27 avril 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 22/00031

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COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

N° RG 22/00031 – N° Portalis DBVY-V-B7G-G4I4

[W] [F]

C/ S.A.S.U. COULEURS DES CIMES

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 06 Décembre 2021, RG F 21/00125

APPELANT ET INTIME INCIDENT

Monsieur [W] [F]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Virginie VABOIS, avocat au barreau d’ANNECY

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE

S.A.S.U. COULEURS DES CIMES

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie-Pierre LAMY-FERRAS, avocat au barreau d’ANNECY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 04 Avril 2023, devant Monsieur Frédéric PARIS, Président désigné à ces fins par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s’est chargé du rapport, les parties ne s’y étant pas opposées, avec l’assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

Copies délivrées le :

********

FAITS ET PROCÉDURE

M. [W] [F] a été engagé en qualité de compagnon professionnel peintre, niveau III, position 2, coefficient 230 par la Sasu Couleurs des Cimes à compter du 22 avril 2019 par contrat à durée déterminée du 22 avril au 20 décembre 2019.

La société Couleurs des Cimes emploie onze salariés, elle a pour activité les travaux de peintures, décoration, revêtement de sol et sablage.

La convention collective Ouvriers du bâtiment est applicable.

Au dernier état de la relation, M. [F] percevait une rémunération brute mensuelle fixée à 2 214.41€ pour une durée hebdomadaire de 38 heures de travail dont 3 heures supplémentaires.

Le 22 octobre 2019, M. [F] informe son employeur d’une situation à risque sur le chantier où il travaille.

Le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 3 décembre 2019 jusqu’au terme de son contrat au 20 décembre 2019.

Ses documents de fin de contrat lui ont été remis le 20 décembre 2020.

Par requête du 28 février 2020 M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annecy à fin de solliciter le paiement de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité.

Par jugement en date du 6 décembre 2021, le conseil de prud’hommes d’Annecy a :

– dit qu’il était incompétent pour apprécier la demande d’indemnisation de M. [F] et déclaré la demande irrecevable,

– dit que la société Couleurs des cimes n’a pas manqué à son obligation de santé et de sécurité,

– dit que le contrat de travail a été exécuté de bonne foi et qu’il est impossible d’établir un lien de causalité entre la situation de travail du 22 octobre 2019 et l’arrêt de travail du 3 décembre 2019,

– débouté M. [F] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné M. [F] à payer à la société Couleurs des Cimes la somme de 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

M. [F] a interjeté appel par déclaration d’appel du 7 janvier 2022 au réseau privé virtuel des avocats.

Par conclusions notifiées le 7 avril 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [F] demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

– condamner la Sasu Couleurs des cimes au paiement des sommes suivantes :

* 13 200 € au titre de dommages et intérêts pour violation manifeste de l’obligation de sécurité,

* 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il soutient en substance que cette affaire est de la compétence exclusive du conseil de prud’hommes.

La demande a pour objet la réparation de ses préjudices causés par le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur.

Il ne revendique pas l’apparition d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.

L’employeur l’a exposé à des conditions de travail dangereuses, entraînant l’aggravation d’une pathologie préexistante.

Il n’a pas bénéficié d’une formation spécifique et n’a jamais été informé des risques pour sa santé et sa sécurité que présentait les peintures qu’il devait utiliser.

L’inspection du travail, qui est intervenue pour un contrôle le 24 octobre 2019, a constaté une insuffisance des mesures de prévention et de protection et que le salarié n’était pas équipé des moyens de protection nécessaires.

Du fait de la violation par son employeur de son obligation de sécurité, il a subi d’importants préjudices. L’exposition à des substances dangereuses dans des locaux non aérés a provoqué des maux de tête, des vertiges, l’aggravation de son asthme, une affection ophtalmologique ainsi que des vomissements.

Un mois après l’exposition, il lui a été prescrit un traitement bronchodilatateur, utilisé en cas de difficultés respiratoires.

Il y a donc un lien au moins partiel entre son exposition sur le chantier et la prescription d’un traitement contre les difficultés respiratoires.

Par conclusions notifiées le 05 juillet 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la Sasu Couleurs des cimes demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré,

– condamner M. [F] à payer 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

L’employeur fait valoir que le salarié se place sur le terrain de la faute inexcusable, ce qui n’est pas de la compétence du conseil de prud’hommes mais du pôle social.

La société dispose d’un document unique d’évaluation des risques, régulièrement communiqué à la médecine du travail qui n’a jamais formulé de remarque négative.

Des formations sont mises en place par la société ; en 2019 les formations ont eu lieu en février, avant que le salarié ne soit embauché.

La société met à la disposition des salariés des équipements de protection individuels (EPI) adaptés à la situation lorsqu’ils sont nécessaires.

Le 22 octobre 2022, le salarié devait exécuter des travaux de nettoyage et de protection du bâtiment, il avait emporté des équipements de protection adaptés à cette seule activité.

Il n’a pas été demandé au salarié d’effectuer des travaux de peinture.

Le salarié revendique trente années d’expérience en tant que peintre, il ne pouvait méconnaître les risques attachés aux produits qu’il manipulait dans un local fermé et mal aéré.

La société n’a pas manqué à son obligation de sécurité puisque dès qu’elle a eu connaissance des difficultés rencontrées par le salarié elle lui a demandé d’arrêter de travailler immédiatement.

L’employé a sollicité la venue de l’inspection du travail et ce n’est qu’après le passage de l’inspection du travail que le salarié a récupéré les équipements de protection auprès de la société avant de retourner sur le chantier continuer son travail accompagné d’un autre collègue.

Le salarié accepte par ailleurs de retourner deux jours plus tard sur le même chantier et dans les mêmes conditions que lorsqu’il a fait un malaise.

Le salarié ne justifie pas de son préjudice. Aucun document médical fourni par ce dernier n’impute les difficultés respiratoires rencontrées à ses conditions de travail.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 3 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article L 142-1 du code de la sécurité sociale dispose : Il est institué une organisation du contentieux général de la sécurité sociale. Cette organisation règle les différends auxquels donnent lieu l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole et qui ne relèvent pas, par leur nature d’un autre contentieux.

L’article L 411-1 du code de la sécurité sociale prévoit : Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

L’article L 1411-1 du code du travail dispose : Le conseil des prud’hommes règle par voie de conciliation des différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu’ils emploient. Il juge des litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.

Il résulte de ces dispositions impératives que tout litige relevant d’un accident du travail et de la réparation des préjudices en découlant est de la compétence des juridictions de la sécurité sociale.

Une jurisprudence constante et ancienne fait application de ces dispositions.

Ainsi la chambre sociale de la cour de cassation a jugé qu’une demande de réparation de préjudice corporel résultant d’un accident du travail relevait de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale (Cass soc 22 mars 1990 n° 88-40.982).

La chambre sociale de la cour de cassation a délimité les compétences entre les juridictions de la sécurité sociale et du conseil des prud’hommes en cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

La chambre sociale dans un arrêt du 30 septembre 2010 (n° 09-41.451) a jugé en réponse au moyen selon lequel l’employeur n’avait pas respecté ses obligations en n’assurant pas sa sécurité pour prévenir les nombreuses agressions dont elle prétendait avoir été victime et qu’elle agissait en responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité issue du contrat de travail, que l’action en responsabilité pour manquement à l’obligation de sécurité relevait de la compétence du contentieux de la sécurité sociale en retenant : sous couvert d’une action en responsabilité à l’encontre de l’employeur pour mauvaise exécution du contrat de travail, la salariée demandait en réalité la réparation du préjudice résultant de l’accident du travail dont elle avait été victime, ce dont il découlait qu’une telle action ne pouvait être portée que devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et que la juridiction prud’homale était incompétente pour en connaître, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Elle a aussi jugé sous le visa des articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale :

Si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. (Cass soc 29 mai 2013 n° 11-20.074).

La deuxième chambre civile de la cour de cassation a jugé sous le visa de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale que la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est indépendante de la prise en charge au titre de la législation professionnelle, et n’implique pas que l’accident ou la maladie ait été déclaré préalablement à la caisse de sécurité sociale, la juridiction de sécurité sociale étant en mesure de rechercher si l’accident présente un caractère professionnel et si l’assuré établit avoir été victime d’une faute inexcusable de l’employeur (Cass 2ème Civ 7 avril 2022 n° 20-21.906) .

Il convient de rechercher en l’espèce au regard des textes suscités d’ordre public et de la jurisprudence exposée ci-avant si les manquements à l’obligation de sécurité reprochés à l’employeur et la demande de réparation du préjudice formulée par le salarié résident ou non dans la survenance d’un accident du travail.

Le salarié dans sa lettre en date du 22 octobre 2019 adressée à l’employeur relative à la sécurité du chantier situé au [Adresse 5] expose que ‘je me suis rendu le 21/10/2019 accompagné du chef de chantier [P] pour visualiser les travaux à faire…J’ai demandé à [P] de me fournir les équipements nécessaires (masques etc…) pour ma protection et ma sécurité…Le lendemain matin c’est à dire le 22/10/2019 à 9 heures à l’atelier j’ai demandé les équipements de sécurité, à mon grand étonnement [P] m’a dit ‘va travailler, c’est pas dangereux’. Je me suis rendu donc sur le chantier…j’ai commencé à descendre de 2 m de profondeur dans une pièce complètement fermée (juste une mince ventilation) j’ai appliqué la peinture sur le mur et là je me suis senti très mal ‘maux de tête, vertige, odeur irrespirable, impossible de respirer donc je suis remonté avec l’aide de mon collègue…’.

Il résulte des termes de cette lettre que le salarié en exécutant son travail s’est soudainement senti mal et a été obligé d’interrompre son travail.

Dans une deuxième lettre du 24 octobre 2019 en réponse aux contestations de l’employeur sur le fait qu’il n’avait pas pu faire des travaux de peinture le 22 octobre, le salarié précise que ‘Je suis descendu au sous sol pour commencer à peindre, je suis resté environ 20 minutes et là je me suis senti très mal, tête qui tourne, envie de vomir… Pris de panique j’ai appelé M. [R] [L] qui lui travaille en haut afin qu’il m’aide à sortir dehors…’.

L’inspection du travail qui a effectué une visite des lieux le 24 octobre 2010 a constaté que les lieux étaient très mal aérés, ‘générant ainsi une atmosphère particulièrement irrespirable due aux émanations des polluants, et que le salarié n’était pourvu que d’un demi-masque de type A1 B1, inadapté au vu de la nature des produits utilisés.

Il convient de rappeler que la jurisprudence de la cour de cassation constante rendu sous le visa de l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale instituant une présomption d’imputabilité considère comme accident du travail tout accident provoquant une lésion du corps humain apparaissant au temps et sur le lieu du travail ou dans un temps voisin (Cass soc 15 juin 1983 n° 82-12.786, Cass soc 17 février 1988 n° 86-10.447).

Or le salarié en mettant en cause l’employeur sur le fondement de l’obligation de sécurité au regard exclusivement des faits s’étant produits le 22 octobre 2019 et de ses conséquences demande en réalité au conseil des prud’hommes de statuer sur le préjudice résultant d’une faute inexcusable de la seule compétence de la juridiction de la sécurité sociale.

Le conseil des prud’hommes n’est donc pas compétent pour statuer sur la demande de réparation formulée par le salarié.

Le jugement s’étant déclaré incompétent sera donc confirmé par substitution de motifs, le conseil des prud’hommes ayant écarté à tort dans ses motifs tout accident du travail.

Il sera en outre infirmé en ce qu’il a statué sur le fond en déboutant le salarié de ses demandes alors qu’il s’est déclaré incompétent, le juge se déclarant incompétent devant désigner la juridiction de renvoi et non d’évidence statuer sur le fond.

Le Pôle social du tribunal judiciaire d’Annecy seul compétent pour connaître du fond du litige sera désigné en application de l’article 75 du code de procédure civile.

Il ne sera pas fait application tant en première instance qu’en cause d’appel de l’article 700 du code de procédure civile en raison de l’équité et de la situation économique de l’appelant.

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