Protection étendue de la marque Red Bull

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Malgré l’identité des produits concernés et le faible degré d’attention du public pertinent, en l’état des différences visuelle et phonétique entre les marques et signes « Red Bull » et « Toro », le consommateur n’apparaît pas susceptible d’attribuer une origine commune aux produits en cause. La contrefaçon de marque n’est donc pas constituée. 

Toutefois, la société Red Bull est en droit d’interdire le signe Toro au titre de la protection des marques de renommée.  

Red Bull c/ Toro 

Le 15 octobre 2021, la Direction régionale des douanes du Havre a informé la société Red Bull de la mise en retenue de 2.400 bouteilles de boisson énergétique « TORO » en provenance de Haïti et potentiellement contrefaisantes des marques RED BULL. 

Afin d’apprécier le degré de similitude existant entre les signes en conflit, il y a lieu de déterminer leur degré de similitude visuelle, phonétique et conceptuelle et, le cas échéant, d’évaluer l’importance qu’il convient d’accorder à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou de services en cause ou des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (arrêts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, EU:C:1999:323, point 27, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05 P, EU:C:2007:333, point 36 ; et récemment arrêt du 4 mars 2020, Equivalenza Manufactory SL, C-328/18 P, point 68). 

Les produits en cause sont identiques s’agissant dans les deux cas de boissons énergétiques. Le public pertinent est ici le grand public, vu le mode de commercialisation des boissons énergétiques. Son degré d’attention est modéré voire faible.

Comparaison des signes en présence 

D’un point de vue visuel, la marque de l’Union européenne no001143122 invoquée est constituée d’un fond composé d’un damier penché, bleu et argenté, avec en son centre, apposé en police rouge, les mentions « Red Bull » et « ENERGY DRINK ». Entre ces deux éléments sont représentés deux taureaux de couleur rouge, positionnés de profil et en position d’attaque. En arrière plan de ces deux taureaux se trouve un cercle de couleur jaune. La marque internationale no969260 invoquée porte sur la représentation d’un taureau de profil de couleur noire sur le point de charger.

Le signe dont sont revêtues les marchandises litigieuses reprend le fond de couleur bleue à l’intérieur d’un arc de cercle sur un fond gris argenté, les coloris choisis étant identiques à ceux de la marque no001143122. 

Le signe comporte également au premier plan deux ensembles de termes, à savoir en partie haute, en rouge, le terme « TORO » et en bleu la mention « ENERGY DRINK ». Le signe comporte encore, en position centrale un taureau de couleur principalement noir, positionné de 3/4 sur le point de charger.

Il en résulte que les signes sont, visuellement, faiblement similaires et, phonétiquement, de la même manière faiblement similaires, les termes d’attaques « Red Bull » et « Toro » étant distincts. 

Une ressemblance conceptuelle forte

En revanche, la ressemblance conceptuelle entre les marques opposées et le signe litigieux, par l’usage dans les deux cas des synonymes « Bull » et « Toro », ainsi et surtout que de la représentation d’un taureau en situation de charger, symbole de puissance, apparaît forte.

Qui ne connaît pas Red Bull ?

La protection des marques de renommée a été accordée au signe Red Bull. 

La notion de « renommée » suppose, au sein du public pertinent, un certain degré de connaissance qui doit être considéré comme atteint lorsque la marque est connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque. 

Dans l’examen de cette condition, le juge doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés par l’entreprise pour la promouvoir (arrêt PAGO International, C-301/07, points 21 à 25 ; arrêt du 3 septembre 2015, Iron & Smith kft c/ Unilever NV, C-125/14, points 18 et 19). Dans cette dernière affaire, interprétant les dispositions identiques de la directive no2008/95/CE rapprochant les législations des États membres sur les marques,la Cour de justice de l’Union européenne a également dit pour droit que la renommée d’une marque établie sur une partie substantielle du territoire de l’Union européenne, pouvait, le cas échéant, coïncider avec le territoire d’un seul État membre.

En outre, la protection des marques renommées s’applique à des situations d’usage sans juste motif d’un signe qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée d’une marque ou lui porte préjudice (voir arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, points 34 et 36), en présence d’éléments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle (arrêts du 11 novembre 1997, SABEL C-251/95, Rec. p. I-6191, point 23 in fine, et du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, points 25 et 27 in fine). 

Les atteintes, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C-375/97, Rec. p. I-5421, point 23). L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir l’arrêt du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon AG, Adidas Benelux BV et Fitnessworld Trading Ltd, C-408/01, point 31)

Les documents produits établissent l’importance de ses investissements en marketing et publicité réalisés pour promouvoir ses produits et ses marques, lesquelles sont présentes sous la forme de la marque de l’Union européenne no00114312, sur les canettes vendues en France, dans de nombreuses publicités et dans des opérations de sponsoring sportif. 

Il est également établi que la boisson énergétique Red Bull, a été lancée en Autriche en 1987, soit il y a environ 35 ans, et qu’elle est désormais vendue dans 173 pays dans le monde, et en France, depuis près de 15 ans, où elle a atteint 173,3 millions d’unités vendues en 2019, ce qui représente plus de la moitié des parts de ce marché. 

L’ensemble de ces éléments doit conduire à reconnaître que cette marque est connue d’une partie significative du public et qu’elle est de ce fait renommée. 

En l’occurrence, le public pertinent, en l’état des emprunts des signes à la marque no00114312 (le code couleur bleu et gris argenté, la représentation d’un taureau en position de charge, aggravé par l’usage du mot « Toro » ), sera conduit à faire un lien immédiat avec la marque de la société demanderesse, laquelle jouit d’une très importante renommée dans le secteur des boissons énergisantes.Et comme le soulève la demanderesse, ce lien sciemment entretenu permet manifestement aux défenderesses de s’inscrire dans le sillage de cette renommée pour s’épargner le coût de développement de leur marque, ce qui, sans juste motif, tire indument profit de la renommée de la marque. 

L’atteinte à la renommée de la marque de l’Union européenne no00114312 est dès lors caractérisée, sous la forme d’une importation et d’une exportation imputables aux sociétés défenderesses.

Le règlement sur la marque de l’Union européenne 

Pour rappel, aux termes de l’article 9 « Droit conféré par la marque de l’Union européenne » du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne : 

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque : (…) 

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ; (…)

3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2: 

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; 

b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe; 

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe; (…). » 


TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS 

3ème chambre 

3ème section

No RG 21/15800 – 

No Portalis 352J-W-B7F-CVQNN

No MINUTE : 

Assignation du :

12 Novembre 2021

JUGEMENT 

rendu le 27 Septembre 2022 

DEMANDERESSE

Société RED BULL GMBH

[Adresse 3]

[Adresse 3] (AUTRICHE)

représentée par Maître Clara STEINITZ de la SELARL TALIENS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0320

DÉFENDERESSES

Société CANHAIDOM TRADING

[Adresse 1]

[Adresse 1] (HAÏTI)

défaillante

S.A.S.U. LIDY SERVICES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

Arthur COURILLON-HAVY, juge

Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l’audience du 08 juin 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2022 et prorogé en dernier lieu au 27 septembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Réputé contradictoire

En premier ressort

Exposé du litige

1. La société de droit autrichien Red Bull GmbH se présente comme un leader mondial des boissons énergétiques qu’elle commercialise également en France depuis le 1er avril 2008. Aux fins de cette activité, la société Red Bull est titulaire de plusieurs marques :

— la marque semi-figurative de l’Union européenne no001143122 enregistrée le 14 avril 2000 pour désigner notamment les « boissons non-alcooliques, en particulier les boissons énergétiques » en classe 32:

— la marque figurative internationale désignant l’Union européenne no969260 enregistrée le 10 juin 2009 pour désigner notamment les « boissons non-alcooliques, en particulier les boissons énergétiques » en classe 32 :

2. Le 15 octobre 2021, la Direction régionale des douanes du Havre a informé la société Red Bull de la mise en retenue de 2.400 bouteilles de boisson énergétique « TORO » en provenance de Haïti et potentiellement contrefaisantes des marques RED BULL, se présentant comme suit :

3. Le 22 octobre 2021, les douanes ont fait droit à la demande de levée du secret professionnel formulée par la société Red Bull, en lui transmettant les informations suivantes à propos des produits litigieux:

« Expéditeur : CANHAIDOM TRADING, [Adresse 1].

Destinataire : LIDY SERVICES, [Adresse 2]. »

4. A réception de ces informations, la société Red Bull a exercé son droit d’inspection des produits litigieux et c’est dans ce contexte que, par actes d’huissier des 12 et 15 novembre 2021, cette société a fait assigner les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques internationale et de l’Union européenne et atteinte à la renommée de ses marques. 

5. Les défenderesses ont été citées, l’une par dépôt de l’acte à l’étude de l’huissier, l’autre par transmission de l’acte par la voie diplomatique par l’intermédiaire du parquet, en l’absence de convention liant la France et la République d’Haïti. En dépit de la relance adressée le 25 avril 2022 aux autorités consulaires haïtiennes, aucune des sociétés défenderesses n’a constitué avocat. C’est en cet état que la procédure a été clôturée conformément aux dispositions des articles 684 à 688 du code de procédure civile le 13 mai 2022 et plaidée à l’audience du 08 juin 2022.

6. Aux termes de son assignation, la société Red Bull demande au tribunal au visa des articles L. 713-2, L. 713-3-1 et L. 716-7 du code de la propriété intellectuelle, des articles 9 et 10 du règlement 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne et des articles 699 et 700 du code de procédure civile de : 

1. Sur la contrefaçon de la marque de l’Union européenne no001143122 et de la marque 

internationale désignant l’Union européenne no969260 : 

– DIRE que l’importation et exportation des 2.400 bouteilles « Toro » revêtues d’un signe 

similaire à la marque de l’Union européenne no001143122 par les défenderesses constituent des actes de contrefaçon de cette marque ; 

– DIRE que l’importation et exportation de 2.400 bouteilles « Toro » revêtues d’un signe 

similaire à la marque internationale désignant l’Union européenne no969260 par les défenderesses constituent des actes de contrefaçon de cette marque ; 

En conséquence : 

– CONDAMNER solidairement la société Canhaidom Trading et la société Lidy Services au paiement d’une somme forfaitaire de 15.000 euros, à titre de dommages-intérêts dus au titre de la contrefaçon de marques ; 

2. Sur l’atteinte à la marque renommée de l’Union européenne no001143122 : 

– DIRE que la marque de l’Union européenne no001143122 est renommée au sens de l’article 

9 du Règlement 2017/1001 du parlement européen et du conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne ; 

– DIRE que l’importation et exportation de 2.400 bouteilles « Toro » revêtues d’un signe 

similaire à la marque de l’Union européenne no001143122 par les défenderesses constituent des actes de contrefaçon portant atteinte à la renommée de cette marque ; 

– CONDAMNER solidairement la société Canhaidom Trading et la société Lidy Services au 

paiement d’une somme forfaitaire de 15.000 euros, à titre de dommages-intérêts dus au titre de l’atteinte à la marque renommée ; 

3. Sur les autres demandes : 

– ORDONNER la destruction des 2.400 bouteilles « Toro » ayant fait l’objet d’une retenue douanière, conservées auprès des Douanes du Havre, solidairement aux frais de la société 

Canhaidom Trading et de la société Lidy Services ; 

– INTERDIRE l’importation, la mise en circulation sur le marché français et l’exportation de boissons sous le signe contrefaisant, sous astreinte de 500 euros par exemplaire en infraction ; 

– CONDAMNER solidairement la société Canhaidom Trading et la société Lidy Services à verser à la société Red Bull GmbH la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; 

– CONDAMNER solidairement la société Canhaidom Trading et la société Lidy Services aux 

entiers dépens qui seront recouvrés par la SELARL Taliens, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ; 

– ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir, en ce compris ses dispositions 

relatives à l’article 700 et aux dépens, nonobstant appel et sans constitution de garantie. 

MOTIFS

7. A titre liminaire, il est rappelé que selon l’article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée. De même, conformément à l’article 473 du même code, le jugement étant susceptible d’appel, il sera réputé contradictoire. 

1) Sur la contrefaçon

Moyens des parties

8. La demanderesse soutient qu’il existe un risque de confusion entre les marchandises litigieuses et celles qui sont revêtues des marques Red Bull, en ce que le signe représenté sur les bouteilles est selon elle hautement similaire aux marques. Elle fait à cet égard valoir que les marchandises sont identiques aux produits pour lesquels ses marques sont enregistrées, à savoir les « boissons énergétiques » en classe 32. Elle ajoute, concernant la marque no001143122, que, sur le plan visuel, les signes reprennent le fond composé de formes grises et bleues, la représentation d’un taureau et des inscriptions de couleur rouge. Elle soutient encore que, sur le plan conceptuel, chacun des signes sera immédiatement perçu par le public pertinent comme véhiculant le même concept par l’usage d’un taureau en position de charge. S’agissant de la marque internationale no969260, la société Red Bull soutient que les deux signes, en faisant l’un et l’autre usage d’un taureau sur le point de charger, partagent également de fortes similitudes visuelle et conceptuelle. La société Red Bull en déduit que l’identité des produits et les nombreuses similitudes visuelles, phonétiques et conceptuelles des signes créent un risque évident de confusion dans l’esprit du public, amené à croire, à tort, que les marchandises litigieuses proviennent de la société Red Bull ou d’une entreprise qui lui est économiquement liée. 

9. Enfin, la société Red Bull rappelle qu’en expédiant les marchandises vers la France, la société Canhaidom Trading effectue un acte d’exportation à destination de l’Union européenne, tandis qu’en étant destinataire de ces marchandises, la société Lidy Services en est l’importatrice sur le territoire de l’Union. 

Appréciation du tribunal

10. Aux termes de l’article 9 « Droit conféré par la marque de l’Union européenne » du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne : 

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque : (…) 

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ; (…)

3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2: 

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; 

b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe; 

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe; (…). » 

11. Afin d’apprécier le degré de similitude existant entre les signes en conflit, il y a lieu de déterminer leur degré de similitude visuelle, phonétique et conceptuelle et, le cas échéant, d’évaluer l’importance qu’il convient d’accorder à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou de services en cause ou des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (arrêts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, EU:C:1999:323, point 27, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05 P, EU:C:2007:333, point 36 ; et récemment arrêt du 4 mars 2020, Equivalenza Manufactory SL, C-328/18 P, point 68). 

12. Les produits en cause sont identiques s’agissant dans les deux cas de boissons énergétiques. Le public pertinent est ici le grand public, vu le mode de commercialisation des boissons énergétiques. Son degré d’attention est modéré voire faible.

13. D’un point de vue visuel, la marque de l’Union européenne no001143122 invoquée est constituée d’un fond composé d’un damier penché, bleu et argenté, avec en son centre, apposé en police rouge, les mentions « Red Bull » et « ENERGY DRINK ». Entre ces deux éléments sont représentés deux taureaux de couleur rouge, positionnés de profil et en position d’attaque. En arrière plan de ces deux taureaux se trouve un cercle de couleur jaune. La marque internationale no969260 invoquée porte sur la représentation d’un taureau de profil de couleur noire sur le point de charger.

14. Le signe dont sont revêtues les marchandises litigieuses reprend le fond de couleur bleue à l’intérieur d’un arc de cercle sur un fond gris argenté, les coloris choisis étant identiques à ceux de la marque no001143122. Le signe comporte également au premier plan deux ensembles de termes, à savoir en partie haute, en rouge, le terme « TORO » et en bleu la mention « ENERGY DRINK ». Le signe comporte encore, en position centrale un taureau de couleur principalement noir, positionné de 3/4 sur le point de charger.

15. Il en résulte que les signes sont, visuellement, faiblement similaires et, phonétiquement, de la même manière faiblement similaires, les termes d’attaques « Red Bull » et « Toro » étant distincts. En revanche, la ressemblance conceptuelle entre les marques opposées et le signe litigieux, par l’usage dans les deux cas des synonymes « Bull » et « Toro », ainsi et surtout que de la représentation d’un taureau en situation de charger, symbole de puissance, apparaît forte.

16. En l’occurrence, malgré l’identité des produits concernés et le faible degré d’attention du public pertinent, ce public, en l’état des différences visuelle et phonétique entre les marques et le signe, lesquelles ne sont pas compensées par leur ressemblance conceptuelle, n’apparaît pas susceptible d’attribuer une origine commune aux produits en cause. La contrefaçon de marque n’est donc pas constituée. 

2) Sur l’atteinte à la renommée 

Moyens des parties

17. La demanderesse soutient que la marque no001143122 bénéficie d’une grande renommée dans le monde, et notamment en France et en Europe, en relation avec les boissons énergétiques. Elle fait à cet égard valoir que la boisson énergétique Red Bull, lancée en Autriche en 1987, est désormais vendue dans 173 pays dans le monde, et notamment en France, depuis le 1er avril 2008. La marque en cause est en outre largement utilisée en relation avec la promotion et la vente des boissons dont le volume a atteint 173,3 millions d’unités en 2019, ce qui représente plus de la moitié des parts de ce marché. Elle fait également valoir que l’EUIPO, l’INPI et ce tribunal ont reconnu à différentes reprises la renommée de la marque no001143122. 

18. La société Red Bull en déduit que les défenderesses cherchent à profiter de la connaissance par le public de la marque en cause dans le secteur des boissons énergétiques en se ménageant les risques et les coûts liés à l’introduction d’une marque nouvelle et inconnue dans ce même secteur et en s’abstenant d’entreprendre ses propres efforts de marketing. 

Appréciation du tribunal 

19. Aux termes de l’article 9 du règlement (UE) 2017/1001 précité : 

« (…) 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque: (…) 

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice. 

3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2: 

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; 

b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe; 

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe; (…). » 

20. La notion de « renommée » suppose, au sein du public pertinent, un certain degré de connaissance qui doit être considéré comme atteint lorsque la marque est connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque. Dans l’examen de cette condition, le juge doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés par l’entreprise pour la promouvoir (arrêt PAGO International, C-301/07, points 21 à 25 ; arrêt du 3 septembre 2015, Iron & Smith kft c/ Unilever NV, C-125/14, points 18 et 19). Dans cette dernière affaire, interprétant les dispositions identiques de la directive no2008/95/CE rapprochant les législations des États membres sur les marques,la Cour de justice de l’Union européenne a également dit pour droit que la renommée d’une marque établie sur une partie substantielle du territoire de l’Union européenne, pouvait, le cas échéant, coïncider avec le territoire d’un seul État membre.

21. En outre, la protection des marques renommées s’applique à des situations d’usage sans juste motif d’un signe qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée d’une marque ou lui porte préjudice (voir arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, points 34 et 36), en présence d’éléments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle (arrêts du 11 novembre 1997, SABEL C-251/95, Rec. p. I-6191, point 23 in fine, et du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, points 25 et 27 in fine). Les atteintes, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C-375/97, Rec. p. I-5421, point 23). L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir l’arrêt du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon AG, Adidas Benelux BV et Fitnessworld Trading Ltd, C-408/01, point 31)

22. Les documents produits par la société demanderesse établissent l’importance de ses investissements en marketing et publicité réalisés pour promouvoir ses produits et ses marques, lesquelles sont présentes sous la forme de la marque de l’Union européenne no00114312, sur les canettes vendues en France, dans de nombreuses publicités et dans des opérations de sponsoring sportif. Il est également établi que la boisson énergétique Red Bull, a été lancée en Autriche en 1987, soit il y a environ 35 ans, et qu’elle est désormais vendue dans 173 pays dans le monde, et en France, depuis près de 15 ans, où elle a atteint 173,3 millions d’unités vendues en 2019, ce qui représente plus de la moitié des parts de ce marché. L’ensemble de ces éléments doit conduire à reconnaître que cette marque est connue d’une partie significative du public et qu’elle est de ce fait renommée. 

23. En l’occurrence, le public pertinent, en l’état des emprunts des signes à la marque no00114312 (le code couleur bleu et gris argenté, la représentation d’un taureau en position de charge, aggravé par l’usage du mot « Toro » ), sera conduit à faire un lien immédiat avec la marque de la société demanderesse, laquelle jouit d’une très importante renommée dans le secteur des boissons énergisantes.Et comme le soulève la demanderesse, ce lien sciemment entretenu permet manifestement aux défenderesses de s’inscrire dans le sillage de cette renommée pour s’épargner le coût de développement de leur marque, ce qui, sans juste motif, tire indument profit de la renommée de la marque. L’atteinte à la renommée de la marque de l’Union européenne no00114312 est dès lors caractérisée, sous la forme d’une importation et d’une exportation imputables aux sociétés défenderesses.

3) Sur les mesures indemnitaires et réparatrices

24. L’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle dispose que  » Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

25. L’article L. 716-4-11 du même code prévoit qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur.

26. L’apposition du signe litigieux portant atteinte à la renommée de la marque no001143122 sur les bouteilles en cause, leurs mise sur le marché, importation et exportation vers la France, cause un préjudice financier et moral certain à la société Red Bull, par l’atteinte à ses investissements aux fins d’assurer la promotion de cette marque. Cette société en sollicite ici la réparation forfaitaire et il convient de faire droit à sa demande à hauteur de 4 500 euros, cette somme tenant compte du volume de 2 400 bouteilles saisies et de leur retrait des circuits commerciaux. 

27. Des mesures d’interdiction et de destruction doivent être ordonnées selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. Le préjudice étant entièrement réparé par ces différentes mesures, la demande de publication de la présente décision sera rejetée.

4) Dispositions finales

28. Parties perdantes au sens de l’article 696 du code de procédure civile, les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu’à payer à la société Red Bull, sous la même solidarité imparfaite, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

29. L’exécution provisoire est de droit, et aucun motif ne commande de l’écarter au cas présent y compris en ce qui concerne la destruction des bouteilles de boissons énergisantes contrefaisantes saisies.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

CONDAMNE in solidum les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services à payer à la société Red Bull la somme de 4.500 euros au titre de l’atteinte à la renommée de sa marque no001143122 ;

ORDONNE la destruction des 2 400 bouteilles « Toro » faisant l’objet d’une retenue douanière auprès des douanes du Havre, dont les frais seront supportés in solidum par les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services ; 

FAIT INTERDICTION aux sociétés Canhaidom Trading et Lidy Servicesd’exporter, importer, mettre en circulation sur le territoire de l’Union européenne des boissons énergétiques sous le signe constitué d’un arc de cercle bleu sur fond argenté avec en son centre le signe « Toro » ainsi que la représentation d’un taureau de couleur noir, de 3/4, sur le point de charger, ce signe portant atteinte à la renommée de la marque no001143122, et ce, sous astreinte de 50 euros par infraction constatée (c’est à dire par bouteille contrefaisante) courant à l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ;

REJETTE les demandes fondées sur la contrefaçon de marques ainsi que la demande de publication de la présente décision ; 

CONDAMNE in solidum les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services aux dépens et autorise la société d’avocats Taliens à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision;

CONDAMNE in solidum les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services à à payer à la société Red Bull la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; 

RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l’exécution provisoire y compris en ce qui concerne la destruction des produits saisis. 

Fait et jugé à Paris le 27 Septembre 2022.

La Greffière La Présidente

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