27 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00538

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RUL/CH

S.A.S. PAGOT ET SAVOIE représentée par son représentant légal en exercice domicilié de droit audit siège

C/

[I] [F]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00538 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FX5Y

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 29 Juin 2021, enregistrée sous le n° F 20/00090

APPELANTE :

S.A.S. PAGOT ET SAVOIE représentée par son représentant légal en exercice domicilié de droit audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-François MERIENNE de la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Thomas MENETRIER, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉ :

[I] [F]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Jean-Philippe SCHMITT, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mars 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [I] [F] a été embauché par la société PAGOT & SAVOIE par un contrat à durée indéterminée le 6 mars 2006, en qualité de magasinier.

Celui-ci est ensuite devenu responsable outillage, puis agent technico-commercial à compter du 1er septembre 2008.

Le 7 janvier 2020, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 10 janvier suivant.

Le 13 janvier 2020, il a été de nouveau convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 21 janvier suivant.

Il a été licencié pour motif personnel le 5 février 2020.

Par requête du 28 février 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de contester le bien fondé de son licenciement, le juger sans cause réelle et sérieuse et faire condamner l’employeur aux conséquences indemnitaires afférentes.

Par jugement du 29 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Dijon a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société PAGOT & SAVOIE à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une autre au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration formée le 16 juillet 2021, la société PAGOT & SAVOIE a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 15 octobre 2021, l’appelante demande de :

– infirmer le jugement déféré,

– juger le licenciement de M. [F] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– le débouter de l’intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire,

– juger que M. [F] ne démontre pas son préjudice à la suite de son licenciement,

– fixer le montant des dommages-intérêts accordés à une somme qui ne saurait excéder 9 369,42 euros,

– le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures du 3 janvier 2022, M. [F] demande de :

– débouter la société PAGOT & SAVOIE de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

– confirmer le jugement déféré sauf à augmenter les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société PAGOT & SAVOIE à lui payer les sommes suivantes :

* 37 477,68 euros nets de CSG-CRDS à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de 1ère instance,

* 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile d’appel,

– condamner la société PAGOT & SAVOIE aux dépens d’instance et d’appel.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur le bien fondé du licenciement :

La faute simple n’oblige pas l’employeur à faire cesser immédiatement le contrat de travail mais peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché au salarié de ne pas avoir respecté les procédures de débit du matériel. (pièce n° 4)

M. [F] soutient pour sa part que :

– le 7 janvier 2020, il a été convoqué à un entretien fixé au 10 janvier 2020 avec l’indication « Nous avons à déplorer de votre part le fait de ne pas respecter les procédures internes qui constituent une faute contractuelle » et « vous serez invité à fournir toutes explications sur ces derniers incidents » (pièce n° 2), de sorte que par cette convocation l’employeur a clairement manifesté son intention de le sanctionner pour la vente de marchandises du 17 décembre 2019 sans bulletin de livraison ni ouverture de compte client et l’a rappelé à l’ordre oralement, purgeant son pouvoir disciplinaire pour ces faits,

– embauché le 6 mars 2006, il n’a jamais été sanctionné et respecte l’ensemble des objectifs qui lui sont donnés, produisant 11 attestations de salariés et de clients établissant qu’il est un excellent professionnel (pièces n° 6 à 16),

– la faute qui lui est reprochée n’est pas établie dans la mesure où :

* il n’a pas le pouvoir de remettre la marchandise à un client, non plus de renseigner la commande et le bulletin de livraison, non plus de confirmer ladite commande, de sorte qu’il ne peut être celui qui aurait laissé le client partir avec des matériaux non payés, ni être l’auteur d’une commande erronée et d’une autre annulant la première,

* l’ouverture du compte professionnel du client a été demandée le 13 décembre 2019 et devenue effective le 24 suivant (pièce n° 19),

* c’est M. [S], au magasin de la zone nord de [Localité 5] qui a établi la commande, édité le bulletin de livraison et remis le matériel au client le 17 décembre 2019,

* les commandes [R] et [C] portent les initiales « [G][Y] », ce qui ne correspond pas à ses initiales (« [I][F] ») (pièces n° 7, 8 et 17),

* outre le fait qu’il n’a pas pu laisser partir le client sans payer puisque ce n’est pas lui qui lui remet les matériaux, ce n’est pas non plus lui qui a pu en donner l’instruction à M. [S] puisqu’il n’est pas son supérieur, de sorte que son seul tort serait d’avoir conseillé le client sur les produits et de l’envoyer au magasin de la zone nord, ce qui ne saurait constituer un motif de licenciement,

* laisser partir le client sans payer est une pratique habituelle (pièce n° 20), et la note de service du 10 novembre 2010 dont se prévaut l’employeur ne prévoit pas qu’un client sans compte ouvert ne peut pas commander de marchandise (pièce n° 6),

* l’employeur n’a subi aucun préjudice puisque la facture [R] a été rattachée à M. [C] dès le 26 décembre 2019 (pièce n° 9) et son montant (594,15 euros HT) est dérisoire comparé à son chiffre d’affaires annuel et a été payé par le client sans qu’il ait été nécessaire de le mettre en demeure ou de le relancer,

* à tout le moins, la sanction est disproportionnée.

a – Sur l’épuisement du pouvoir disciplinaire :

Aux termes de l’article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige le juge apprécie la régularité de la procédure et si les faits sont de nature à justifier une sanction.

L’employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin une mesure d’instruction. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Il est constant qu’un fait qui a fait l’objet d’une sanction disciplinaire épuise le pouvoir disciplinaire à son égard et ne peut constituer un motif de licenciement.

Il est également constant qu’un rappel à l’ordre ne constitue pas une sanction disciplinaire.

Il s’en déduit que M. [F] ne saurait se prévaloir du rappel à l’ordre oral dont il aurait fait l’objet le 10 janvier 2020, rappel à l’ordre au demeurant contesté par l’employeur qui affirme que cet entretien constituait une demande d’explication sur la chronologie des événements et que c’est sur la base des réponses obtenues qu’il a pris la décision d’engager une procédure de licenciement, pour soutenir que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire pour ces faits.

Le moyen n’est donc pas fondé.

b – Sur le grief allégué :

Il ressort des développements qui précèdent qu’il est reproché à M. [F] d’avoir procédé à une vente de marchandises le 17 décembre 2019 sans bulletin de livraison ni ouverture de compte client et sans paiement immédiat de celui-ci et qu’il a inventé un nom et une adresse et demandé expressément à son collègue M. [S] de ne pas éditer le bulletin de livraison.

A ce titre, il indique :

– qu’il est évident qu’on ne laisse pas partir un client non identifié avec de la marchandise non payée et que la procédure interne, la même depuis des années, impose l’édition d’un bulletin de livraison qui génère une facture ou un ticket de caisse, ce que M. [F] n’ignore pas (pièce n° 6),

– il a fait remplir la commande sous un nom fictif, à une fausse adresse et inventé un prétexte (« revoir le prix ») auprès de son collègue pour qu’aucun bulletin de livraison ne soit édité (pièce n° 7),

– il a ensuite demandé l’ouverture d’un compte, ce qui permet aux artisans, après l’aval du service comptable qui s’assure de sa solvabilité, de bénéficier d’une facturation différée, au nom de « [C] ELECTRICITE » sans fournir les renseignements nécessaires et sans indiquer le lien entre ce compte et la commande « [R] », laquelle a été annulée (pièces n° 8 et 9),

– si la commande [R] a été renseignée par M. [S], aucun bulletin de livraison n’a été édité pour le matériel remis au client le 17 décembre 2019 mais il n’a fait qu’exécuter les directives de M. [F]. Il a néanmoins fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire pour ce fait,

– s’il n’a subi aucun préjudice c’est précisément parce qu’il s’est rendu compte à temps de cette man’uvre et du fait de la période d’inventaire entre Noël et nouvel an, le risque était que ces produits retirés le 17 décembre soient passés en perte et que ces marchandises ne soit jamais payées,

– les manoeuvres mises en place afin de cacher l’identité du client, et à tout le moins la très grande légèreté de son attitude, révèle le total mépris des règles et de l’intérêt de l’entreprise.

Néanmoins, la cour relève que l’employeur procède par voie d’affirmation, ne justifiant d’aucun élément utile permettant d’imputer à M. [F] les griefs qui lui sont reprochés.

En premier lieu, et au-delà du fait – admis par l’employeur – que la commande litigieuse « [R] » a été remplie par M. [S], aucun élément ne confirme qu’il lui aurait demandé de ne pas éditer de bulletin de livraison, M. [S] n’attestant pas dans la procédure, pas plus qu’il n’est produit la mise à pied disciplinaire dont il aurait fait l’objet pour ces faits.

Au contraire, M. [C] atteste en faveur du salarié (pièce n° 19).

Il ne résulte pas non plus de l’annulation de cette commande du 17 décembre 2019 le moindre élément permettant d’attribuer cette annulation à M. [F], les initiales qui y sont portées ([G][Y]) n’étant pas celle de M. [F] (pièce n° 7). Tel est également le cas de la commande « [C] » qui l’a remplace (pièce n° 8) et aucune initiale ne figure sur la liste récapitulative des préparations en cours au 26 décembre 2019 (pièce n° 9).

Dans ces conditions, peu important que la note de service du 10 novembre 2010 définissant la procédure de vente ait été portée à la connaissance de M. [F], et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens et arguments qu’il développe, la cour considère que l’employeur échoue à démontrer que les manoeuvres commerciales irrégulières qu’il dénonce sont imputables à M. [F] qui au demeurant les conteste.

Il suit de là, par confirmation du jugement déféré, que le licenciement de M. [F] est sans cause réelle et sérieuse.

A ce titre, compte tenu de son ancienneté (14 ans), de son âge (58 ans) et d’un salaire brut mensuel moyen qu’il fixe à 3 123,14 euros (moyenne de février 2019 à janvier 2020, déduction faite de la participation d’avril 2019 – pièce n° 5), il sollicite la somme de 37 477,68 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à 12 mois de salaire, précisant que du fait de son âge et de la perte injustifiée de son emploi, il subi un préjudice économique important avec une situation de chômage (pièce n° 21) et un préjudice moral du fait que le licenciement est vexatoire.

L’employeur oppose que M. [F], qui a retrouvé un emploi dès après son licenciement, ne justifie d’aucun préjudice, de sorte qu’il ne peut prétendre à une somme supérieure à 9 369,42 euros correspondant à trois mois de salaire.

Compte tenu des circonstances du licenciement et de la situation du salarié, il lui sera alloué la somme de 21 861,98 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

II – Sur les demandes accessoires :

– Sur le remboursement à Pôle Emploi :

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a ordonné à la société PAGOT & SAVOIE de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées à M. [I] [F] du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités chômage, en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail.

– Sur les intérêts au taux légal :

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a jugé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Il sera dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société PAGOT & SAVOIE de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt.

– Sur la remise des documents de fin de contrat :

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a ordonné à la société PAGOT & SAVOIE de remettre à M. [F] « les documents de fin de contrat rectifiés conformes à la présente décision ».

La demande de confirmation telle que formulée ne permettant pas à la cour de déterminer la nature des documents concernés, celle-ci sera rejetée.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens :

A titre liminaire, la cour relève que M. [F] sollicite dans le dispositif de ses conclusions à la fois la confirmation du jugement déféré en ce qu’il lui a alloué la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la somme de 1 500 euros au titre de la première instance.

Considérant qu’au titre de sa demande de confirmation du jugement déféré le salarié ne conteste pas la décision lui allouant la somme de 1 200 euros, celui-ci sera confirmé sur ces points.

La société PAGOT & SAVOIE sera condamnée à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.

La demande de la société PAGOT & SAVOIE au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

La société PAGOT & SAVOIE succombant, elle supportera les dépens d’appel.

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