La liberté d’informer a une nouvelle fois primé sur le droit à l’image. La directrice du développement ressources humaines chez Lidl a été déboutée de sa demande en atteinte à son droit à l’image contre le producteur de l’émission Cash investigations.
Pratiques managériales de la société Lidl
En l’espèce, la salariée affirme l’existence d’une atteinte à son image, à sa voix et à son identité et indique qu’à l’occasion de la soirée de célébration de la certification Top Employer, elle s’est retrouvée embusquée par les équipes de Premières lignes télévision qui ont sollicité des éléments de réponse sur les pratiques managériales de la société Lidl ainsi que sur le suicide d’une responsable de magasin Lidl en septembre 2021.
Elle explique qu’après avoir éconduit les équipes de Premières lignes télévision en raison notamment de son absence d’habilitation à s’exprimer au nom de Lidl, elle s’est très rapidement retrouvée sous un déluge de questions et une pression de plus en plus forte des journalistes.
Selon elle, le harcèlement a duré près de quatre minutes sans qu’elle réponde à aucune question, avant que les équipes de « Top Employer » la prennent en charge et l’accompagnent aux toilettes pour la protéger des équipes de Premières Lignes Télévision qui l’y ont poursuivie.
Il se déduit de l’ensemble de ces circonstances non contestées que la salariée n’a pas consenti à la captation de son visage, de sa voix et de son identité.
Droit au respect dû à l’image d’une personne
Le reportage de Cash Investigation s’intéresse aux pratiques managériales de la société Lidl et il s’agit d’une question susceptible d’intéresser le public et de prévaloir sur le droit à l’image de la personne.
Le droit au respect de la vie privée et le droit au respect dû à l’image d’une personne, d’une part, et le droit à la liberté d’expression, d’autre part, ont la même valeur normative.
Il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Mise en balance des droits en présence
Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, [W] et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93).
Une précédente émission de Cash Investigation en 2017 s’était intéressée aux outils technologiques et aux directives de travail mises en place par la société Lidl et avait tenté de démontrer que ce management générait d’importantes souffrances et des conditions de travail dégradées, dénoncées par des salariés du groupe ainsi que des syndicats, illustrées par le suicide d’un salarié travaillant dans un entrepôt.
Pour recueillir la parole de la société Lidl, une journaliste avait pu interviewer, à l’époque cogérant de Lidl France et président des relations sociales, pour répondre à l’ensemble des questions sur les dysfonctionnements relevés par l’enquête de la journaliste.
La société Lidl a mis en place une large campagne de communication ressources humaines en 2022 intitulée « Bien plus qu’un job », axée sur le bien-être de ses salariés, accompagnée d’un programme intitulé « PEP’S Pour des Equipes en Pleine Santé ». Des spots de la campagne de communication ont été diffusés et font intervenir des salariés de la société Lidl aux côtés de proches pour témoigner de l’épanouissement que leur procure leur activité professionnelle.
La juridiction a considéré que la captation non autorisée du visage et de la voix de la DRH de Lidl, accompagnée de son identification, intervient dans un légitime débat d’intérêt général, de longue haleine, portant sur les pratiques managériales d’un grand groupe de distribution.
La DRH a fait valoir sans succès qu’en l’absence de toute habilitation à parler au nom de la société Lidl, elle n’a répondu à aucune des questions qui lui ont été posées, de sorte que la diffusion de cette séquence filmée n’apporterait aucune contribution au sujet traité, ni ne nourrira la réflexion du public, puisqu’elle ne participe ni à la description ni à la dénonciation des conditions de travail des salariés de Lidl ou de ses pratiques managériales. S’appuyant sur un arrêt de la CEDH, elle soutient que même si le sujet à l’origine de l’article relève de l’intérêt général, il faut encore que le contenu de l’article soit de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question (CEDH, arrêt du 29 mars 2016, [T] c. Suisse [GC], n° 56925/08, § 64).
Cependant, la jurisprudence citée est intervenue au sujet d’un publication portant directement sur la vie privée d’autrui, dans une espèce qui n’est pas comparable celle de la présente instance. Le requérant journaliste, alléguait que sa condamnation à payer une amende pénale pour avoir publié des informations couvertes par le secret de l’instruction avait violé son droit à la liberté d’expression.
A l’occasion de l’examen de cette question, la cour avait donc considéré que « la question qui se pose est celle de savoir si le contenu de l’article et, en particulier, les informations qui étaient couvertes par le secret de l’instruction » étaient de nature à nourrir le débat ou « simplement à satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie strictement privée du prévenu ».
Dans la présente instance, la vie privée de la DRH n’était pas en cause, il s’agissait donc seulement de vérifier si son refus de répondre aux questions de la journaliste est de nature à nourrir le débat public.
Or, le fait que la société Lidl ait refusé d’accorder à plusieurs reprises une interview à l’équipe de Cash Investigation, en se bornant à accepter de répondre à des questions par écrit, et qu’elle ait envoyé à la cérémonie Top Employer un cadre supérieur qui n’était pas mandaté pour répondre aux questions alors que cinq jours avant, le journaliste avait réitéré sa demande d’interview audiovisuelle, est susceptible d’être interprété dans le cadre du débat public et de contribuer à la perception de la manière dont la société Lidl accepte d’y participer.
Au demeurant, il n’appartient pas au juge de se substituer à la presse dans la manière de traiter un sujet, l’article 10 de la CEDH laissant aux journalistes le soin de décider quels détails doivent être publiés pour assurer la crédibilité d’une publication et de choisir, parmi les informations qui leur parviennent, celles qu’ils traiteront et la manière dont ils le feront (CEDH, [W] et Hachette Filipacchi associés c. France précité, § 139). Dans le cas présent, il n’appartient pas à la cour de décider que le refus de la DRH de s’exprimer est dépourvu d’intérêt, en ce qu’il n’apporterait aucune contribution au sujet traité, ni ne nourrirait la réflexion du public.
Liberté d’expression et vie privée : les principes applicables
En vertu de l’article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le 1er alinéa de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
L’article 10 de la même convention pose le principe que toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
En vertu de l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
En vertu de l’article 16 du même code, la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie.
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