27 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00495

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OM/CH

S.A.S.U. ESPACE PREMIUM SPORT, représentée par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège

C/

[S] [G]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00495 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FXOM

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 08 Juin 2021, enregistrée sous le n° F19/00648

APPELANTE :

S.A.S.U. ESPACE PREMIUM SPORT, représentée par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Florent SOULARD de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON, et Me Steeve ROHMER, avocat au barreau de MULHOUSE

INTIMÉ :

[S] [G]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Anne MARQUE de la SCP MARQUE MONNERET MARQUE, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Mars 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [G] (le salarié) a été engagé le 17 mai 2010 par contrat à durée indéterminée en qualité de mécanicien par une société puis ce contrat a été transféré à la société premium sport (l’employeur).

Il a été licencié le 14 août 2019 pour faute grave.

Estimant ce licenciement infondé, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 8 juin 2021, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l’employeur au paiement de diverses sommes en conséquence mais a rejeté les autres demandes.

L’employeur a interjeté appel le 30 juin 2021.

Il conclut à l’annulation du jugement, en tout état de cause, à son infirmation sauf sur le rejet des demandes du salarié et sollicite le paiement des sommes de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, pour chacune des deux instances.

Le salarié demande la confirmation du jugement, sauf à obtenir le paiement des sommes de :

– 5 898,97 euros de rappel d’heures supplémentaires entre août 2018 et janvier 2019,

– 589,89 euros de congés payés afférents,

– 16 692 euros d’indemnité pour travail dissimulé,

– 11 308 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct,

– 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 16 janvier et 1er février 2023.

MOTIFS :

Sur la demande d’annulation du jugement :

L’employeur demande l’annulation du jugement en considérant que le conseil de prud’hommes a manqué d’objectivité et d’impartialité en retenant le témoignage de M. [O] alors qu’il a été soutenu que ce témoignage est un faux, qu’une enquête pénale est en cours et relève que cette juridiction a fait preuve de mépris pour ses arguments et pièces, notamment le témoignage du directeur.

Le salarié conteste cette analyse en notant qu’une partie de ses demandes a été rejetée et que le conseil de prud’hommes a analysé l’attestation de M. [O] puisque l’employeur soutenait qu’il s’agissait d’un faux.

L’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 prévoit que le droit à un procès équitable implique que la cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.

En l’espèce, au regard de la motivation critiquée, force est de constater que le conseil de prud’hommes a procédé à une analyse des éléments de preuve soumis à son examen, dont l’attestation de M. [O], et a motivé sa décision dans des termes qui ne traduisent ni partialité ni manque d’objectivité, au moins, en apparence.

Il en résulte que la demande d’annulation sera rejetée.

Sur les heures supplémentaires :

1°) Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, le salarié indique qu’il a travaillé d’août 2018 à janvier 2019 de 7 heures à 21 heures, soit a minima 20 heures supplémentaires par semaine.

Il justifie de ce qu’il a demandé les relevés de pointeuse et que l’employeur ne les a jamais produits mais ne verse au débat aucun décompte des heures dont le paiement est réclamé.

L’employeur reconnaît que le salarié a effectué des heures supplémentaires mais que celles-ci ont été payées.

Même si les pièces produites par l’employeur sous les numéros 20 et 22 ne correspondent pas à des relevés de pointeuse mais à des relevés internes de productivité, il convient de relever que le salarié ne communique aucun décompte, même sommaire, pour permettre à l’employeur de répondre à la demande et notamment sur le nombre d’heure.

Au surplus, cette absence de décompte ne permet pas à la cour de vérifier que la somme demandée, soit 5 898,97 euros, est la contrepartie des heures supplémentaires effectuées.

La demande de rappel sera rejetée et le jugement confirmé.

2°) En application de l’article L. 8221-5 du code du travail, il incombe au salarié qui demande l’application des dispositions de l’article L. 8223-1 du même code, de démontrer que l’employeur s’est intentionnellement soustrait aux obligations rappelées à l’article L. 8221-5.

L’employeur conclut à l’irrecevabilité « partielle » de cet appel incident comme étant formée plus de trois mois après les conclusions de l’appelante et ce en application des dispositions des articles 909 et suivants du code de procédure civile.

En l’espèce, l’intimé a conclu dans le délai de trois mois visé à l’article 909 précité puisqu’il a conclu le 27 octobre 2021 mais n’a pas formé de demande d’indemnité pour travail dissimulé à ce moment.

Par la suite, le salarié a présenté cette demande alors qu’il pouvait conclure et invoquer de nouveaux moyens jusqu’à l’ordonnance de clôture.

De plus, cette demande est la conséquence nécessaire de l’appel incident formé par conclusions du 27 octobre 2021 portant sur un rappel d’heures supplémentaires.

Cette demande est donc recevable.

Ici, dès lors que la demande sur les heures supplémentaires a été rejetée, la demande de paiement d’une indemnité pour travail dissimulé, en raison de cette absence de paiement, devient sans objet.

Sur le licenciement :

1°) L’article L. 1332-4 du code du travail dispose que : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales ».

Ce délai commence à courir dès lors que l’employeur a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits.

L’employeur peut prendre en compte des faits antérieurs de deux mois à la sanction, s’il s’agit de comportement se poursuivant dans ce délai.

Le salarié soutient que cette prescription est acquise pour le grief portant sur l’exercice d’une activité concurrente en parallèle à son activité. Il ajoute que l’employeur connaissait cette activité exercée comme auto-entrepreneur pour l’entretien et la réparation des véhicules de luxe, depuis au moins 2017 puisqu’il lui commandait des pièces de mécanique automobile et produit de multiples factures sur ce point (pièce n° 40).

Il invoque également cette prescription pour le second grief en soutenant que l’employeur a eu connaissance des faits au plus tard le 5 mars 2019, soit plus de deux mois avant l’engagement de la procédure le 17 juillet 2019.

L’employeur répond que cette fin de non-recevoir doit être rejetée car il est reproché au salarié d’avoir dissimulé son comportement ce que l’employeur n’a su que le 9 juillet 2019.

Sur le second grief portant sur le détournement de clientèle, soit le manquement à l’obligation de loyauté et des actes de concurrence déloyale, l’employeur indique, dans la lettre de licenciement, que lors de ses investigations il a découvert l’existence de l’activité parallèle du salarié avec une inscription au répertoire SIRENE pour une activité d’entretien et réparation de véhicules automobiles légers.

Au regard des factures versées aux débats et de leur date, force est de constater que l’employeur connaissait cette activité depuis plus de deux mois avant l’engagement de la procédure de licenciement, de sorte que la prescription sera retenue.

La cour n’examinera donc pas ce grief.

Pour le premier grief, même si la facture de garantie est datée du 5 mars 2019, ce n’est qu’après avoir été alerté par la société Porsche France du refus de prise en charge de la garantie par la société mère en Allemagne le 9 juillet 2019, que l’employeur a diligenté une enquête le 12 juillet suivant et a agi dans le délai de deux mois en initiant la procédure de licenciement le 17 juillet suivant.

2°) Il appartient à l’employeur qui s’en prévaut à l’appui du licenciement de démontrer la faute grave alléguée.

Au regard du seul grief énoncé dans la lettre de licenciement et non prescrit, l’employeur doit démontrer que le salarié a dégradé volontairement un véhicule de marque Porsche appartenant à un client et est l’auteur d’une fausse déclaration constitutive d’une fraude d’un montant de 24 846,42 euros.

La lettre précise que le 9 juillet 2019, la responsable garantie de Porsche France a informé M. [L], responsable SAV de l’employeur, que les services techniques de la maison mère en Allemagne ont émis des doutes sur la présence de rayures atypiques au sein du moteur du client de l’employeur et dont le remplacement a fait l’objet d’une demande de prise en charge au titre de la garantie constructeur.

L’employeur a réalisé une enquête interne et a recueilli des témoignages dont celui de M. [Y] qui indique que le salarié lui a avoué avoir volontairement rayé l’intérieur d’un cylindre de moteur afin de valider son remplacement au titre de la garantie parce qu’au démontage rien de flagrant n’était visible.

La lettre ajoute que M. [L] a recueilli les mêmes aveux de la part du salarié et l’enquête diligentée a mis en évidence des difficultés rencontrées par les collègues du salarié qui indiquent que celui-ci les a menacés s’ils témoignaient en sa défaveur.

L’employeur rappelle le préjudice financier supporté et le risque de résiliation du contrat de concession avec la marque Porsche.

L’employeur reprend le mail de la société France Porsche qui indique que la société Porsche en Allemagne a refusé de prendre en charge la réparation au titre de la garantie en raison d’un cas qui n’est pas plausible, cette société estimant que le défaut vient d’une cause externe.

M. [Y] atteste (pièce n° 8) que le salarié lui a avoué avoir volontairement rayé l’intérieur d’un cylindre pour obtenir la garantie constructeur.

Le salarié conteste les faits et soutient que l’attestation de M. [Y] : « relève de la mascarade » et que celui-ci ment.

Cependant, aucune des affirmations du salarié ne repose sur des éléments probants qui permettraient d’écarter ce témoignage.

Il ajoute qu’aucun rapport d’expertise n’est versé aux débats et que l’auteur des rayures n’est pas identifié.

Il est constant que la garantie constructeur a été demandée par l’employeur sur le véhicule d’un client et que cette garantie a été refusée.

L’attestation du client, M. [E] (pièce n° 11) permet de relever que le véhicule a été amené au garage en raison d’une consommation anormale d’huile et que c’est le salarié qui a effectué ces contrôles et qui entretient ses véhicules.

M, [O] atteste que le salarié a démonté le moteur et nettoyé les cylindres et affirme qu’il a aperçu des rayures sur le cylindre.

Cette attestation contredit celle de M. [Y].

Il est établi par l’employeur qu’il a déposé une plainte à l’encontre de M. [O], intérimaire ayant travaillé entre août et novembre 2017 pour une société partageant les mêmes locaux que ceux exploité par l’employeur.

Le contrat d’intérim est communiqué et selon le salarié, M. [E] a amené son véhicule, courant décembre 2018, pour mesure de la consommation d’huile avec utilisation sur circuit puis, en février 2019, pour un contrôle après avoir roulé mille kilomètres.

Rien ne permet de retenir que M. [O] a pu attester d’un fait survenu en février 2019 ou après.

De plus, M. [K] dont l’attestation est produite par le salarié (pièce n° 30) soutient que ce document est un faux et il est justifié de la plainte pénale déposée.

Il résulte de ces éléments de fait, que l’attestation de M.[O] ne sera pas prise en considération par la cour.

Même, si la cause du refus de garantie n’est pas connue avec certitude, faute de rapport technique ou d’expertise, l’attestation de M. [Y] demeure.

Elle doit être rapprochée de celle de M. [E] qui précise que le salarié s’est toujours occupé de son véhicule.

Il en résulte que ces témoignages emportent conviction et permettent de retenir le comportement fautif du salarié qui revêt les caractéristiques d’une faute grave.

Le licenciement est donc fondé et les demandes d’indemnités découlant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse seront rejetées, ce qui entraîne l’infirmation du jugement.

Sur les autres demandes :

1°) Le salarié réclame des dommages et intérêts pour préjudice moral distinct en prétendant que l’employeur poursuit une entreprise calomnieuse, exerce une violence morale et se reporte à l’attestation de M. [I] qui indique que lors d’une soirée, le directeur de Porsche a affirmé, devant témoins, que le salarié est un voleur et qu’il a détourné des pièces de voiture.

Cependant, ces propos sont sans rapport avec les griefs reprochés dans la lettre de licenciement et le salarié ne démontre pas l’existence d’un préjudice indemnisable à ce titre.

Sa demande sera rejetée et le jugement infirmé.

2°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du salarié et le condamne à payer à l’employeur la somme de 1 500 euros pour les deux instances.

Le salarié supportera les dépens de première instance et d’appel.

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