Extraire massivement des petites annonces d’une plateforme tierce même avec la mise en place d’un lien retour porte atteinte aux droits de l’éditeur/producteur de la base de données.
Les notions d’extraction et de réutilisation, ainsi que l’a rappelé la CJUE dans son arrêt du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board C203/02, n’étant pas circonscrites aux cas d’extraction et de réutilisation opérées directement à partir de la base d’origine, et ce sous peine de laisser la personne qui a constitué la base de données, sans protection, à 1’égard d’actes non autorisés de copiage opérés à partir d’une copie de sa base.
Une telle indexation de contenus constitue bien une extraction au sens de l’article L.342-1 du Code de la propriété intellectuelle, alors que l’existence de ce lien hypertexte accessible après plusieurs clics n’est pas exclusif du transfert de la partie substantielle de l’annonce, toutes les données relatives à l’annonce (bien immobilier : localisation, surface, prix, description et photographie du bien) étant reproduites à l’exception du téléphone de l’annonceur.
En l’occurrence, la quasi-totalité des résultats de recherches effectuées en matière immobilière par l’huissier de justice mandaté par l’éditeur du site le Boncoin.fr sur le site entreparticuliers.com correspondaient à des annonces extraites du site, dont sont reproduits pour chaque bien les éléments relatifs aux lieu, type de bien, prix et surface, qui sont les critères essentiels desdites annonces.
Droit sui generis des bases de données
Au sens de l’article L.342-1 du code de la propriété intellectuelle, le producteur de bases de données a le droit d’interdire :
1° L’extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;
2° La réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme’.
Critères interprétatifs de la CJUE
Dans son arrêt du 9 octobre 2008 Directemedia Publishing C-304/07, la CJUE a précisé que l’extraction correspond au transfert d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative du contenu de la base de données protégée ou à des transferts de partie non substantielles qui, par leur caractère répété ou systématique, auraient conduit à reconstituer une partie substantielle de ce contenu.
Dans son arrêt du 18 octobre 2012 Football Dataco C-173/11, la CJUE a précisé que la réutilisation se caractérise par une série d’opérations successives, allant, à tout le moins, de la mise en ligne des données concernées sur le site aux fins de leur consultation par le public à la transmission de ces données aux membres du public concerné’.
Dans son arrêt du 9 novembre 2004 Apis-Hristovitch C-20302, la CJUE a jugé que la notion de partie quantitativement substantielle se réfère au volume de données extrait et/ou réutilisé de la base, et doit être apprécié par rapport au volume du contenu total de la base. La notion de partie qualitativement substantielle se réfère à l’importance de l’investissement lié à l’obtention, à la vérification ou à la présentation du contenu de l’objet de l’acte d’extraction et/ou de réutilisation, indépendamment du point de savoir si cet objet représente une partie quantitativement substantielle du contenu général de la base de données protégée.
Ces notions doivent être interprétées à la lumière de l’objectif poursuivi par le droit du producteur de base de données, à savoir protéger la personne qui a constitué la base contre des actes de l’utilisateur qui outrepassent les droits légitimes de celui-ci et qui portent ainsi préjudice à l’investissement.
Preuve et nature des investissements substantiels
L’article L. 341-1 pose que le producteur de base de données bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel.
Sur les investissements liés à la constitution du contenu de la base de données, la CJUE a considéré dans quatre arrêts rendus le 9 novembre 2004 (C203/02 ; C46/02 ; C338/02 ; C444/02), que le but de la protection par le droit sui generis est de stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement d’informations existantes, a dit pour droit, que la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu de la base de données ‘doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base’, à l’exclusion ‘des moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs d’une base de données’, le titulaire d’une base de données devant dès lors justifier d’un investissement autonome par rapport à celui que requiert la création des données contenues dans la base dont il demande la protection.
En l’occurrence, il était justifié de moyens de communication mis en oeuvre par des équipes internes composées de 12 salariés pour un coût total de 1, 3 millions d’euros, et par des prestataires externes pour un coût total de plus de 48 millions d’euros.
Les investissements de communication ont eu pour but d’améliorer l’identité visuelle, de lancer des campagnes de publicité et de promotion, et de développer le trafic afin d’améliorer l’attractivité du site, permettant ainsi de rechercher et de collecter un grand nombre d’annonces auprès d’internautes, qui seuls créent leurs annonces, ces investissements étant dès lors liés à la constitution de la base de données dans laquelle les annonces sont intégrées, de sorte que les dépenses susvisées correspondent à des investissements spécifiques de nature à justifier de la protection sollicitée par la société LeBoncoin.
Ces investissements financiers, matériels et humains, qui concourent au rassemblement des données, permettent leur tri et leur stockage afin de favoriser leur accessibilité lors de leur mise en ligne, doivent être pris en compte, l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, visant, ainsi qu’il a été dit, à protéger l’investissement dans des systèmes de stockage et de traitement de l’information
La notion d’investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci.
S’agissant de la sous-base ‘immobilier’ regroupant les annonces déposées dans les sous-catégories ‘vente’, ‘location’, ‘colocation’ et ‘bureaux et commerces’, la société LeBoncoin justifiait avoir investi de 2014 à 2016 une somme de plus de 4,9 millions d’euros dans des campagnes de publicité ciblées en matière d’immobilier, qui ont permis de rechercher et de collecter un grand nombres d’annonces immobilières créées par des internautes, ces investissements étant liés à la constitution de la sous-base de données dans laquelle les dites annonces sont intégrées.
Ces dépenses correspondent à des investissements spécifiques à prendre en compte au titre de la protection sollicitée pour la sous-base de données ‘immobilier’. En outre, la société justifiait avoir acquis pour un montant de 19,8 millions d’euros une société ‘A vendre A louer’ exploitant un site d’annonces immobilières en ligne affichant 6 millions de visiteurs par mois.
Cette acquisition a permis d’enrichir la dite sous-base.
Réinvestissements successifs
L’éditeur du site Leboncoin.fr a également établi la preuve de ses investissements successifs dans sa base de données. L’article L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle dont l’alinéa 1 énonce que la durée normale de protection est de quinze ans à compter de l’achèvement de la base de données, précise dans son alinéa 3 que ‘toutefois, dans le cas où une base de données protégée fait l’objet d’un nouvel investissement substantiel, sa protection expire 15 ans après le premier janvier de l’année suivant ce nouvel investissement’.
Préjudices multiples
La société LeBoncoin justifie qu’elle a dû organiser des parades face à ces extractions substantielles, l’équipe dédiée au support client répondant aux utilisateurs mécontents et adaptant les réponses au fil des plaintes répertoriées, l’équipe ‘fraude et modération’ procédant à des analyses pour lesquelles elle a consacré sur la période environ 3 heures par mois, le service juridique ayant enfin été mobilisé pour collecter les plaintes, les traiter, procéder aux démarches auprès de la CNIL, faire dresser les procès-verbaux de constat d’huissier de justice ainsi que les attestations des commissaires aux comptes.
La société justifiait d’un préjudice financier résultant des coûts indus engendrés par les atteintes dont elle a été victime du fait des agissements de la société Entreparticuliers.com sur sa sous-base de données ‘immobilier’ d’un montant de 50 000 euros.
Il est également avéré que les agissements de la société Entreparticuliers.com reproduisant des annonces de la base de données de la société Leboncoin ont créé un préjudice d’image à cette dernière établi par les nombreux messages d’annonceurs se plaignant de la publication de leur annonce sur le site entreparticuliers.com ainsi que du démarchage commercial opéré par cette dernière (20 000 en réparation de son préjudice d’image).
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 02 FÉVRIER 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : 17/17688 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B4DQ6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Septembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – (3e chambre – 3e section) – RG n° 17/06908
APPELANTE
SA ENTREPARTICULIERS.COM
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro B 433 503 851
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Assistée de Me Corinne LE FLOCH, avocat au barreau de PARIS, toque : B1167
INTIMÉE
SASU LBC FRANCE
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 521 724 336
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Arnaud GUYONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Assistée de Me Carole SANCHEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P545
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 09 Décembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, Conseillère
Mme Déborah BOHÉE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRET :
• Contradictoire
• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, greffier, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement rendu le 1er septembre 2017 par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l’appel interjeté le 20 septembre 2017 par la société Entreparticuliers.com,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 14 juin 2019 par la société Entreparticuliers.com, appelante et intimée incidente,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 30 juillet 2019 par la société LBC France (LBC), intimée et appelante incidente,
Vu l’ordonnance de clôture du 03 septembre 2019,
SUR CE, LA COUR :
Il est expressément renvoyé, pour un examen complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la société LBC, immatriculée le 14 avril 2010, exploite le site français de petites annonces en ligne ‘leboncoin.fr’, à la suite d’un traité d’apport partiel d’actifs en date du 28 juin 2011 conclu avec la société SCM France (devenue Schibsted France), laquelle a créé ledit site en 2006 et l’a exploité jusqu’en 2011.
Elle expose que le site leboncoin.fr propose aux particuliers un site gratuit de petites annonces regroupées par régions, puis par catégories, qui s’est fortement développé depuis 2006 et comprend actuellement 800.000 nouvelles annonces chaque jour, pour un total de 28 millions d’annonces publiées, et qu’il est ainsi devenu le 1er site français de petites annonces en ligne notamment dans la catégorie ‘immobilier’.
La société Entreparticuliers.com exploite le site internet accessible à l’adresse entreparticuliers.com qu’elle a créé au cours de l’année 2000, lequel propose aux particuliers un service payant
d’hébergement d’annonces essentiellement immobilières. Pour les besoins de son activité, elle est abonnée à un ‘service de pige immobilière’ commercialisé par la société Directannonces, qui collecte et transmet quotidiennement à ses abonnés, professionnels de l’immobilier, toutes les nouvelles annonces immobilières publiées par les particuliers sur différents supports notamment sur internet.
Estimant que ce procédé constitue la mise en place par la société Entreparticuliers.com, aidée de son sous-traitant, d’un système d’extraction total, répété et systématique de la base de données immobilière du site internet leboncoin.fr, et exposant que depuis le mois de juin 2011, et de façon de plus en plus massive, de nombreux utilisateurs de son site se plaignent de la reprise de leurs annonces sur le site entreparticuliers.com sans leur autorisation, la société LBC a fait procéder, les 5, 6 et 7 octobre 2016, à un constat d’huissier portant sur 246 annonces du site entreparticuliers.com.
Après une série de mises en demeure infructueuses adressées les 15 décembre 2011 puis 14 janvier, 7 mai, 26 juin 2015 et 23 mai 2016, la société LBC, préalablement autorisée suivant une ordonnance rendue sur requête le 10 avril 2017, a fait assigner à jour fixe la société Entreparticuliers.com, par acte d’huissier de justice en date du 25 avril 2017, afin d’obtenir des mesures indemnitaires et d’interdiction au visa des articles L.112-3, L.341-1 et L.342-2 du code de la propriété intellectuelle et subsidiairement, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Par jugement dont appel, le tribunal de grande instance de Paris a notamment, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
— Dit que le site ‘leboncoin.fr’ constitue une base de données au sens de l’article L.112-3 du code de la propriété intellectuelle dont la société LBC France est producteur ;
— Dit qu’en procédant à l’extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base de données de la société LBC, la société Entreparticuliers.com a porté atteinte à son droit de producteur de ladite base de données ;
— Condamné la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte constituée à son droit sui generis de producteur de base de données ;
— Fait interdiction à la société Entreparticuliers.com de procéder à l’extraction ou réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base de données de la société LBC, ce sous astreinte de 100 euros par violation constatée ;
— S’est réservé la liquidation de l’astreinte ;
— Rejeté pour le surplus des demandes d’interdiction ;
— Condamné la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice d’image ;
— Ordonné une mesure de publication sur la page d’accueil du site internet entreparticuliers.com, dans un délai d’un mois à compter de la date de signification de la décision et pour une durée de 15 jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
— Condamné la société Entreparticuliers.com à payer à la société LBC la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— Condamné la société Entreparticuliers.com aux dépens.
Sur la recevabilité des demandes formées au titre de la sous-base de données ‘immobilier’
La société Entreparticuliers.com sollicite l’irrecevabilité des demandes formées par la société LBC au titre de la sous-base de données, au motif qu’elles ont été formées pour la première fois en cause d’appel (article 564 du code de procédure civile) et qu’elles ne figurent pas dans les premières conclusions de la société LBC (article 910-4 du même code).
La cour rappelle que l’article 565 du code de procédure civile dispose que ‘les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent’.
En l’espèce, la cour constate que la société LBC a assigné la société Entreparticuliers.com aux fins de cessation des extractions du contenu de sa base de données dont elle invoque le caractère substantiel, et qu’à la suite du jugement dont appel dont un des motifs indique que le caractère quantitativement et qualitativement substantiel de la base de données n’est pas démontré, elle invoque une sous-base de données immobilier, les demandes relatives à ladite sous-base tendant aux mêmes fins que celles formulées devant le premier juge, à savoir démontrer le caractère substantiel de l’extraction opérée par la société Entreparticuliers.com, de sorte qu’il ne s’agit pas d’une demande nouvelle au sens des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile. L’exception d’irrecevabilité soulevée par la société Entreparticuliers.com de ce chef sera donc rejetée.
Sur la demande de rejet de pièces
La société Entreparticuliers.com demande de rejeter des débats, d’une part, les attestations comptables de Mme X (pièces 18, 30, 67 et 72) pour non respect des dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, d’autre part, le constat d’huissier de justice dressé les 5, 6 et 7 octobre 2016 ‘faute de caractère manifestement probant du procès-verbal’, l’huissier de justice n’ayant pas, selon elle, effectué toutes les diligences requises, annexé toutes les copies écran de ses constatations, ni l’intégralité des pages internet du site entreparticuliers.com.
La cour rappelle que les prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, et qu’il lui appartiendra le cas échéant d’apprécier souverainement si des attestations non conformes présentent des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.
Elle observe en outre que la nullité du procès-verbal de constat des 5, 6 et 7 octobre 2016 n’est pas invoquée, et que dès lors l’appréciation de la force probante de cette pièces s’effectuera le cas échéant, lors de l’examen au fond de la demande.
La société Entreparticuliers.com sera donc déboutée de ses demandes de rejet de pièces.
Sur la qualité de producteur de base de données et de sous-base de données ‘immobilier’ de la société LBC
La société Entreparticuliers.com soutient en premier lieu que, selon l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, le producteur de base de données est la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements, et qu’en conséquence seule la société Schibsted France pourrait prétendre à ce statut. Elle ajoute que la société LBC, immatriculée en 2010, soit postérieurement à la création de la base de données leboncoin revendiquée, qui aurait été constituée en 2006, ne peut pas être le producteur de ladite base, puisqu’elle ne prétend ni ne justifie avoir pris l’initiative et les risques des investissements liés à la constitution de cette base.
La cour rappelle que l’article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle définit la base de données comme ‘un recueil d’oeuvres, de données, ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen’, et que l’article L. 341-1 du même code dispose que le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel.
En l’espèce il est constant que la base de données litigieuse a été créée par la société Schibsted France, anciennement dénommée SCM France, qui l’a exploitée de 2006 à 2011.
Il résulte en outre d’un traité d’apport partiel d’actifs intervenu le 28 juin 2011 que la société SCM France a transféré ses actifs afférents à l’exploitation du site leboncoin.fr, valorisés à une somme de plus de trois millions d’euros, à la société LBC laquelle invoque que depuis le 1er août 2011 elle a pris en charge l’initiative de tous les investissements afférents à la base de données, et à la sous-base ‘immobilier’, et qu’elle en assume tous les risques au sens de l’article L. 341-1 précité.
Ainsi que l’a pertinemment retenu le tribunal par des motifs que la cour adopte, la clause 8-1 dudit traité d’apport partiel d’actifs, aux termes de laquelle la société SCM France est régulièrement propriétaire ou bénéficiaire du droit d’usage des droits de propriété intellectuelle, et s’est engagée à consentir à LBC France une licence d’exploitation desdits droits incluant notamment la marque leboncoin.fr et les noms de domaine leboncoin.fr et leboncoin.com, ne peut s’analyser, contrairement aux allégations de l’appelante, comme réservant à la société SCM le bénéfice des droits sui generis de producteur de base de données.
La cour rappelle en outre que l’article L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle dont l’alinéa 1 énonce que la durée normale de protection est de quinze ans à compter de l’achèvement de la base de données, précise dans son alinéa 3 que ‘toutefois, dans le cas où une base de données protégée fait l’objet d’un nouvel investissement substantiel, sa protection expire 15 ans après le premier janvier de l’année suivant ce nouvel investissement’.
Il s’en déduit qu’il y a lieu d’apprécier, si la société LBC France, qui a acquis par le traité partiel d’actifs susvisé, la propriété des éléments d’actifs constituant la branche d’activité d’exploitation du site internet leboncoin.fr, démontre avoir elle-même réalisé postérieurement à cet apport, un nouvel investissement substantiel lui permettant de bénéficier de la protection qu’elle revendique de producteur de la base de données ‘leboncoin’ et de la sous-base de données ‘immobilier’.
La société Entreparticuliers.com soutient que la qualité d’hébergeur de la société LBC, impliquant un rôle purement technique, automatique et passif sans sélection, ni analyse ni contrôle du contenu des annonces hébergées, est incompatible avec celle de producteur de base de données.
Il est cependant établi que des opérations de vérification des annonces du site leboncoin.fr sont effectuées, d’une part, une fois que l’annonce est déposée par l’annonceur, par l’intermédiaire d’un logiciel de filtrage, d’autre part, a posteriori, par une équipe chargée de la modération, cette vérification des données réalisée non au moment de la création du contenu, mais au moment de la constitution de la base de données et de son fonctionnement, qui vaut à la société LBC son statut d’hébergeur, n’étant dès lors pas incompatible avec la protection du droit sui generis de producteur de base de données, droit économique destiné à protéger les investissements des producteurs, et dont la finalité, aux termes des considérants 9, 10 et 12 de la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 à la lumière de laquelle doivent être interprétés les articles L. 341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, est d’encourager et de protéger les investissements dans des systèmes de stockage et de traitement de données qui contribuent au développement du marché de l’information dans un contexte marqué par une augmentation exponentielle du volume de données générées.
La société Entreparticuliers.com prétend que la société LBC exploite un service d’hébergement de petites annonces exclusivement enrichi par les annonceurs sans aucune sélection ni analyse, et soutient en produisant une consultation du professeur Z A, qu’elle ne justifie d’aucun investissement autonome par rapport aux moyens mis en oeuvre pour la création de ces éléments, et qu’elle ne distingue pas les investissements relevant de son activité principale, à savoir un service d’hébergement de petites annonces sur internet, de ceux prétendument relatifs à la constitution, la vérification et la présentation de la base de données.
Ainsi qu’il a été dit, l’article L. 341-1 susvisé dispose que le producteur de base de données bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel.
Les investissements liés à la constitution du contenu de la base de données
La CJUE, dont l’interprétation qu’elle a donnée de la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 doit éclairer celle de la loi interne française qui en constitue la transposition, dans quatre arrêts rendus le 9 novembre 2004 (C203/02 ; C46/02 ; C338/02 ; C444/02), après avoir rappelé que le but de la protection par le droit sui generis est de stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement d’informations existantes, a dit pour droit, que la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu de la base de données ‘doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base’, à l’exclusion ‘des moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs d’une base de données’, le titulaire d’une base de données devant dès lors justifier d’un investissement autonome par rapport à celui que requiert la création des données contenues dans la base dont il demande la protection.
En l’espèce, la société LBC produit un rapport technique amiable de M. Y, expert en informatique près la cour d’appel de Paris, auquel sont annexées, pour chacun des postes d’investissements invoqués, sur la période de janvier 2011 à décembre 2017, des attestations de la directrice du contrôle de gestion de la société LBC, dont le caractère probant est avéré, chacune de ces attestations étant accompagnée d’une attestation du commissaire aux comptes, à savoir la société Ernst and Young, qui certifie n’avoir aucune remarque à formuler sur la concordance entre les informations y figurant et celles de la comptabilité.
Il est ainsi justifié, sur la période susvisée, de moyens de communication mis en oeuvre par des équipes internes composées de 12 salariés pour un coût total de 1, 3 millions d’euros, et par des prestataires externes pour un coût total de plus de 48 millions d’euros.
La société Entreparticuliers.com soutient que ces dépenses de communication ne sont pas liées à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, mais concourent à la création même des données (les petites annonces) en incitant de potentiels annonceurs à les créer dans le cadre d’un service d’hébergement de petites annonces.
Il résulte des éléments produits que les investissements de communication susvisés ont pour but d’améliorer l’identité visuelle, de lancer des campagnes de publicité et de promotion, et de développer le trafic afin d’améliorer l’attractivité du site, permettant ainsi de rechercher et de collecter un grand nombre d’annonces auprès d’internautes, qui seuls créent leurs annonces ainsi que l’ont relevé pertinemment les premiers juges, ces investissements étant dès lors liés à la constitution de la base de données dans laquelle les annonces sont intégrées, de sorte que les dépenses susvisées correspondent à des investissements spécifiques de nature à justifier de la protection sollicitée par la société LBC.
La société LBC invoque également des investissements pour le stockage des contenus. Il résulte en effet du rapport technique de M. Y que les flux d’annonces entrants, le volume des informations à enregistrer et les exigences de temps de consultation imposent des infrastructures informatiques de stockage sophistiquées et coûteuses, et notamment un système de gestion de base de données nommé ‘postgreSQL’, les annonces étant stockées selon une organisation rigoureuse constituée de 16 tables de stockage, toutes les modifications étant enregistrées et conservées, une traçabilité de 100% étant assurée, le volume de données hébergées sur le site étant un des plus importants en France, et les données étant indexées de façon à ce que les résultats de recherche puissent s’afficher dans des temps très courts.
Il ressort de ce rapport auquel sont annexées comme il a été dit les attestations de la directrice du contrôle de gestion certifiées par le commissaire aux comptes, que le système de gestion a coûté à la société LBC 189 000 euros, montant qui n’est pas relatif au développement du logiciel lequel est gratuit s’agissant d’un logiciel ‘open source’, auquel sont rajoutés les coûts salariaux d’une équipe dédiée à la gestion de la base de données d’un montant de 1,3 millions d’euros, et ceux des serveurs informatiques et baies de stockage, haute capacité et haute performance, pour un montant de plus de 23 millions d’euros justifiés par la production du grand livre comptable de la société LBC.
Ces investissements financiers, matériels et humains, qui concourent au rassemblement des données, permettent leur tri et leur stockage afin de favoriser leur accessibilité lors de leur mise en ligne, doivent être pris en compte, l’article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, visant, ainsi qu’il a été dit, à protéger l’investissement dans des systèmes de stockage et de traitement de l’information, de sorte que c’est à tort que la société Entre particuliers.com prétend que ces investissements de stockage ne pourraient être assimilés à ceux de l’obtention des données, et relèveraient des programmes d’ordinateurs utilisés dans le fonctionnement d’une base de données.
Les investissements liés à la vérification des données
La notion d’investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci.
La société LBC justifie avoir mis en place, pour la période de 2011 à 2017, une équipe technique ‘serenity’ composée de 4 salariés aux fins de paramétrage, gestion des données et maintenance du logiciel serenity, moteur d’intelligence artificielle capable d’attribuer une mention de conformité ou non-conformité, ainsi que deux équipes ‘fraude et modération’ employant 26 salariés, outre le recours à des prestataires externes aux fins notamment de traitement des signalements d’abus. Ces coûts salariaux ainsi que les montants facturés par les prestataires extérieurs sont attestés par la directrice du contrôle de gestion et certifiés par le commissaire aux compte pour un montant de près de 39 millions d’euros.
La société Entreparticuliers.com prétend que la vérification effectuée est formelle, et qu’elle intervient au stade de la création de données, outre que le contrôle effectué sur la légalité des annonces n’est pas relatif à la fiabilité de l’information.
Le fait que les contrôles opérés ne portent pas sur l’exactitude de l’ensemble des données, et que la société Entreparticuliers.com a pu faire constater que quelques annonces sur les 28 millions sont mal catégorisées ou ne mentionnent pas des éléments pourtant obligatoires aux termes de la réglementation du code de la construction et de l’habitation, ne permet pas de conclure que les opérations de vérification sont purement formelles. Au contraire, l’expert technique affirme, sans qu’aucun élément contraire n’ait été produit, que chaque nouvelle annonce est vérifiée par le moteur Serenity avant sa mise en ligne, puis après sa mise en ligne, par les équipes de modération, soit suite à un signalement, soit de façon spontanée, de sorte que toute nouvelle annonce est vérifiée au moins une fois, la directrice de pôle de la société CCA International chargée par la société LBC du traitement des abus attestant de ce que 8 500 signalements sont reçus et traités chaque jour.
Sur les investissements liés à la présentation
La notion d’investissements liés à la présentation du contenu de la base de données concerne les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l’information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu’à l’organisation de leur accessibilité individuelle.
La société LBC justifie qu’une équipe ‘produits’ composée de 19 salariés, représentant sur la période de 2011 à 2017 un coût de 1,2 millions d’euros, a notamment pour activité la définition, la maintenance et l’évolution des règles de catégorisation, l’étude du parcours de l’internaute sur le site, le design et le fonctionnement par catégorie du moteur de recherche ; qu’elle fait appel à des prestataires externes, fournisseurs de cartographie numérique, et que des développeurs informatiques, représentant un coût de plus de 6 millions d’euros, mettent en oeuvre les évolutions, outre une équipe de graphistes représentant des coûts salariaux de 363 000 euros.
La société Entreparticuliers.com soutient que les sommes alléguées sont destinées à améliorer la rentabilité du site en collant aux attentes de la clientèle, ou bien se rattachent à des programmes d’ordinateurs utilisés pour le fonctionnement de la base de données, de sorte qu’elles sont sans lien avec les moyens visant à la disposition des éléments contenus dans la base.
Il est cependant constant que les annonces du site leboncoin.fr, collectées de façon indépendantes les unes des autres, sont classées par régions, départements, villes ou codes postaux, mais aussi selon 10 catégories, qui sont ensuite découpées en sous-catégories, puis en critères de recherche spécifiques pour chaque sous-catégorie, le caractère prétendument banal et usuel de cette structure étant indifférent en matière de base de données.
Ainsi par exemple la catégorie ‘véhicules’ est structurée selon le type de véhicules (‘automobiles’, ‘ motos’ ‘caravaning’, ‘utilitaires’ ‘) , puis la sous-catégorie ‘motos’ comprend les critères de recherche qui lui sont propres, tels que le prix minimum/maximum, l’année, le modèle, les kilomètres minimum/maximum, la cylindrée minimum/maximum.
Il est également établi que cette arborescence détaillée qui rassemble et organise près de 28 millions d’annonces, avec une moyenne de 800 000 nouvelles annonces par jour, est mise à jour et en conformité par l’équipe de produits, qui comprend des chefs de marché par catégorie, lesquels en fonction des besoins de faire évoluer les champs ou les critères, du fait par exemple d’une nouvelle obligation légale en matière de saillie, de don ou de vente d’un animal de compagnie, ou de la loi ALUR dans le domaine immobilier, analysent les besoins, les options, demandent des maquettes aux graphistes, cette interface graphique concourant à la présentation des données et à l’amélioration de leur accessibilité, rédigent de la documentation fonctionnelle et technique, sollicitent les développeurs, avant que les dites modifications soient mises en oeuvre en ligne, de sorte que les coûts y afférents sont bien relatifs à l’organisation des données et à leur accessibilité individuelle, ce qui n’est pas exclusif du fait que l’équipe’produits’ est une équipe marketing contribuant à améliorer le service pour l’utilisateur, et à optimiser la gestion du site, de sorte que les arguments invoqués de ce chef par la société Entreparticuliers.com ne sont pas pertinents.
Il résulte de l’ensemble de ces développements, que les nouveaux investissements financiers, matériels et humains, alloués par la société LBC à la constitution, la vérification et la présentation de la base de données, appréciés distinctement, sont substantiels au sens des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, du fait de leur nature et de leur montants, sans qu’il soit nécessaire pour se prévaloir de la protection, de comparer lesdits investissements au chiffre d’affaires généré par la base de données ou à sa rentabilité, le moyen invoqué de ce chef par la société Entreparticuliers.com étant dès lors inopérant. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que le site leboncoin.fr constitue une base de données protégeable.
S’agissant de la sous-base ‘immobilier’ regroupant les annonces déposées dans les sous-catégories ‘vente’, ‘location’, ‘colocation’ et ‘bureaux et commerces’, la société LBC justifie avoir investi de 2014 à 2016 une somme de plus de 4,9 millions d’euros dans des campagnes de publicité ciblées en matière d’immobilier, qui ont permis de rechercher et de collecter un grand nombres d’annonces immobilières créées par des internautes, ces investissements étant liés à la constitution de la sous-base de données dans laquelle les dites annonces sont intégrées. Ces dépenses correspondent à des investissements spécifiques à prendre en compte au titre de la protection sollicitée par la société LBC pour la sous-base de données ‘immobilier’. En outre, la société LBC justifie avoir acquis pour un montant de 19,8 millions d’euros une société ‘A vendre A louer’ exploitant un site d’annonces immobilières en ligne affichant 6 millions de visiteurs par mois. Si l’intégralité de cette somme qui a trait au rachat d’une société ne peut être considérée comme se rapportant à des investissements spécifiques relatifs à la sous-base de données ‘immobilier’, il est cependant avéré que cette acquisition a permis d’enrichir la dite sous-base de la société LBC. Enfin, il n’est pas contesté que les annonces immobilières constituent 10% des annonces de la base de données de la société LBC, de sorte qu’une part qui peut être évaluée à 10% des investissements substantiels engagés par la société LBC pour la constitution, la vérification et la présentation du contenu de sa base de données, se rapporte au contenu de la sous-base de données ‘immobilier’.
Il résulte de ces éléments, que la société LBC justifie de nouveaux moyens substantiels consacrés à la constitution, la vérification et la présentation de la sous-base de données ‘immobilier’ l’autorisant à invoquer la protection au titre de ladite sous-base sur le fondement des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle.
Sur les extractions et les réutilisations substantielles du contenu de la sous-base de données
La société LBC soutient que la société Entreparticuliers.com se livre à des extractions et réutilisations qualitativement substantielles de sa base de données et de sa sous-base de données ‘immobilier’ tant par le fait du contrat que la société Entreparticuliers.com a conclu avec la société Directeannonces, que par l’extraction avec indexation des annonces, c’est à dire la reprise partielle des éléments essentiels de l’annonce et l’indexation par un lien permettant d’être redirigé sur la petite annonce correspondante du site leboncoin.
La société Entreparticuliers.com prétend ne pas avoir effectué d’extraction ni de réutilisation des données en ce qu’il n’y a pas d’appropriation ni de diffusion au public du contenu de la base, que le contrat de pige immobilière avec Directannonces l’autorise à prélever des données de différents annonceurs sur Internet, seulement à des fins de prospection commerciale, outre qu’une indexation n’est pas une extraction et que le caractère substantiel de l’extraction n’est pas démontré.
La cour rappelle que l’article L.342-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que ‘le producteur de bases de données a le droit d’interdire :
1° L’extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;
2° La réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme’.
Dans son arrêt du 9 octobre 2008 Directemedia Publishing C-304/07, la CJUE a précisé que l’extraction correspond au transfert d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative du contenu de la base de données protégée ou à des transferts de partie non substantielles qui, par leur caractère répété ou systématique, auraient conduit à reconstituer une partie substantielle de ce contenu.
Dans son arrêt du 18 octobre 2012 Football Dataco C-173/11, la CJUE a précisé que la réutilisation se caractérise par une série d’opérations successives, allant, à tout le moins, de la mise en ligne des
données concernées sur le site aux fins de leur consultation par le public à la transmission de ces données aux membres du public concerné’.
Dans son arrêt du 9 novembre 2004 Apis-Hristovitch C-20302, la CJUE a dit que la notion de partie quantitativement substantielle se réfère au volume de données extrait et/ou réutilisé de la base, et doit être apprécié par rapport au volume du contenu total de la base. La notion de partie qualitativement substantielle se réfère à l’importance de l’investissement lié à l’obtention, à la vérification ou à la présentation du contenu de l’objet de l’acte d’extraction et/ou de réutilisation, indépendamment du point de savoir si cet objet représente une partie quantitativement substantielle du contenu général de la base de données protégée.
Ces notions doivent être interprétées à la lumière de l’objectif poursuivi par le droit du producteur de base de données, à savoir protéger la personne qui a constitué la base contre des actes de l’utilisateur qui outrepassent les droits légitimes de celui-ci et qui portent ainsi préjudice à l’investissement.
En l’espèce, pour démontrer les extractions et réutilisation de sa base et sous-base de données la société LBC a notamment produit un procès-verbal de constat d’huissier de justice dressé les 5, 6, et 7 octobre 2016 sur le site de la société Entreparticuliers.com.
La société Entreparticuliers.com conteste la valeur probante dudit constat au motif que l’huissier de justice ayant effectué ses opérations sur trois jours, celles-ci ont été suspendues, puis reprises sans nouvelle vérification, pourtant prescrite par le protocole des constats sur internet. Elle reproche aussi à l’huissier de justice de n’avoir pas annexé les copies écran de toutes ses constatations, et lorsqu’elles sont annexées de n’avoir pas repris l’intégralité des pages du site Entreparticuliers.com et de la base de données leboncoin.fr.
Ainsi que l’a indiqué le tribunal par des motifs que la cour adopte, il ressort cependant des mentions du constat litigieux que durant chaque suspension, l’ordinateur utilisé par l’huissier de justice est demeuré ouvert ‘avec le navigateur Mozilla Firefox affichant toujours la dernière annonce consultée la veille’ de sorte que les vérifications initiales relatives à l’absence de connexion à un serveur proxy, à la suppression des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur, aux mémoires caches, à l’historique de navigation et aux cookies, n’avaient pas lieu d’être réitérées. Il ne peut pas non plus être reproché à l’huissier de justice de n’avoir pas annexé l’ensemble des captures d’écran, et l’ensemble des pages du site consulté, le fait qu’il indique présenter dans un tableau ‘les informations essentielles’ de ses constatations -à savoir les coordonnées de l’annonceur, la présence du logo LBC et l’adresse url, ne traduisant pas un parti-pris mais respectant au contraire le cadre de sa mission consistant à procéder aux constatations utiles à l’identification de l’origine des données.
Il résulte du procès-verbal dressé les 5, 6 et 7 octobre 2016 que sur les 70 annonces de la rubrique ‘vente’ du site Entreparticuliers.com, consultées par l’huissier de justice, 69 d’entre elles comportent le logo ‘ LBC’ sur la photographie présentant le bien ainsi que les caractéristiques et les coordonnées téléphoniques du vendeur telles que figurant sur le site leboncoin.fr.
Les constatations effectuées à partir de 100 annonces immobilières des rubriques ‘locations’ et ‘vacances’ montrent que 96 d’entre elles reprennent toutes les informations des annonces du site de la société LBC, à l’exception du numéro de téléphone de l’annonceur, ces annonces mentionnant ‘contact-voir le numéro de téléphone’, puis si l’on clique sur cet onglet ‘contact sur un site externe, cliquer pour accéder’ ouvrant un nouvel onglet avec la page correspondante du site leboncoin.fr. Les premiers juges ont retenu à tort qu’une telle indexation ne constituait pas une extraction au sens de l’article L.342-1 susvisé, alors que l’existence de ce lien hypertexte accessible après plusieurs clics n’est pas exclusif du transfert de la partie substantielle de l’annonce, toutes les données relatives au bien immobilier (localisation, surface, prix, description et photographie du bien) étant reproduites à l’exception du téléphone de l’annonceur, de sorte que ces constatations, relatives à des actes imputables à la société Entreparticuliers.com directement concurrente du producteur de la sous-base de données, outrepassant les droits légitimes de l’internaute et portant préjudice à l’investissement du producteur de la dite sous-base, caractérisent des extractions prohibées.
Il résulte en outre des 26 procès-verbaux de constat que la société LBC a fait dresser sur le site de la société Entreparticuliers.com, postérieurement au jugement dont appel, entre le 16 et le 30 novembre 2017, que la quasi totalité des 75 annonces immobilières consultées par l’huissier de justice reprennent tous les éléments de l’annonce correspondante du site leboncoin à l’exception du téléphone de l’annonceur, un onglet, mentionnant ‘repéré sur’ ou ‘contact’ sans autre précision, redirigeant vers la page du site leboncoin, une telle indexation, faite en connaissance de cause, en tirant profit des investissements réalisés par la société LBC pour la constitution de sa sous-base de données, ne relevant pas de la liberté de lier sur internet, mais d’une extraction prohibée par l’article L. 342-1 susvisé.
Il ressort en conséquence de l’ensemble de ces procès-verbaux réalisés en octobre 2016, puis en novembre 2017 que la quasi-totalité des résultats de recherches effectuées en matière immobilière par l’huissier de justice sur le site entreparticuliers.com correspondent à des annonces extraites du site leboncoin, dont sont reproduits pour chaque bien les éléments relatifs aux lieu, type de bien, prix et surface, qui sont les critères essentiels desdites annonces.
Il résulte en outre du contrat de pige immobilière conclu le 11 janvier 2017 à effet au 1er juillet 2016 avec la société Directannonces que la société Entreparticuliers.com ‘recevra toutes les nouvelles annonces immobilières de ventes publiées par les particuliers sur toute la France (sous réserve des oppositions CNIL et BLOCTEL) sous forme de 5 mises à jour quotidiennes transmis sur flux direct vers la base de données d’Entreparticuliers (…)’.
Il s’ensuit qu’en exécution de ce contrat la société Entreparticuliers.com s’est vu transférer toutes les annonces immobilières de vente du site LBC, de sorte qu’elle est infondée à prétendre qu’il n’y a pas eu d’appropriation desdites données qui lui ont bien été transférées, ni de diffusion au public ainsi qu’il résulte des procès-verbaux susvisés constatés sur son site internet. La circonstance que la transmission des données ait été prétendument effectuée à des fins de seule prospection commerciale est inopérante, peu importe le but poursuivi par celui qui procède à l’extraction, outre que ce moyen manque en fait, les 66 plaintes transmises entre décembre 2016 et février 2017 relatives à des annonces de ventes immobilières, faisant état, non seulement d’un démarchage commercial mais aussi le plus souvent d’une reprise intégrale de l’annonce diffusée sans autorisation sur le site Entreparticuliers.com. Enfin, le fait que cette extraction a été opérée à partir d’un fichier ‘de la pige’ de la société Directannonces est tout aussi inopérant, les notions d’extraction et de réutilisation, ainsi que l’a rappelé la CJUE dans son arrêt du 9 novembre 2004 The British Horseracing Board C203/02, n’étant pas circonscrites aux cas d’extraction et de réutilisation opérées directement à partir de la base d’origine, et ce sous peine de laisser la personne qui a constitué la base de données, sans protection, à 1’égard d’actes non autorisés de copiage opérés à partir d’une copie de sa base.
Il a été enfin démontré que la société LBC a dépensé des moyens substantiels pour la constitution, la vérification et la présentation de la sous-base de données ‘immobilier’ pour laquelle elle justifie par la production d’un sondage médiamétrie de mars 2017 qu’elle est le site n°1 dans le secteur immobilier des particuliers sur internet.
Il résulte des développements qui précèdent un faisceau d’indices concordants de nature à établir l’extraction et la réutilisation d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la sous-base de données ‘immobilier’ de la société LBC.
En revanche, les constats effectués relativement à une centaines d’annonces concernant des articles vestimentaires, des biens électroménager et des véhicules dont il n’est justifié ni qu’ils représentent un volume important de données par rapport au contenu total de la base qui compte près de 28 millions d’annonces, ni qu’ils se réfèrent à des investissements ciblés sur ces domaines d’une particulière importance, sont insuffisants à caractériser une extraction ou une réutilisation substantielle du contenu de la base de données LBC dans son ensemble. Les demandes formées à ce titre seront donc rejetées.
Sur la réparation du préjudice
Il sera fait droit aux demandes d’interdiction dans les conditions du dispositif ci-après.
La société LBC fait valoir en outre qu’elle a subi un préjudice financier. Elle explique que les équipes modération ont consacré du temps au traitement des plaintes, que son service juridique a été mobilisé sur cette problématique d’extraction massive, qu’elle a engagé des frais et honoraires d’huissiers de justice pour les procès-verbaux de constat, ainsi que pour les vérifications du commissaire aux comptes pour un montant total de 53 732,23 euros.
Elle ajoute que si elle avait consenti à la société Entreparticuliers.com un contrat de pige immobilière à des fins de prospection commerciale, elle lui aurait fait payer 80 euros par département soit 7 680 euros par mois soit de 2012 à 2019 un montant total de 714 240 euros.
Elle soutient enfin qu’elle a subi un préjudice d’image qu’elle évalue à 100 000 euros en ce que le démarchage commercial intempestif réalisé auprès de ses clients porte atteinte à l’image de bonne réputation du site qu’elle est parvenu à se forger en veillant à la qualité de ses services.
La société Entreparticuliers.com s’oppose à ces demandes qu’elle considère pour partie irrecevables comme prescrites, et en tout état de cause infondées et non justifiées.
La cour constate que les demandes de dommages-intérêts sont relatives à la période commençant à compter du 25 avril 2012, soit cinq années avant l’assignation introductive, de sorte qu’aucune fin de non recevoir tirée de la prescription ne peut leur être opposée.
La société LBC justifie qu’elle a dû organiser des parades face à ces extractions substantielles, l’équipe dédiée au support client répondant aux utilisateurs mécontents et adaptant les réponses au fil des plaintes répertoriées, l’équipe ‘fraude et modération’ procédant à des analyses pour lesquelles elle a consacré sur la période environ 3 heures par mois, le service juridique ayant enfin été mobilisé pour collecter les plaintes, les traiter, procéder aux démarches auprès de la CNIL, faire dresser les procès-verbaux de constat d’huissier de justice ainsi que les attestations des commissaires aux comptes. La société LBC justifie d’un préjudice financier résultant des coûts indus engendrés par les atteintes dont elle a été victime du fait des agissements de la société Entreparticuliers.com sur sa sous-base de données ‘immobilier’ d’un montant de 50 000 euros. Le quantum du jugement sera donc infirmé sur ce point.
Il est également avéré, ainsi que l’a retenu à juste titre le tribunal, que les agissements de la société Entreparticuliers.com reproduisant des annonces de la base de données de la société Leboncoin ont créé un préjudice d’image à cette dernière établi par les nombreux messages d’annonceurs se plaignant de la publication de leur annonce sur le site entreparticuliers.com ainsi que du démarchage commercial opéré par cette dernière. Cependant, ainsi que l’ont retenu pertinemment les premiers juges, la société Leboncoin n’établit pas qu’il en ait résulté une forte dégradation de son image de marque et une perte de confiance de la part de ses utilisateurs, de sorte que le jugement dont appel qui lui a accordé une somme de 20 000 en réparation de son préjudice d’image sera confirmé de ce chef.
Il sera également confirmé, en ce qu’il a fait droit à la demande de publication, cette mesure complémentaire de réparation étant justifiée compte tenu de l’accroissement significatif des plaintes au cours de l’année 2017.
La société LBC sollicite en outre une somme de 714 240 euros au titre d’un préjudice financier résultant d’un manque à gagner d’une redevance mensuelle qu’elle aurait pu facturer à la société Entreparticuliers.com.
Elle reconnaît cependant elle-même dans ses écritures qu’elle n’aurait jamais concédé un contrat de licence à son concurrent direct, la société Entreparticuliers.com, et que s’agissant de son coeur de métier elle n’a aucun intérêt à vendre à un tel concurrent les petites annonces qu’elle a collectées au prix de lourds investissements financiers, outre qu’au regard des obligations de la CNIL elle n’est pas en mesure de conclure un tel contrat, de sorte qu’elle n’établit pas un préjudice financier direct en l’absence de tout contrat conclu avec la société Entreparticuliers.com, ni d’une perte de chance réelle, sérieuse et raisonnable de recevoir de telles redevances. Elle sera donc déboutée de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Rejette l’exception d’irrecevabilité des demandes formées sur le fondement de la sous-base de données ‘immobilier’, et la demande de rejet des débats des pièces 9, 18, 67 et 72 ;
Confirme la décision entreprise en ce qu’elle a dit que le site leboncoin.fr constitue une base de données dont la société LBC France est le producteur, ordonné une mesure de publication, et condamné la société Entreparticuliers.com à payer à la société LBC France les sommes de 20 000 euros en réparation de son préjudice d’image, de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens ;
Infirme pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant ;
Dit que la société LBC France est producteur de la sous-base de données ‘immobilier’ du site leboncoin.fr ;
Dit que la société Entreparticuliers.com a procédé à l’extraction et à la réutilisation de parties substantielles de la sous-base de données ‘immobilier’ du site leboncoin.fr ;
Ordonne la cessation de ces agissements, et ce sous astreinte de 500 euros par violation constatée;
Condamne la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC France la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier ;
Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;
Condamne la société Entreparticuliers.com aux dépens d’appel, et vu l’article 700 du même code, la condamne à payer à la société LBC France la somme de 40 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE