entreprise. M. [S] justifie toutefois, par la production d’attestations d’anciens salariés, qui emportent la conviction, et par le règlement intérieur de l’entreprise, qu’il était d’usage et toléré dans la société d’utiliser son portable personnel pour satisfaire des besoins impératifs de la vie quotidienne, et aussi à des fins professionnelles pour prendre des photos d’équipements, matériels et outillages en cas de dysfonctionnement.
Le grief ne sera pas retenu.
– sur la violation de l’obligation de loyauté en vaquant à ses occupations personnelles
La SAS Saint Michel Contres rapporte la preuve, par attestation, que la vidéo a été diffusé pendant le temps de travail ‘dans l’usine, ligne 2, palettisation’. M. [S] ne soutient plus que les faits ont eu lieu sur un temps de pause et ne conteste pas le fait d’avoir montré des vidéos à des collègues de travail.
Dès lors, M. [S] a vaqué à ses occupations personnelles sur son temps de travail.
Le grief est fondé.
– sur la violation du devoir d’exemplarité
La SAS Saint Michel Contres soutient qu’au vu des fonctions de responsable d’équipe production occupées par M. [S], il était tenu à un devoir d’exemplarité et qu’il lui revenait d’être irréprochable dans son comportement eu égard aux collaborateurs placés sous sa responsabilité directe. La SAS Saint Michel Contres expose que M. [S] a montré à ses subordonnés plusieurs vidéos à caractère pornographique ‘montrant une fellation pour la première, et une sodomie pour la deuxième’.
M. [S] reconnait avoir montré à ses subordonnés des vidéos. Il conteste le caractère pornographique des vidéos et le fait de les avoir diffusés à de nombreux collégues.
Les attestations produites par l’employeur ne démontrent pas objectivement si les vidéos ont été montrés à de nombreux collègues. Il apparaît en revanche qu’elles avaient un caractère pornographique ainsi que l’attestent un salarié les ayant visionnées et deux autres salariées féminines qui, bien que n’ayant pas assisté au visionnage mais constatant une réunion de personnes, ont demandé immédiatement de quoi il s’agissait à des collègues qui leur avait relaté que M.[S] avait montré des vidéos pornographiques.
Le comportement de M.[S] est fautif et celui-ci a manqué à son devoir d’exemplarité attachée à ses fonctions d’encadrement.
La SAS Saint Michel Contres soutient que la diffusion des vidéos pornographiques a choqué la plupart des collaborateurs, notamment féminin, placés sous la responsabilité de M. [S]. Toutefois, les attestations n’émanent que d’un collaborateur, masculin, ayant visionné la vidéo sans commenter son contenu, tandis que les deux autres collaboratrices féminines, qui n’ont pas été associées à ce visionnage, ne font que rapporter les propos de leurs collègues sans se plaindre du caractère choquant des vidéos.
Si la faute est établie, il n’est pas démontré qu’elle a choqué le personnel de l’atelier et particulièrement les collaboratrices féminines de M. [S], les témoignages produits ne faisant pas d’observation à ce sujet.
Bien que les griefs relevant de la violation de l’obligation de loyauté et du devoir d’exemplarité soient fondés, ils ne justifient pas, s’agissant d’un fait isolé commis par un salarié disposant de 18 ans d’ancienneté dans l’entreprise et sans antécédent disciplinaire, la rupture du contrat de travail. Le licenciement apparaît disproportionné.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit le licenciement de M. [S] sans cause réelle et sérieuse.
– Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
– Sur l’indemnité de préavis
M. [S] demande le paiement de la somme de 5 816,00 euros, sommes dues au terme de l’article 4.9.2 de la convention collective nationale des 5 branches industries alimentaires diverses du 21 mars 2012 applicable en l’espèce. La SAS Saint Michel Contres ne conteste pas le montant réclamé.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
-Sur l’indemnité de licenciement
M. [S] demande le paiement de la somme de 15 046,00 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement dont le quantum n’est pas discuté par la SAS Saint Michel Contres . Il convient de faire droit à cette demande et de confirmer le jugement sur ce point.
– Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La perte injustifiée de son emploi cause au salarié un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue.
L’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit que compte tenu de l’ancienneté du salarié qui est de 18 années complètes dans l’entreprise, et de la taille de l’entreprise supérieure à 11 salariés, il peut lui être allouée une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 et 14,5 mois de salaire brut.
M.[S] demande la confirmation du jugement.
Compte tenu de l’âge de M. [S], de son ancienneté et de sa capacité à retrouver un emploi, la somme de 34 896,00 euros octroyée par le conseil de prud’hommes répare justement le préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi, étant précisé qu’il s’agit d’une somme allouée en brut. Le jugement sera confirmé sur ce point.
– Sur le remboursement des allocations versées par Pôle emploi
L’article L.1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, énonce que dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Il convient d’ordonner le remboursement par la SAS Saint Michel Contres à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M.[S] dans la limite de 3 mois.
– Sur les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SAS Saint Michel Contres à payer à M. [S] la somme de 2000 euros pour les frais irrépétibles exposés en première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a condamné la SAS Saint Michel Contres aux dépens.
Celle-ci sera condamnée à lui payer une somme complémentaire de 2000 euros au titres des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. La SAS Saint Michel Contres sera déboutée de sa propre demande présentée à ce titre.