Le calcul du délai de prescription pour agir en nullité de l’acquisition d’une d’oeuvre d’art (fausse / contrefaisante) court dès la naissance chez l’acheteur d’un doute sérieux quant à l’authenticité de l’oeuvre litigieuse.
Refus de vente aux enchères de l’oeuvre
En l’occurrence, l’acheteur s’était heurté à deux reprises à un refus de vente aux enchères du tableau tant par la société Christie’s en octobre 2011 que par la société Tajan le mois suivant, chacune des sociétés de vente ayant consulté le détenteur du droit moral sur l’oeuvre (considéré comme l’expert le plus pertinent du peintre) lequel avait indiqué considérer l’oeuvre comme un faux.
Le point de départ de la prescription quinquennale prévue à l’article 1304 du code civil courait en conséquence à compter de cette connaissance.
Consentement vicié de l’acheteur
Pour rappel, l’article 1109 ancien du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à la date de la vente dispose qu’il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur et l’article 1110 ancien énonce, en son alinéa 1er que l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.
Il appartient à l’acquéreur qui sollicite l’annulation de la vente de prouver que l’authenticité de l’oeuvre se heurte à des doutes réels et sérieux.
Prescription quinquennale
L’article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable au litige au regard de la date de la vente dont la nullité est sollicitée, dispose que :
Dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.
Le délai de l’action en nullité de la vente d’une oeuvre d’art pour erreur sur la substance ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non simplement soupçonnée, soit au jour où l’acquéreur a eu un doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’oeuvre.
Selon l’article 1383-2 du code civil, l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté, il fait foi contre celui qui l’a fait et est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait.
Pas de suspension de la prescription
Par ailleurs, l’article 2234 du code civil prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
L’acheteur s’est prévalu inutilement d’une impossibilité d’agir résultant de l’accident qui lui aurait causé des troubles neuro-psychologiques du discernement. Son action en nullité de la vente était prescrite.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/15324 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCROS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Octobre 2020 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 18/13955
APPELANT
Monsieur [L] [O]
né le 28 juin 1960 à [Localité 6]
[Adresse 8]
[Localité 2]
Représenté par Me Jean-Loup NITOT de la SELAS NITOT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0208
INTIMÉES
BYBLOS
S.A.R.L. immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le numéro B 403 032 451
exerçant sous l’enseigne ‘GALERIE DES REMPARTS’
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Michaël DRAY de la SELEURL DRAY-AVOCAT.FR, avocat au barreau de PARIS, toque : E81
GALERIE TAMENAGA FRANCE
S.A. immatriculée au R.C.S. de PARIS sous le numéro 70202830900012
prise en la personne de son Président Directeur Général, Monsieur [V] [P], domicilié audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Sylviane BRANDOUY, avocat au barreau de PARIS, toque : E0797
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport et Madame Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Madame Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente
Madame Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Dorothée RABITA
ARRÊT :
— contradictoire
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 10 janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et par Madame Justine FOURNIER, greffière présente lors de la mise à disposition.
***
Le 25 août 1999, M. [L] [O] a acquis de la Sarl Byblos, exerçant sous l’enseigne Galerie des remparts à [Localité 3], pour un prix de 600 000 ou 675 000 francs, une huile sur toile décrite comme intitulée ‘la caserne de [Localité 7]’, circa 1933, signée [G] [J] en bas à droite et provenant de la vente du Palais Galliera, [Localité 10], collection [R] [D].
La société Byblos, avait elle-même acquis, pour un prix de 550 000 euros, ce tableau de la Sa Galerie Tamenaga France (ci-après la société Tamenaga) le 25 mai 1999 qui lui avait été adjugé le 2 mai 1996 par la société Sotheby’s à [Localité 9] au prix de 96 000 dollars.
M. [O] s’est adressé en 2011, afin de vendre ce tableau, aux sociétés de vente aux enchères Christie’s puis Tajan, cette dernière l’ayant retiré de la vente initialement prévue, [C] [Z], détenteur du droit moral et patrimonial sur l’oeuvre de [G] [J] ayant contesté son authenticité par lettre du 24 novembre 2011.
Par courriel en date du 25 novembre 2011, M. [O] en a informé la société Byblos, laquelle lui a répondu aussitôt que l’authenticité du tableau ne pouvait être discutée alors qu’il figurait au catalogue raisonné de l’oeuvre de [G] [J] établi par [K] [N]. Elle a, par ailleurs, écrit le même jour à la société Tamenaga pour l’informer de la situation et solliciter la communication de toute pièce complémentaire relative à ce tableau.
Par lettre du 13 décembre 2011, la société Tamenaga a répondu que les experts de la société Sotheby’s à [Localité 9] n’avaient émis aucune réserve sur l’authenticité du tableau lors de sa vente en 1996, que le tableau figurait dans le catalogue raisonné des oeuvres d'[J], que [C] [Z] n’était intervenu ni auprès de la société Sotheby’s en 1996, ni depuis sur le site du comité [J] pour faire état de ce que ce tableau serait un faux et que toutes réserves étaient émises quant à l’identité de l’oeuvre vendue et celle proposée à la vente par la société Tajan.
M. [O] a confié ce tableau pour vente à la galerie Fine art qui, après avoir sollicité l’avis de [C] [Z], le 16 novembre 2015, a refusé de le vendre.
M. [O] a fait assigner, par actes des 24 et 30 mai 2017, la société Byblos et la société Tamenaga devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris qui a, par ordonnance en date du 7 juillet 2017, désigné M. [M] en qualité d’expert.
Ce dernier a déposé son rapport le 17 octobre 2018, aux termes duquel il a conclu que la présence d’un liant acrylique commercialisé en Europe à partir des années 1960 et décelé par l’institut d’art de conservation et couleur contredit provisoirement tous les éléments précédents en faveur de l’authenticité du tableau litigieux mais que, toutefois, les nouveaux examens scientifiques proposés par la société Tamenaga et refusés par M. [O] lui auraient permis de conclure définitivement sur le caractère authentique ou apocryphe du tableau et qu’il ne peut ainsi conclure que provisoirement et non définitivement sur le caractère apocryphe du tableau.
Par actes en date du 26 novembre 2018, M. [O] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris la société Byblos et la sociétéTamenaga aux fins d’obtenir la nullité de la vente.
Par jugement du 22 octobre 2020, ledit tribunal:
— a déclaré l’action de M. [O] irrecevable comme prescrite,
— l’a condamné à payer aux défenderesses la somme de 5 000 euros chacune sur le fondement
de l’article 700 du code de procédure civile,
— l’a condamné aux dépens, y compris les frais d’expertise judiciaire,
— l’a condamné à rembourser à la société Tamenaga la somme de 5 070 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de sa décision,
— a débouté les parties de toutes demandes contraires ou plus amples.
Par déclarations des 27 octobre et 12 novembre 2020, M. [O] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 15 juin 2021, le conseiller de la mise en état a :
— rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’effet dévolutif de l’appel,
— dit qu’il n’était pas compétent pour statuer sur l’absence d’effet dévolutif de l’appel,
— rejeté la demande de nullité de la déclaration d’appel du 27 octobre 2020,
— déclaré valable la déclaration rectificative du 12 novembre 2020,
— ordonné la jonction des deux déclarations d’appel,
— dit que les dépens de l’incident suivront le sort de ceux de l’instance au fond.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 24 août 2022, M. [O] demande à la cour de :
— le recevoir en son appel et le déclarer bien fondé,
— infirmer le jugement en ce qu’il l’a déclaré irrecevable comme prescrit et l’a condamné à payer la somme de 5 000 euros à la société Byblos et à la société Tamenaga outre le remboursement à cette dernière la somme de 5 070 euros,
statuant à nouveau,
— dire et juger que son action en nullité est recevable car non prescrite et que son consentement pour l’achat du tableau donné dans la conviction erronée de la certitude de son authenticité, l’a été par erreur,
— annuler en conséquence la vente du 25 août 1999,
— condamner solidairement les intimées à lui rembourser contre la restitution du tableau litigieux, la somme de 103 846 euros avec les intérêts au taux légal capitalisés depuis le 25 août 1999 et à lui payer la somme de 7 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— les condamner solidairement aux entiers dépens qui comprendront les frais d’expertise.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 16 septembre 2022, la Sarl Byblos demande à la cour de :
— à titre principal, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
— à titre subsidiaire, dire que M. [O] ne rapporte pas la preuve de l’identité entre le tableau vendu et celui examiné par M. [M] et le débouter de l’intégralité de ses demandes,
— à titre encore plus subsidiaire, dire mal fondée l’action de M. [O] et le débouter de l’intégralité de ses demandes,
— à titre infiniment subsidiaire, dire que toute condamnation au remboursement du prix perçu en 1999 sera de 91 469,41 euros ne portant intérêt qu’à compter de l’introduction de la présente instance et condamner la société Tamenaga à la garantir de toutes condamnations à intervenir, en ce notamment compris l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,
— en tout état de cause, condamner M. [O] à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement par Me Dray.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 16 septembre 2022, la Sa Galerie Tamenaga France demande à la cour de :
— débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
— confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
y ajoutant,
— condamner M. [O] à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner M. [O] aux dépens d’appel,
à titre subsidiaire,
— dire que le rapport d’expertise de M. [M] n’établit pas un doute sérieux sur l’authenticité de l’oeuvre de [G] [J],
— en conséquence dire que le consentement de M. [O] n’a pas été vicié et que la vente de ladite oeuvre est parfaite,
— subsidiairement, vu le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, dire et juger que M. [O] est infondé à bénéficier de l’annulation de vente de l’oeuvre en ce qu’il a volontairement empêché en refusant des examens complémentaires de lever ou confirmer un doute.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 20 septembre 2022.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l’action
Le tribunal a jugé que :
— l’action de M. [O] visant à obtenir la nullité de la vente et non à engager la responsabilité de la Sarl Byblos, le délai de prescription applicable est celui prévu par l’article 1304 du code civil et non l’article L.110-4 du code de commerce,
— la lettre du 25 novembre 2011, adressée par M. [O] à la société Byblos, mentionnant que la société Tajan l’avait informé que [C] [Z], membre du comité [J], avait considéré qu’il s’agissait d’un faux démontre qu’il était informé dès cette date de l’existence d’un doute quant à son authenticité,
— le doute avéré sur l’authenticité d’une oeuvre d’art suffit à fonder une action en nullité de la vente de sorte que le délai de prescription commence à courir à compter de la connaissance par M. [O] de ce doute et non à compter de la certitude de l’inauthenticité, comme il le soutient,
— à titre surabondant, il ne démontre pas n’avoir reçu les notes manuscrites de [C] [Z] qu’au mois de novembre 2015, notes qui ont pu par ailleurs être rédigées dans le cadre de la vente aux enchères organisée par la société Tajan puisqu’il y est uniquement mentionné son nom et non celui de la galerie Fine art,
— s’il ressort de l’attestation du médecin de M. [O] que ce dernier a été victime d’un accident le 26 novembre 2013 ayant nécessité un arrêt avec soins pendant 32 mois, avec des séquelles importantes, cette attestation, par son manque de précision quant aux troubles neurologiques du discernement et à leur durée, et quant à une éventuelle mesure d’hospitalisation et sa durée, ne permet pas d’établir qu’il a été dans l’impossibilité d’agir du 26 novembre 2013 au mois d’août 2016 comme il le soutient, d’autant qu’il a été en mesure de confier le tableau à la vente à la galerie Fine art au mois de novembre 2015,
— en l’absence de suspension du délai de prescription, l’action en nullité s’est prescrite le 26 novembre 2016 de sorte que les assignations des 24 et 30 mai 2017 aux fins de désignation d’un expert n’ont pas pu avoir un effet interruptif.
M. [O] fait valoir que :
— le délai de la prescription quinquennale prévue à l’article 1304 du code civil s’agissant d’une action en nullité pour erreur court à compter du jour où elle a été découverte,
— seule la découverte de l’erreur et non le simple soupçon, fait courir le délai,
— il n’a jamais prétendu à une certitude de l’inauthenticité du tableau mais simplement à celle d’un doute sérieux, laquelle résulte de la présence d’un liant acrylique incompatible avec l’oeuvre d'[J], découverte en 2018 par le sapiteur désigné par l’expert judiciaire,
— c’est donc la découverte de ce liant établissant l’erreur qui fait courir le délai de prescription et non pas les critiques de [C] [Z] qui n’a pas fait procéder à une analyse scientifique des pigments et que l’expert a rejetées,
subsidiairement,
— ce n’est que lorsqu’il a eu connaissance de l’étude détaillée de [C] [Z] dont il prouve qu’elle a été rédigée le 17 novembre 2015 que le délai de prescription a commencé à courir soit moins de 5 ans avant l’engagement de la procédure de référé-expertise,
— en 2011, il ne pouvait que soupçonner l’inauthenticité sans en être convaincu en raison des réactions des sociétés Byblos et Tamenaga qui contestaient avec force cette inauthenticité,
— le fait qu’il ait demandé postérieurement à novembre 2011 à la galerie Fine art de vendre l’oeuvre comme étant de la main d'[J] confirme qu’il pensait qu’elle était authentique,
— le tribunal a refusé à tort de suspendre le court du délai de prescription en raison de son impossibilité d’agir en justice, du fait d’un grave accident de la route, jusqu’en août 2016, date à laquelle il n’a pu reprendre une activité professionnelle que de 30 heures par mois,
— son médecin traitant atteste que son discernement et son état neurologique l’empêchaient manifestement d’agir et d’engager une procédure judiciaire.
La société Byblos demande la confirmation du jugement sur ce point en ce que :
— M. [O] a indiqué dans ses conclusions en première instance avoir eu ‘la certitude de la fausseté de l’oeuvre’ lorsqu’il a eu connaissance de l’avis manuscrit de [C] [Z] le 25 novembre 2011, ce qui constitue un aveu judiciaire irrévocable,
— il tente désormais de faire croire que cet avis date du 17 novembre 2015 alors qu’en première instance, il l’avait joint, dans ses pièces, au courrier recommandé du 24 novembre 2011, de sorte que ce courrier et l’avis manuscrit ne formaient qu’une seule pièce, et l’attestation de Mme [E] établie après quatre années de procédure ne trompera pas la cour,
— en tout état de cause, il avait une parfaite connaissance de l’avis de [C] [Z] en janvier 2012 au plus tard et le rapport d’expertise n’est pas susceptible de lui apporter une certitude compte tenu de son refus d’investigations complémentaires,
— il n’est pas établi dans son attestation médicale que son discernement ou état neurologique l’aurait manifestement empêché d’agir et d’engager une procédure judiciaire et, en toute hypothèse, lorsque cet empêchement a cessé le 1er août 2016, M. [O] disposait encore de plusieurs mois pour agir.
La société Tamenaga demande également la confirmation du jugement sur ce point en ce que :
— M. [O] a été informé dès le 25 novembre 2011 d’un doute sérieux sur l’authenticité,
— la note manuscrite de [C] [Z] n’est pas datée mais se rattache à l’évidence à sa lettre du 24 novembre 2011, raison pour laquelle ladite lettre et la note manuscrite portaient en première instance le même numéro de communication de pièce (n°3) et que l’une des annexes de ladite note (reproduction d’un détail de l’oeuvre avec les mentions manuscrites 3B et figure 4B) porte la mention tapuscrite Tajan-1 alors que M. [O] les a dissociées en appel,
— le fait que l’avis de [C] [Z] sur le caractère authentique de l’oeuvre fasse autorité suffit à rendre le doute plus que sérieux, pour preuve, aucune maison de vente n’a poursuivi la vente du lot par la suite,
— les premiers juges ont fait une juste analyse de l’attestation médicale pour écarter toute suspension du délai de prescription,
— en toute hypothèse, si la fin de l’impossibilité devait être fixée au 4 avril 2016, date de la lettre de l’avocat de M. [O] à la société Byblos, M. [O] avait encore le temps d’agir.
L’article 1109 ancien du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à la date de la vente dispose qu’il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur et l’article 1110 ancien énonce, en son alinéa 1er que l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.
Il appartient à l’acquéreur qui sollicite l’annulation de la vente de prouver que l’authenticité de l’oeuvre se heurte à des doutes réels et sérieux.
L’article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable au litige au regard de la date de la vente dont la nullité est sollicitée, dispose que :
Dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.
Le délai de l’action en nullité de la vente d’une oeuvre d’art pour erreur sur la substance ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non simplement soupçonnée, soit au jour où l’acquéreur a eu un doute réel et sérieux sur l’authenticité de l’oeuvre.
Selon l’article 1383-2 du code civil, l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté, il fait foi contre celui qui l’a fait et est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait.
M. [O] ne peut soutenir devant la cour d’appel que le délai de prescription de son action en nullité n’a couru qu’à compter de la découverte d’un liant acrylique lors de l’expertise alors qu’il a lui-même admis dans ses conclusions de première instance que ‘ce n’était qu’à compter du jour où il a eu connaissance de l’étude détaillée de M. [Z], titulaire du droit moral de l’artiste et faisant effectivement autorité sur l’oeuvre d'[J] ce qu’il ignorait jusque là, consécutive au dépôt de l’oeuvre le 16 novembre 2015, que le délai a commencé à courir’.
Toutefois, cette étude détaillée n’est pas datée et les intimées contestent le fait qu’elle date de novembre 2015, rappelant que [C] [Z] est décédé le 29 novembre 2015 et soutenant au contraire qu’elle a été écrite en novembre 2011.
Le 25 novembre 2011, M. [O] a fait savoir par courriel à la société Byblos que le tableau avait été considéré comme étant un faux par [C] [Z].
Ce dernier a, en effet, indiqué par lettre du 24 novembre précédent à la société Tajan que le tableau lui avait déjà été présenté dans les locaux de la société de vente Christie’s le 5 octobre 2011, et qu’il avait déjà précisé qu’il s’agissait d’une contrefaçon.
Le 28 novembre 2011, Me Nitot, alors conseil de [C] [Z] (avant de devenir celui de M. [O]) écrivait à la société Tajan que ce dernier maintenait que l’oeuvre n’était pas authentique et rappelait que lorsqu’elle avait été présentée une première fois chez Christie’s, quelques semaines auparavant, il était également intervenu pour en contester l’authenticité.
Il ajoutait :
‘ Après examen, notamment de la signature, M. [Z] confirme qu’elle n’est pas authentique. Par ailleurs, plusieurs erreurs sont inadmissibles, notamment la herse incorporée à la porte d’entrée de la caserne, qui figure sur le tableau au fond, constitue une erreur d’interprétation incompatible avec une oeuvre de [G] [J].
Dans ces conditions, au nom de M. [Z], je vous réitère la mise en demeure qu’il vous a déjà adressée de ne pas proposer cette oeuvre à l’occasion de votre vacation du 30 novembre et faute de vous exécuter, je serai contraint d’engager votre responsabilité ainsi que celle de votre vendeur.’
Les intimées relèvent de manière pertinente que la note manuscrite de [C] [Z] était, dans la procédure de première instance, produite par M. [O] sous le même numéro de communication de pièce que sa lettre du 24 novembre 2011 adressée à la société Tajan et que l’une des annexes de ladite note, soit la reproduction d’un détail de l’oeuvre avec les mentions manuscrites 3B et figure 4B, portait la mention tapuscrite Tajan.
En outre, la cour ajoutera que l’erreur relative à la herse relevée par Me Nitot dans sa lettre du 28 novembre 2011 figure à l’identique dans la note manuscrite détaillée de [C] [Z] laquelle s’appuie sur la photographie du tableau telle qu’elle figurait dans le catalogue de la vente Tajan.
Ces éléments ne permettent pas de dater la note détaillée produite en novembre 2015 comme l’affirme M. [O] et l’attestation de Mme [E] datée du 22 mars 2021, affirmant avoir écrit ce texte sous la dictée de [C] [Z] le 17 novembre 2015, étant rappelé que ce dernier est décédé le 29 novembre suivant, est insuffisante à confirmer cette datation, à défaut de production d’un quelconque document provenant de la galerie Fine art permettant de corroborer cette affirmation.
En tout état de cause, la cour relève que dans un courriel du 16 janvier 2012 adressé à la société Byblos, M. [O] indiquait :
‘Je reviens vers vous pour le problème de notre toile d'[J] : la caserne de [Localité 7] qui n’a pas été mise en vente chez Tajan fin novembre (…)
Nous avons interrogé toutes les maisons de vente sans exception, même les plus éminentes et toutes nous ont confirmé, contrairement à ce que vous prétendez, qu’elles n’ont aucune l’obligation de proposer le tableau à la vente alors même que M. [Z], détenteur à ce jour du droit moral, conteste l’oeuvre en question (même s’il est inclus au catalogue raisonné établi par M. [N] en son temps), M. [Z] étant d’ailleurs considéré par la profession comme beaucoup plus intègre et honnête que M. [N] à l’époque. ( Il m’a également été précisé que dès l’origine ce tableau avait fait l’objet de contestations relayées par la presse de l’époque, ce que personne de la profession ne pouvait ignorer laissant donc planer un sérieux doute sur ce tableau).
C’est pourquoi, eu égard au prix conséquent auquel vous nous l’aviez vendu, vous comprendrez aisément que nous n’ayons pas d’autre solution que d’engager une procédure judiciaire visant à nous retourner contre vous en qualité de vendeur.’
Il s’en déduit que dès le 16 janvier 2012 M. [O] avait un doute sérieux quant à l’authenticité de l’oeuvre litigieuse, s’étant heurté à deux reprises à un refus de vente aux enchères du tableau tant par la société Christie’s en octobre 2011 que par la société Tajan le mois suivant, chacune des sociétés de vente ayant consulté [C] [Z], détenteur du droit moral sur l’oeuvre d'[J] et considéré comme l’expert le plus pertinent de ce peintre lequel avait indiqué considérer l’oeuvre comme un faux, à deux sociétés de vente aux enchères de renom.
Le point de départ de la prescription quinquennale prévue à l’article 1304 du code civil court en conséquence à compter du 16 janvier 2012.
Par ailleurs, l’article 2234 du code civil prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
M. [O] se prévaut inutilement d’une impossibilité d’agir résultant de l’accident qui lui aurait causé des troubles neuro-psychologiques du discernement jusqu’au 1er août 2016 alors que le certificat établi par le docteur [A], se présentant comme médecin de recours de la victime dans le cadre de la réparation de son dommage corporel n’est pas suffisant à établir un empêchement résultant de la force majeure alors qu’en novembre 2015, il a confié son tableau pour vente à la galerie Fine art,,que le 4 avril 2016, son avocat a écrit à la société Byblos et que surtout, il disposait encore au moment où cet empêchement aurait pris fin du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai de prescription puisque, M. [O] fixant lui-même la durée de son empêchement jusqu’au 1er août 2016, avait encore jusqu’au 16 janvier 2017 pour agir.
En conséquence, son assignation en référé-expertise en date des 24 et 30 mai 2017est tardive et le jugement est confirmé en ce qu’il déclaré prescrite l’action de M. [O].
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens, comprenant les frais d’expertise, et aux frais de procédure de première instance sont confirmées. De même, le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné M. [O] à payer à la société Tamenaga la somme de 5070 euros correspondant aux frais d’honoraires des deux sapiteurs dont elle a fait l’avance.
Les dépens d’appel doivent incomber à M. [O], partie perdante, avec les modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile, lequel est également condamné à payer à la société Byblos et la société Tamenaga la somme de 7 000 euros, chacune, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne M. [L] [O] aux dépens, dont distraction au profit de Me Dray,
Condamne M. [L] [O] à payer à la Sarl Byblos et la Sa Galerie Tamenaga France la somme de 7 000 euros, chacune, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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