27 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/03791

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N° RG 21/03791 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NTBB

Décision du tribunal de commerce de Chambéry du 31 octobre 2018

RG : 273 f-d

[Y] [O]

C/

LA PROCUREURE GENERALE

SELARL BOUVET ET GUYONNET

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 27 Avril 2023

statuant sur renvoi après cassation

APPELANT :

M. [V] [Y] [O]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 8] (IRAN)

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547, postulant et plaidant par Me Georges PEDRO, avocat au barreau de CHAMBERY

INTIMEES :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 5]

En la personne d’Olivier NAGABBO, avocat général

SELARL BOUVET ET GUYONNET es qualité de liquidateur judiciaire de la SARL STONE suivant jugement du tribunal de commerce de CHAMBERY en date du 7 juillet 2015

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et plaidant par Me Isabelle ROSADO, avocat au barreau de CHAMBERY

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 09 Février 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 Février 2023

Date de mise à disposition : 27 Avril 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Patricia GONZALEZ, présidente

– Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

– Aurore JULLIEN, conseillère

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sarl Stone a été créée le 16 avril 1999 et a pour objet social la restauration de type « kebab ».

Elle a eu pour gérants successifs :

– M. [V] [Y] [O] du 1er janvier 2000 au 20 février 2014,

– M. [X] [F] du 20 février au 26 juillet 2014,

– M. [R] [T] du 26 juillet 2014 au 7 juillet 2015.

Par jugement du 7 juillet 2015, le tribunal de commerce de Chambéry, saisi par l’Urssaf Rhône-Alpes, a placé la société Stone en liquidation judiciaire, désigné la Selarl Bouvet et Guyonnet en qualité de mandataire judiciaire et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 7 janvier 2014.

Par acte extrajudiciaire du 20 décembre 2017, le mandataire judiciaire de la société Stone a assigné M. [Y] [O] devant le tribunal de commerce de Chambéry aux fins de le voir condamné à contribuer à l’insuffisance d’actif de la société Stone à hauteur de 200.000 euros.

Par jugement du 29 juin 2018, le tribunal de commerce de Chambéry a prononcé à l’encontre de M. [Y] [O], dans le cadre d’une autre instance, une interdiction générale de gérer pour une durée de 15 ans.

Par jugement contradictoire du 31 octobre 2018, le tribunal de commerce de Chambéry a :

– condamné M. [Y] [O], dirigeant de droit de la société Stone du 28 septembre 2011 au 21 janvier 2014 à payer à la Selarl Bouvet et Guyonnet, agissant en qualité de liquidateur de la société Stone, la somme de 150.000 euros sur le fondement de l’article L.651-2 du code de commerce,

– dit que la somme versée en application de cette décision entrera dans le patrimoine de la société Stone et sera répartie entre tous les créanciers au marc l’euro,

– condamné M. [Y] [O] à payer à la société Bouvet et Guyonnet, ès-qualités ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Stone, la somme de 900 euros à titre d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la présence décision,

– ordonné au greffier de procéder sans délai à la publicité du présent jugement nonobstant toute voie de recours et l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,

– rejeté toutes autres demandes.

M. [Y] [O] a interjeté appel par acte du 13 novembre 2018.

Par arrêt du 3 septembre 2019, la cour d’appel de Chambéry a :

– déclaré le jugement déféré régulier,

– confirmé le jugement frappé d’appel en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

– condamné M. [Y] [O] à payer à la Selarl Bouvet et Guyonnet, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Stone, la somme de 900 euros au titre des frais irrépétibles visés à l’article 700 du code de procédure civile exposés en cause d’appel,

– l’a condamné aux dépens de première instance et d’appel.

M. [Y] [O] a formé un pourvoi en cassation en l’encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 24 mars 2021, la Cour de cassation a :

– cassé et annulé, sauf en ce qu’il a déclaré le jugement déféré régulier, l’arrêt rendu le 3 septembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry,

– remis, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d’appel de Lyon,

– condamné M. [Y] [O] aux dépens,

– en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par M. [Y] [O] et l’a condamné à payer à la société Bouvet et Guyonnet, en qualité de liquidation de la société Stone, la somme de 3.000 euros,

– dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmet pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé.

Elle a estimé que, sans rechercher si une insuffisance d’actif existait déjà au 20 février 2014, date à laquelle M. [Y] [O] a cessé ses fonctions, la cour d’appel ne l’a pas mise en mesure d’exercer son contrôle.

Par acte du 5 mai 2021, M. [Y] [O] a saisi la cour d’appel de Lyon.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 30 septembre 2021 fondées sur l’article L.651-2 du code de commerce, M. [Y] [O] demande à la cour de :

– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamné à contribuer aux dettes sociales,

et statuant à nouveau,

à titre principal :

– juger qu’il n’existait aucune insuffisance d’actif à la date du 21 janvier 2014, date à laquelle il a cessé ses fonctions de gérant de la société Stone et le cas échéant à la date du 20 février 2014 (retenue par la Cour de cassation dans son arrêt),

– débouter, en conséquence, pour ce seul motif, la Selarl Bouvet et Guyonnet de toutes ses demandes,

– juger qu’il n’a commis aucune faute de gestion en qualité de gérant de droit de la société Stone du 28 janvier 2001 jusqu’au 21 janvier 2014, ni même au-delà jusqu’au 20 février 2014,

– débouter en conséquence la Selarl Bouvet et Guyonnet de toutes ses demandes,

dans l’hypothèse où la cour retiendrait une insuffisance d’actif caractérisée et l’existence de fautes de gestion à son encontre,

– juger qu’en tout état de cause lesdites fautes de gestion n’ont pas contribué à l’insuffisance d’actif constatée, faute de lien de causalité,

– débouter, en conséquence, la Selarl Bouvet et Guyonnet de toutes ses demandes,

– condamner, en conséquence, la Selarl Bouvet et Guyonnet à lui rembourser, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, toutes les sommes que ce dernier lui a réglées au titre de l’exécution provisoire dont est revêtu le jugement déféré,

– ordonner au greffier du tribunal de commerce de Chambéry d’effectuer les formalités de publicité rectificative concernant le jugement déféré et ordonner, en tant que de besoin, le retrait de cette publicité,

à titre très subsidiaire :

pour le cas où la cour jugerait qu’il existait une insuffisance d’actif à la date du 21 janvier 2014 ou à celle du 20 février 2014 et qu’il a commis des fautes de gestion ayant contribué à ladite insuffisance d’actif,

– réduire dans de très substantielles proportions le montant de la somme qui pourrait être mise à sa charge au titre de ladite contribution aux dettes sociales,

dans tous les cas,

– condamner la Selarl Bouvet et Guyonnet à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 9 août 2021 fondées sur l’article 638 du code de procédure civile et les articles L.651-1 et suivants, L.653-1 et suivants et R.651-5 du code de commerce, la Selarl Bouvet et Guyonnet demande à la cour de :

– juger que M. [Y] [O] a commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société avant sa démission du 21 janvier 2014,

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

– débouter de toutes demandes, fins et prétentions M. [Y] [O],

en outre,

– condamner M. [Y] [O] au paiement d’une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, d’instance, d’exécution et de recouvrement au titre de la présente instance.

Le ministère public, par avis du 11 mars 2022 communiqué contradictoirement aux parties le 31 mars 2022, a sollicité la confirmation du jugement rendu le 31 octobre 2018 par le tribunal de commerce de Chambéry et s’en est remis aux conclusions déposées par le mandataire judiciaire

La procédure a été clôturée par ordonnance du 9 février 2023, les débats étant fixés au 16 février 2023

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la portée de la cassation

Selon l’article 638 du code de procédure civile, ‘l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation’.

Le liquidateur judiciaire relève que l’arrêt n’a pas remis en cause dans ses premières et deuxièmes branches l’analyse de la cour d’appel sur les fautes de gestion, la cassation partielle a porté sur l’insuffisance d’actif au jour de la démission et les autres points n’ont pas été atteints par la cassation.

Cependant, l’arrêt d’appel a été cassé sauf en ce qu’il a déclaré le jugement régulier ; il en résulte que le liquidateur ne peut se prévaloir de ce que les fautes imputées à M. [Y] sont définitivement établies par décision de justice, s’agissant d’un chef atteint par la cassation. L’existence de fautes de gestion doit en conséquence être réexaminée même si l’analyse des fautes de gestions par la cour d’appel de Chambéry n’a pas été remise en cause.

Sur le bien fondé de l’action en insuffisance d’actif

Aux termes de l’article L 651-2 du code de commerce, ‘Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. (…)

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à l’égard d’un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V du présent code, le tribunal peut également, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine personnel.

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés’.

M. [Y] [O] fait valoir que :

– sa cessation de fonctions est intervenue le 21 janvier 2014 et aucune condamnation ne peut intervenir en l’absence de caractérisation de l’insuffisance d’actif à la date de cessation de ses fonctions, et en outre, le tribunal de commerce et la cour n’ont pas démontré le lien entre fautes de gestion et insuffisance d’actif,

– le tribunal de commerce a retenu des fautes de gestion entraînant un passif fiscal de 253.585 euros ayant pour origine des inobservations et transgressions sur la TVA sur la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007, ce qui ne caractérise pas l’insuffisance d’actif à la date précitée, alors que les redressements ont fait l’objet de dégrèvements en 2010, et un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 31 mai 2016 révèle un vrai différend de fond sur la validité des redressements, étant précisé qu’il n’avait pas été avisé de ces suites,

– le contrôle avait été motivé par le fait que l’ancien expert comptable déposait des liasses en retard ou incomplètes, d’où le choix d’un nouvel expert-comptable, et la procédure aurait dû être régularisée par le mandataire, puisque lui-même n’était plus gérant lors de l’arrêt de la cour administrative d’appel, de sorte qu’il n’a pas retardé la déclaration de cessation des paiements puisque la décision a été prononcée après la fin de ses fonctions,

-sur le redressement des années 2009 et 2010, l’administration n’a pas mis les rappels en recouvrement notifiés en raison d’irrégularités de procédure,

– aucune insuffisance d’actif liée au redressement sur les exercices 2005 et 2007 validé le 31 mai 2016 n’existait donc le 21 janvier 2014 ou 20 février 2014 faute de créance fiscale définitive, il n’y avait donc pas lieu à passer une provision dans les comptes, aucune action n’a d’ailleurs été engagée par l’administration fiscale,

– sur la dette envers l’expert-comptable (honoraires 2009 à 2011), l’existence d’un contentieux justifiée par l’attitude de ce praticien ne démontre pas l’insuffisance d’actif ni d’une faute de gestion, et la dette a été réglée,

– sur le passif social, les cotisations ont été réglées avant le 2ème semestre 2014,

– le mandataire n’a jamais caractérisé l’origine des difficultés financières de la société et l’état de cessation des paiements ne suffit pas, aucune action n’a été engagée avant l’Urssaf en avril 2015, les comptes annuels au 31 décembre 2013 n’ont jamais été versés, et il n’était plus gérant lors de la finalisation de ces comptes le 30 avril 2014, et les comptes précédents ne traduisent aucune insuffisance d’actif.

Il précise que :

– le procès-verbal d’assemblée générale prévoyait que le nouveau gérant assumait l’entière responsabilité des actions passées et futures de la société et aucune condamnation ne peut être prononcée,

– le non dépôt des comptes annuels à compter de l’exercice 2013 ne lui est pas imputable en raison de sa démission, la comptabilité irrégulière n’est justifiée par aucune pièce et les comptes qui relevaient de ses fonctions sont réguliers,

– le report de la date de cessation des fonctions ne caractérise pas une faute de gestion qui lui soit imputable, il n’a pas été informé et n’a pu contester cette date, le chiffre d’affaire avait progressé lors de sa gérance,

– la décision de la continuation de la société malgré la perte de capitaux propres a été prise à une assemblée générale où il était absent car non convoqué,

– sur sa démission et la cession de ses parts sociales, il a exercé un droit et le contrat comportait une garantie de passif et le rappel des procédures en cours,

– la vente des murs de la Sci Keivan à la Sci [F] est logique suite à la cession des parts,

– son emploi comme salarié était bien réel puisqu’il n’exerçait plus aucune fonction de direction ou de gestion, les bulletins de salaire antérieurs au 30 avril 2014 ne mentionnaient que des avantages en nature de nourriture et à partir de juillet 2014 la rémunération mensuelle était de 1.182,76 euros, il n’y a pas eu cumul de fonctions et son licenciement n’est pas une manoeuvre,

– le compte courant d’associé débiteur qui provient d’écritures comptables ne caractérise pas une faute de gestion.

Le liquidateur fait valoir que :

– le dernier bilan n’a pas été remis au liquidateur, mais il a été arrêté, certifié conforme et annexé en copie à l’acte de cession de parts sociales, et remis au cessionnaire ; il mentionne des capitaux propres négatifs (39.087 euros) un passif de 73.653 euros hors dette fiscale, les provisions pour risque n’ont pas été constituées,

– le prix de cession et la moitié des parts sociales a été fixé à 5.000 euros le 21 mai 2014 compte tenu du passif fiscal potentiel ; ce passif existait de la même façon et pour le même montant au 31 décembre 2013 ; le solde des parts sociales est donc de 5.000 euros et l’actif de la société de 10.000 euros au 31 décembre 2013, de grosses sommes sont exclues de la garantie de passif,

– l’insuffisance d’actif est établie avec la cessation des paiements antérieure et les capitaux propres négatifs à la date de retrait du dirigeant alors que le montant de l’insuffisance d’actif est certain,

– M. [Y] [O] fait une lecture tronquée de la procédure devant les juridictions administratives, sa demande de décharge de cotisations et pénalités a été rejetée par le tribunal qui a confirmé le redressement, la cour d’appel a confirmé et les non-paiements concernaient sa période de gérance,

– les factures d’expert comptable impayées relevaient également de sa gestion, ce qui a certainement engendré le non dépôt des comptes ultérieurs,

– les dépôts tardifs des comptes confirment la mauvaise tenue de la comptabilité, et le compte 2013 n’a pas été déposé,

– le compte-courant débiteur est interdit,

– la date de cessation des paiements a été fixée le 1er janvier 2014 eu égard à la comptabilité irrégulière,

– M. [F] ne pouvait être désigné responsable avant sa désignation et la disposition du procès-verbal d’assemblée générale est contraire au droit public, cette mention devait exonérer M. [Y] [O] de sa responsabilité alors qu’il avait une connaissance parfaite de la situation, il a en outre exclu de la garantie de passif (limitée au prix de cession de 5.000 euros) les sommes issues du contentieux fiscal,

– le gérant aurait dû établir des provisions au titre du contentieux fiscal,

– la société n’était pas en mesure dès 2010 de faire face au passif exigible (-36.888 euros) et la perte était supérieure à 50% des capitaux propres,

– après les cessions intervenues, M. [Y] [O] est devenu curieusement salarié de la société pour conserver un contrôle de son fonctionnement, mais il n’exerçait aucunes fonctions, dès lors que le fonds n’était plus exploité (agent polyvalent de la restauration), il a alourdi le passif social, il a profité de l’allocation de sécurisation professionnelle et de la prise en charge de l’AGS.

Il est constant que l’action a été engagée dans les trois ans du jugement de liquidation judiciaire et est recevable. Il convient donc d’examiner successivement’existence d’une insuffisance d’actif, les fautes alléguées et le lien de causalité.

* l’insuffisance d’actif

Il résulte de l’état des créances arrêté par le juge commissaire le 27 juin 2017 que la société Stone présentait un passif définitif de 341.080,68 euros dont un montant privilégié de créances fiscales de TVA de 261.825 euros.

La société Stone ne présentait aucun actif notable en raison de l’impossibilité d’effectuer un contrôle et les locaux avaient été repris par le bailleur suite à la résiliation du bail commercial par la Sci [F] après commandement de payer du 17 février 2015 resté infructueux.

L’insuffisance d’actif a ainsi été établie de manière certaine.

Il convient ensuite de déterminer si cette insuffisance d’actif existait au moment où M. [Y] [O] a cessé ses fonctions.

De manière liminaire, M. [Y] [O] se prévaut de la date du 21 janvier 2014 qui correspond à la date de sa démission de ses fonctions de gérant et de la nomination en cette qualité de M. [F], mais il convient cependant de prendre en considération la seule date du 20 février 2014 retenue par la Cour de cassation et correspondant à celle des mesures de publicité.

Ensuite, bien que la date de cessation des paiements, définitive, n’établisse pas à elle seule l’insuffisance d’actif, il est constant qu’elle est en date du 7 janvier 2014, soit antérieure à la démission, et elle révèle déjà l’insuffisance de l’actif disponible pour faire face au passif exigible à cette date.

S’agissant des pièces comptables permettant de comparer les masses actives et passives, le bilan 2013 n’a pas été remis au liquidateur judiciaire mais il apparaît cependant que si les comptes n’ont pas été déposés, ils ont été arrêtés puisqu’il en est fait état dans l’acte de cession de parts en précisant que le cédant en a remis une copie au cessionnaire. De même, le procès-verbal d’ assemblée générale du 26 février 2014 en fait état et les approuve. Ces comptes permettent d’avoir une vision de la société à une période très proche de la démission. S’ils ne sont pas produits par l’appelant alors qu’ils ont été établis, l’acte de cession de parts fait ressortir des capitaux propres négatifs à hauteur de 39.097 euros et un passif total de 73.653 euros hors dettes fiscales. Il est également fait état en page 7 du litige fiscal portant sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’amende fiscale de distribution pour les années 2005 à 2007, l’administration réclamant un montant de 161.642 euros et 91.540 euros.

S’agissant de cette dette fiscale, il résulte des éléments du dossier que les deux avis de mise en recouvrement du 14 décembre 2009 avaient fait l’objet d’un dégrèvement pour des questions de procédure mais que l’administration avait immédiatement indiqué reprendre la procédure d’imposition de sorte que deux nouveaux avis de mise en recouvrement avaient été reçus en novembre 2010 puis, en raison d’une nouvelle annulation, que deux autres avis avaient été émis le 30 novembre 2010. Une provision pour risques aurait dû être constituée nonobstant l’action devant les juridictions administratives.

S’agissant de l’actif, il résulte de l’acte de cession que le prix de cession de la moitié des parts du capital social de la Sarl Stone a été fixé à 5.000 euros en raison du passif fiscal, ce qui était déjà le cas lorsque l’appelant a cessé ses fonctions de sorte qu’une valeur de 10.000 euros peut être retenue. Il n’est justifié d’aucun autre actif et les capitaux propres étaient déjà négatifs.

Il découle de l’ensemble de ces éléments qu’il existait déjà une insuffisance d’actif lorsque M. [Y] [O] a cessé ses fonctions.

* les fautes de gestion

Il est rappelé que l’action en comblement de passif a pour objet de sanctionner le comportement d’un dirigeant antérieur au jugement d’ouverture de la procédure collective.

En l’espèce, M. [Y] [O] ne peut prétendre échapper à l’action prévue par l’article L 651-2 du tribunal de commerce aux motifs que le nouveau dirigeant serait, selon accord, seul responsables des fautes antérieures à sa nomination et en ce que la garantie de passif ne concernerait pas les dettes fiscales alors qu’il s’agit manifestement de manoeuvres visant à le soustraire à ses responsabilités et à le faire échapper à une sanction encourue.

Il convient de reprendre les fautes de gestion successivement alléguées par le liquidateur.

– il est d’abord reproché à M. [Y] [O] de s’être livré à un ensemble de pratiques ayant abouti à l’existence d’un passif fiscal de l’ordre du 253.585 euros.

Les périodes concernées par le redressement sont les années 2005 à 2007. L’appelant se prévaut de l’annulation du redressement fiscal à la date du 28 novembre 2013 mais ceci ne porte que sur les années 2009 2010.

Il résulte des productions que la société Stone a fait l’objet de vérifications complètes de comptabilité à l’issue desquelles des droits supplémentaires de TVA ont été notifiés pour les années 2005 à 2007, soit à une période où M. [Y] [O] était gérant, outre un rappel d’impôt sur les sociétés. Des dégrèvements ont été émis par l’administration fiscale notamment en 2010 en raison d’erreurs procédurales, donnant lieu à de nouveaux avis de mise en recouvrement annulant et remplaçant les précédents. La société Stone en a été avisée par l’administration fiscale dès le 12 juillet 2010.

Le 18 juillet 2011, le tribunal administratif de Grenoble a été saisi par la société Stone, laquelle contestait la régularité des avis, aux fins de décharge, outre pénalités, de cotisations supplémentaires ; cependant, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la requête de la société Stone par jugement du 18 juillet 2014 et confirmé le redressement à hauteur de 253.585 euros. Cette décision a été confirmé par arrêt de la cour administrative de Lyon du 31 mai 2016.

Il en découle, même si le dirigeant n’était plus en fonction lors du prononcé de la décision définitive, qu’il est bien à l’origine du passif fiscal constitué notamment par des pénalités très importantes en raison de recettes manifestement dissimulées (vente de marchandises non assujeties à la TVA). Il lui appartenait par ailleurs de provisionner les sommes réclamées en raison de l’instance en cours, ce qu’il n’a pas fait de sorte que la situation comptable de la société était considérablement faussée. Il en découle une faute de gestion distincte d’une simple négligence.

– le non paiement des factures de l’expert comptable et le non dépôt des comptes annuels

Il résulte des productions que les honoraires d’expert-comptable se rapportant aux années 2009 à 2011 n’ont pas été réglés pour un montant de 25.350 euros,. Cette dette apparaît toujours sur l’état des créances et elle a eu nécessairement un impact dur le non dépôt des comptes annuels à partir de l’exercice clos le 31 décembre 2012 et les comptes 2011 ont été déposés tardivement. M. [Y] [O] sur lequel reposait les obligations comptables en qualité de dirigeant ne peut se retrancher derrière la responsabilité de l’ancien expert comptable dont il ne réglait pas les honoraires. La faute est retenue.

– le compte courant d’associé de M. [Y]

Il est rappelé qu’il est interdit d’avoir un compte d’associé débiteur. Or, lors de la cession du 21 mai 2014, M. [Y] [O] disposait d’un compte d’associé débiteur à hauteur de 3.065 eurosce qui constitue une faute de gestion volontaire et distincte d’une simple négligence.

– la comptabilité irrégulière

Comme vu supra, M. [Y] [O] aurait dû du établir des provisions pour restituer la situation réelle de la société et anticiper le risque engendré par le contentieux fiscal, qu’il avait d’ailleurs mentionné dans l’acte de cession de parts sociales. Il s’agit d’une faute de gestion distincte d’une simple négligence.

– la perte de capitaux propres. Ceux-ci étaient dès 2010 inférieurs de plus de moitié de l’actif net et aucune mesure de redressement n’a été envisagée, ce qui est une faute de gestion à retenir.

– la qualité de salarié de l’ancien gérant

M. [Y] [O] est devenu salarié de la société cédée en qualité d’agent polyvalent de la restauration afin manifestement de conserver un contrôle sur son fonctionnement et notamment sur une période où le fonds n’était plus exploité et le bail cédé. Ce comportement qui caractérise une gestion de fait a encore alourdi le passif social sans que la réalité d’une activité salariée ne soit démontrée d’autant que l’ancien gérant a ensuite bénéficié d’une convention de sécurisation professionnelle. La faute est retenue.

* le lien de causalité

L’appelant fait valoir qu’en tout état de cause, les fautes de gestion n’ont pas contribué à l’insuffisance d’actif, la cessation des paiements malgré sa fixation au 7 janvier 2014 n’est pas liée à sa gestion, qu’il n’est pas responsable du détournement du bail commercial.

La faute de gestion prouvée à l’encontre du dirigeant doit avoir contribué à l’insuffisance d’actif selon les dispositions susvisées et il suffit qu’elle y ait seulement contribué.

Il résulte de l’état des créances que le passif définitif est constitué à titre principal par de très importantes créances fiscales ayant pour origine le redressement portant sur les années 2005/2007. Ces créances étaient exigibles alors que M. [Y] [O] était le représentant de la société, peu important la vaine procédure intentée ensuite devant les juridictions administratives pour contester la dette et le fait que les décisions de ces juridictions aient été rendues après la gérance de l’appelant. Il est également constitué à hauteur de 23.116,51 euros par la créance de l’expert comptable qui était également exigible alors que M. [Y] [O] était le dirigeant de la société, ce qui a généré la perte des actifs.

Il en découle que le lien de causalité est établi, les fautes de gestion de l’appelant ayant contribué à l’insuffisance d’actif.

Sur la sanction

M. [Y] [O] ne donne aucun élément sur sa situation financière et notamment sur son patrimoine immobilier et il ne justifie d’aucun effort financier pour éteindre ne serait ce que pour partie les dettes de la société.

En conséquence, le montant de la condamnation retenu par le premier juge apparaît proportionné aux fautes commises et à la situation du dirigeant et ce montant est confirmé.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. [Y] [O] supportera les dépens afférents à la procédure de première instance, le tribunal de commerce ayant à tort décidé de l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire alors qu’il s’agit d’une sanction personnelle du dirigeant, ainsi que les dépens des deux instances d’appel en application de l’article 639 du code de procédure civile.

Il versera en outre à son adversaire la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

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