Attention à parfaitement identifier les titres musicaux faisant l’objet d’une exclusivité de distribution électronique.
La société 13e Art Music a signé un contrat d’artiste avec Mehdi Bekrar, chanteur de rap français, connu sous le nom de Mehdi YZ. Le contrat de coexploitation, signé le 15 janvier 2020 entre 13e Art Music et Midnite précisait notamment, en son préambule, que 13e Art Music ‘déclare et garantit détenir les droits exclusifs d’exploitation relatifs aux trois futurs albums studios inédits de l’artiste (1 album ferme et 2 options) ainsi qu’aux droits d’exploitation du nom, de l’image et relatifs aux concerts privés’ ; Le contrat de coexploitation stipulait aussi que ‘Midnite se chargera à titre exclusif de la distribution physique des enregistrements ; Midnite se chargera également à titre exclusif de la distribution des enregistrements, sous forme de téléchargement, streaming via internet (et notamment YouTube et/ou toute autre plate-forme) et via la téléphonie mobile et fixe, directement ou via le prestataire tiers de son choix’.
L’exploitation commune et la distribution exclusive ont été consenties moyennant le paiement par Midnite à 13e Art Music d’une avance sur redevances d’un montant de 40.000 euros HT pour le premier album et d’une prime de 5.000 euros HT au bénéfice de 13e Art Music, Midnite s’engageant sur les stratégies marketing et promotionnelles et les deux sociétés ayant vocation à partager les bénéfices dégagés par les exploitations, après récupération par Midnite de l’avance (Midnite bénéficiait par ailleurs d’options sur la coexploitation des deux albums suivants de Mehdi YZ).
La société 13e Art Music a mis en ligne un enregistrement de Mehdi YZ, ‘Naya’, ce que la société Midnite a considéré comme un manquement contractuel ; Midnite estimait aussi que les discussions directement engagées par 13e Art Music avec la société Pias (sous distributeur de Midnite) constituaient une violation des stipulations du contrat, empiétant sur son mandat de distribution exclusif, étant observé qu’au final, Midnite et Pias ont signé un contrat de distribution.
Pour exclure toute faute imputable à la société 13e Art Music, la juridiction a considéré que l’enregistrement ‘Naya’ n’était pas inclus dans la liste des titres du premier album élaboré conjointement par les parties, sa distribution électronique était donc libre.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRET DU 08 AVRIL 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/10407 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDTJ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Juillet 2020 -Président du TC de PARIS – RG n° 2020022395
APPELANTE
S.A.S. 13 EME ART MUSIC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Chantal MEININGER BOTHOREL de la SELARL PEISSE DUPICHOT LAGARDE BOTHOREL et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : J149
Assistée par Me Bruno LEFEBURE, avocat au barreau de Marseille
INTIMEE
S.A.R.L. MIDNITE prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au dit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440
Assistée par Me Virginie DOMAIN substituant Me Camille CAILLAUD, avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Mars 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par Thomas RONDEAU, Conseiller conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Hélène GUILLOU, Présidente de chambre
Thomas RONDEAU, Conseiller
Michèle CHOPIN, Conseillère
Greffier, lors des débats : Lauranne VOLPI
ARRÊT :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Hélène GUILLOU, Présidente de chambre et par Lauranne VOLPI, Greffier présent lors de la mise à disposition,
Exposé du litige
Le 15 janvier 2020, la SAS 13e Art Music et la SARL Midnite ont signé un contrat de coexploitation du premier album du rappeur Medhi YZ, avec une option pour l’exploitation de deux éventuels futurs albums. Le contrat était prévu pour prendre fin cinq ans après la sortie du dernier enregistrement exploité dans le cadre du contrat.
Aux termes de ce contrat, la société Midnite était en charge à titre exclusif de la distribution physique et digitale. En contrepartie, elle devait verser à la société 13e Art Music la somme de 40.000 euros à la signature du contrat à titre d’avance, outre une prime de 5.000 euros.
Le 24 janvier 2020, la société 13e Art Music a mis en ligne un morceau de l’artiste intitulée ‘Naya’.
Le 25 février 2020, la société Midnite l’a mise en demeure de faire cesser ce qu’elle considérait être un manquement au contrat.
Elle l’a également informée réduire le montant de l’avance à la somme de 20.000 euros. Selon la société Midnite, la société 13e Art Music aurait consenti à cette réduction du prix, ce qu’elle dément.
Par ailleurs, les deux cocontractants se sont opposés sur le déroulement des négociations avec la société de distribution Pias, avec laquelle la société Midnite a finalement signé un contrat de distribution le 4 mai 2020.
Au vu de ces nombreux désaccords, la société 13e Art Music a informé la société Midnite le 27 mai 2020 de ce qu’elle résiliait unilatéralement le contrat. Le 28 mai, elle a informé la société Pias de cette résiliation.
Le 18 juin 2020, la société Midnite a assigné la société 13e Art Music devant le juge des référés. Elle lui a demandé de :
— constater l’urgence ;
— juger que la société Midnite est recevable en son action ;
— juger que la rupture unilatérale et anticipée notifiée par la société 13e Art Music par email du 27 mai 2020 du contrat de coexploitation signé le 15 janvier 2020 pour une durée déterminée de 5 ans après la sortie commerciale du dernier enregistrement exploité dans le cadre du contrat de coexploitation est abusive et partant, qu’elle constitue un trouble manifestement illicite qu’il faut faire cesser ;
— juger que la rupture unilatérale et anticipée notifée par la société 13e Art Music du contrat de coexploitation signé le 15 janvier 2020 et la notification par la société 13e Art Music de cette rupture abusive à la société Pias sont de nature à créer pour la société Midnite un dommage imminent qu’il faut prévenir ;
— en conséquence, ordonner à la société 13e Art Music de rétablir et maintenir la poursuite des effets du contrat de coexploitation signé le 15 janvier 2020 avec la société Midnite et de respecter l’ensemble des obligations prévues au contrat jusqu’au terme du contrat ;
— ordonner la cessation immédiate, aux frais de la société 13e Art Music, de l’ensemble des exploitations litigieuses de l’enregistrement ‘Naya’ de l’artiste Medhi YZ ;
— ordonner la cessation immédiate des atteintes à l’exclusivité accordée à la société Midnite concernant la distribution des enregistrements de l’artiste Medhi YZ ;
— assortir chacune de ces injonctions d’une astreinte de 12.500 euros par jour de retard et par infraction constatée qui commencera à courir le lendemain de la signification de l’ordonnance à intervenir ;
— se réserver la liquidation de l’astreinte ;
— condamner la société 13e Art Music au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Régulièrement assignée, la société 13e Art Music n’a ni comparu, ni ne s’est faite représenter.
Le 7 juillet 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a :
— ordonné à la société 13e Art Music de rétablir et maintenir la poursuite des effets du contrat de coexploitation signé Ie 15 janvier 2020 avec la société Midnite et de respecter l’ensemble des obligations prévues au contrat jusqu’au terme du contrat ;
— ordonné la cessation immédiate, aux frais de la société 13e Art Music, de l’ensemble des exploitations litigieuses de l’enregistrement ‘Naya’ de I’artiste Medhi YZ ;
— ordonné la cessation immédiate des atteintes à I’exclusivité accordée à la société Midnite concernant la distribution des enregistrements de I’artiste Medhi YZ ;
— assorti chacune de ces injonctions d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par infraction constatée qui commencera à courir le lendemain de la signification de l’ordonnance ;
— dit qu’il ne se réserve pas la liquidation de l’astreinte ;
— rejeté le surplus des demandes ;
— condamné la société 13e Art Music à payer à la société Midnite la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le premier juge a notamment estimé que c’était bien la société 13e Art Music et non la société Midnite qui avait manqué à ses obligations contractuelles et qu’elle n’était donc pas en droit de résilier unilatéralement le contrat de coexploitation.
Par déclaration en date du 27 juillet 2020, enregistrée sous le numéro 20/10407 puis sur réitération de l’appel sous le numéro 20/11169, la société 13e Art Music a fait appel de cette décision, critiquant l’ordonnance en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a rejeté le surplus des demandes de la société Midnite et ne s’est pas réservé la liquidation de l’astreinte.
Par ordonnance du 24 novembre 2020, le président de la chambre a ordonné la jonction des procédures 20/11169 et 20/10407, dit qu’elles se poursuivront sous le numéro 20/10407, dit n’y avoir lieu à application des sanctions de l’article 905-2 du code de procédure civile, dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, laissé les dépens à la charge de la société 13e Art Music.
Par ordonnance du 9 février 2021, le président de la chambre a constaté l’absence de pouvoir du président de la chambre pour statuer sur la nullité des déclarations d’appel pour défaut de pouvoir de M. X, l’irrecevabilité d’une demande en vertu du principe de l’estoppel et la demande de ‘débouté de la société 13e Art Music de toutes ses demandes fins et prétentions’, rejeté la demande tendant à voir prononcer la nullité des conclusions sur le fondement de l’article 117 du code de procédure civile, rejeté la demande de caducité des appels interjetés par la société 13e Art Music, rejeté la demande tendant à voir prononcer l’irrecevabilité de l’appel et des conclusions pour défaut de qualité, dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, condamné la société Midnite aux dépens de l’incident qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 25 février 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société 13e Art Music demande à la cour, au visa de l’article 16 du code de procédure civile, des articles 1103, 1104 et 1223 du code civil, de :
— la recevoir en son appel, le déclarer recevable et bien fondée ;
— débouter l’appelante de sa demande tendant à voir déclarer nulle la déclaration d’appel et les conclusions de l’appelante au motif d’absence de pouvoir du président, la prétendue nullité ayant été couverte par les conclusions d’incident déposées dans le cadre de la présente procédure ;
— confirmer en conséquence les termes de l’ordonnance d’incident en date du 9 février 2021 rejetant les demandes de nullité pour défaut de qualité à agir du président ;
— dire et juger que les dispositions de l’article 873 alinéa 1 du code de procédure civile ne peuvent trouver application en l’espèce ;
— dire et juger que la société Midnite a manifestement manqué à ses obligations contractuelles ;
— dire et juger que c’est en raison de ces manquements que la société 13e Art Music a légitimement résilié le contrat de coexploitation et ce aux torts de la société Midnite ;
— en conséquence, réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise et débouter la société Midnite de l’intégralité de ses demandes tant comme irrecevables que mal fondées ;
— réformer également l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a cru devoir assortir les injonctions de faire d’une astreinte de 1.000 euros par jour soit au total 3.000 euros et supprimer lesdites astreintes ;
— dire et juger que ces astreintes parfaitement injustifiées et au surplus, exorbitantes, devront à tout le moins être diminuées dans de notables proportions ;
— débouter en outre la société Midnite de sa demande de dommages et intérêts au visa de l’article 32-1 du code de procédure civile et de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner la société Midnite à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel, ces derniers distraits au profit de Maître Meininger-Bothorel.
La société 13e Art Music expose en substance les éléments suivants :
— outre ce qui a déjà été jugé par les ordonnances d’incident, elle a régularisé la mention erronée dans ses précédentes écritures déposées s’agissant du nom du président ;
— elle est le détenteur et le producteur exclusif des droits d’exploitation sur l’ensemble des enregistrements de Medhi YZ en vertu d’un contrat d’artiste, comme le rappelle le contrat du 15 janvier 2020 ; la société Midnite dispose d’un droit de distribution exclusif uniquement sur les enregistrements objets du contrat et notamment sur le premier album de Medhi YZ ; tous les autres enregistrements de Medhi YZ qui ne sont pas dans le champ contractuel restent la propriété exclusive de la société 13e Art Music dont elle jouit comme elle l’entend ;
— l’enregistrement ‘Naya’ ne figure pas dans la liste des titres du premier album de Medhi YZ et n’est donc pas dans le champ contractuel, de sorte qu’elle était parfaitement en droit de l’exploiter, ayant au demeurant obtenu l’accord verbal du dirigeant de la société Midnite pour exploiter cet enregistrement ;
— le droit de distribution exclusif de la société Midnite n’interdit en rien à la société 13e Art Music de collaborer à la recherche d’un distributeur ; elle était donc parfaitement en droit de négocier avec la société Pias, avec qui elle était en rapport depuis novembre 2019, soit avant la signature du contrat du 15 janvier 2020, ce qu’elle n’a jamais dissimulé ;
— force est de constater qu’après avoir refusé de négocier avec la société Pias, la société Midnite a finalement signé un contrat de distribution avec elle le 4 mai 2020 sans en avertir la société 13e Art Music, aucun manquement contractuel ne peut être reproché sur ce point ;
— la société Midnite soutient que la résiliation du contrat constituerait un dommage imminent, car elle se trouverait dans l’impossibilité de respecter ses engagements vis-à-vis de la société Pias, mais ce dommage est en réalité inexistant, la société Midnite ayant en effet pu signer un contrat de distribution avec la société Pias sans en référer à la société 13e Art Music et recevoir 60.000 euros d’avance de sa part ;
— l’article 11 du contrat du 15 janvier 2020 autorise l’une des parties à le résilier unilatéralement en cas de manquement grave de l’autre partie ; or, la société Midnite n’a payé que 20.000 euros des 40.000 euros d’avance prévue au contrat, justifiant cette réduction du prix par l’exploitation soi disant illicite du titre ‘Naya’ par la société 13e Art Music ; contrairement à ce qu’affirme la société Midnite, la société 13e Art Music n’a jamais consenti à cette réduction du prix ;
— la signature du contrat de distribution avec la société Pias constitue également un manquement au contrat de distribution, puisque la société 13e Art Music aurait du signer à ce contrat en qualité de coexploitant des enregistrements de Medhi YZ ;
— en raison de ces deux manquements graves, la société 13e Art Music était en droit de résilier unilatéralement le contrat aux torts de la société Midnite ;
— à titre subsidiaire, la cour devra réduire le montant des astreintes, qui sont disproportionnées par rapport aux faibles revenus générés par l’exploitation des enregistrements de Medhi YZ.
Par conclusions remises le 26 janvier 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Midnite demande à la cour, au visa des articles 117, 873 alinéa 1er du code de procédure civile, des articles 1103, 1104, 1193 et 1212 du code civil, de l’article 32-1 du code de procédure civile, des articles 699 et 700 du code de procédure civile, de :
— constater et juger que le président du tribunal de commerce de Paris était parfaitement compétent pour rendre l’ordonnance du 7 juillet 2020 ;
— constater l’existence d’un trouble manifestement illicite et d’un dommage imminent caractérisé lorsque le juge des référés a statué le 7 juillet 2020 ;
— en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue le 7 juillet 2020 ;
— débouter la société 13e Art Music de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
y ajoutant et en tout état de cause,
— condamner la société 13e Art Music au paiement de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
— condamner la société 13e Art Music au paiement de la somme supplémentaire de 20.000 euros à son profit au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Virginie Domain.
La société Midnite expose en résumé ce qui suit :
— la société 13e Art Music a diffusé l’enregistrement ‘Naya’ à partir du 6 février 2020 ; or, à cette date la liste des titres du premier album de Medhi YZ n’avait pas encore été arrêtée ; il est donc faux de dire que l’enregistrement ‘Naya’ était exclu du droit d’exploitation exclusif de la société Midnite, ce qui a été reconnu par la société 13e Art Music dans un email du 9 mars 2020 puis dans un courrier du 26 octobre 2020 ;
— la société Midnite était parfaitement en droit de mettre en demeure la société 13e Art Music de cesser l’exploitation de l’enregistrement ‘Naya’, en violation du droit d’exploitation exclusif et aussi de réduire le prix et de ne verser que 20.000 euros en conséquence du manquement contractuel ;
— aucune faute justifiant la résiliation unilatérale ne peut donc être reprochée à la société Midnite ;
— au terme du contrat du 15 janvier 2020, la société Midnite était en droit de former un contrat de distribution avec le prestataire de son choix ; alors qu’elle a elle même négocié avec la société Pias, la société 13e Art Music reproche désormais à la société Midnite d’avoir négocié avec elle ;
— dès le 28 mai 2020 (lendemain de la résiliation unilatérale), elle a d’ailleurs informé la société Pias de sa volonté de contracter directement avec elle ;
— comme l’a reconnu la société 13e Art Music, la société Midnite agissait en réalité en qualité de mandataire de la société 13e Art Music lors de la signature du contrat avec la société Pias ; Medhi YZ a agréé les termes du contrat signé entre les sociétés Midnite et Pias ;
— là encore, aucune faute justifiant la résiliation unilatérale ne peut être reprochée à la société Midnite
sur ce point ;
— la rupture unilatérale abusive opérée par la société 13e Art Music constitue un trouble manifestement illicite ;
— du fait de cette rupture, la société Midnite est dans l’impossibilité de respecter ses engagements auprès de la société Pias ;
— la société Midnite a en effet perdu toute crédibilité auprès de cette société, qui a même proposé d’organiser la cession du contrat qui les lie à la société 13e Art Music ;
— ceci constitue un dommage imminent qu’il appartient au juge des référés de faire cesser.
SUR CE LA COUR
A titre liminaire, il sera observé que la société intimée ne demande pas, dans ses dernières écritures, la nullité de l’acte d’appel, de sorte que les observations sur ce point de la société 13e Art Music sont sans objet.
Il sera de même observé que la société 13e Art Music n’a pas repris, dans ses dernières écritures, le moyen tiré de ce que l’action en référé relevait non du tribunal de commerce mais du tribunal judiciaire, de sorte qu’il n’y pas non plus lieu pour la cour de statuer sur ce point.
En application de l’article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s’entend du dommage qui ne s’est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.
Le trouble manifestement illicite visé s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
En l’espèce, il y a lieu de relever :
— que 13e Art Music a signé un contrat d’artiste avec Mehdi Bekrar, chanteur de rap français, connu sous le nom de Mehdi YZ ;
— que le contrat de coexploitation, signé le 15 janvier 2020 entre 13e Art Music et Midnite précise notamment, en son préambule, que 13e Art Music ‘déclare et garantit détenir […] les droits exclusifs d’exploitation relatifs aux trois futurs albums studios inédits de l’artiste (1 album ferme et 2 options) ainsi qu’aux droits d’exploitation du nom, de l’image et relatifs aux concerts privés’ ;
— que l’article 1 du contrat indique que les parties sont convenues de collaborer dans la publication, la promotion et la commercialisation de l’album 1 de l’artiste sous toutes formes dans les conditions prévues aux présentes, outre deux albums optionnels ;
— que le contrat de coexploitation signé entre les parties stipule aussi que ‘Midnite se chargera à titre exclusif de la distribution physique des enregistrements’ ;
— que ‘Midnite se chargera également à titre exclusif de la distribution des enregistrements, sous forme de téléchargement, streaming via internet (et notamment YouTube et/ou toute autre plate-forme) et via la téléphonie mobile et fixe, directement ou via le prestataire tiers de son choix’ ;
— que Midnite et 13e Art Music ont aussi convenu de coexploiter les enregistrements objets des présentes à compter de la date de signature et pendant une durée se terminant cinq ans après la sortie commerciale du dernier enregistrement exploité ;
— que l’exploitation commune et la distribution exclusive ont été consenties moyennant le paiement par Midnite à 13e Art Music d’une avance sur redevances d’un montant de 40.000 euros HT pour le premier album et d’une prime de 5.000 euros HT au bénéfice de 13e Art Music, Midnite s’engageant sur les stratégies marketing et promotionnelles et les deux sociétés ayant vocation à partager les bénéfices dégagés par les exploitations, après récupération par Midnite de l’avance ; que Midnite bénéficie par ailleurs d’options sur la coexploitation des deux albums suivants de Mehdi YZ ;
— que Midnite, compte tenu de son exclusivité de distribution, a conclu un contrat avec la société Pias, distributeur ;
— que, le 24 janvier 2020, il est constant que la société 13e Art Music a mis en ligne un enregistrement de Mehdi YZ, ‘Naya’, ce que la société Midnite considère comme un manquement contractuel ; que Midnite estime aussi que les discussions directement engagées par 13e Art Music avec la société Pias constituent une violation des stipulations du contrat, empiétant sur son mandat de distribution exclusif, étant observé qu’au final, Midnite et Pias ont signé un contrat de distribution le 4 mai 2020 ;
— que, dans ces circonstances, par courrier du 3 mars 2020 (pièce 16), Midnite a sollicité une diminution de prix : réduction de l’avance de 40.000 euros HT à 18.000 euros HT et montant de la prime ramenée de 5.000 euros HT à 2.000 euros HT ;
— que, par courrier du 25 mai 2020 (pièce 8 appelante), le conseil de 13e Art Music a notifié à Midnite la volonté de sa cliente ‘de procéder sans délai à la résiliation anticipée de ce contrat en raison des vices du consentement affectant [sa] formation […] et des manoeuvres frauduleuses commises […] après la signature du contrat’, arguant en substance de ce que Midnite n’aurait pas les liens professionnels prétendus et de ce que, malgré la parfaite information donnée sur l’exploitation de l’enregistrement ‘Naya’ et sur la proposition Pias, Midnite entendait échapper à ses obligations financières ; que 13e Art Music a aussi précisé proposer une rupture amiable, en remboursant la somme de 20.000 euros au titre de l’avance versée le 5 mars 2020 ainsi que l’ensemble des frais avancés pour un montant de 5.000 euros soit au total la somme de 25.000 euros, tout en exposant que, faute d’accord amiable, il y avait lieu de considérer la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Midnite ;
— que, s’agissant d’abord du trouble manifestement illicite, Midnite estime que la rupture anticipée du contrat par 13e Art Music constituerait une violation évidente de la règle de droit applicable entre les parties, s’agissant d’une résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée ; qu’en particulier, les motifs allégués ne seraient pas sérieux ;
— que Midnite conteste tout manquement de sa part, ainsi des allégations selon lesquelles elle n’aurait pas eu le droit de signer un contrat avec Pias hors la présence de 13e Art Music n’étant pas fondées ;
— que Midnite estime aussi que la violation de l’exclusivité, par la diffusion sans son accord préalable et écrit d’un titre du rappeur effectuée par la société 13e Art Music, alors que le titre ‘Naya’ était à l’évidence compris dans le champ contractuel, outre le démarchage direct du distributeur Pias, constituent un trouble manifestement illicite ;
— que, quant au dommage imminent au sens de l’article 835 du code de procédure civile, Midnite expose qu’elle se trouverait, du fait de la rupture abusive imposée par 13e Art Music, dans l’impossibilité de respecter ses propres engagements vis-à-vis de Pias ;
— qu’agissant devant le juge des référés, juge de l’évidence, il appartient cependant à la société Midnite, demanderesse aux mesures provisoires, d’en démontrer le bien-fondé, étant précisé que, dans la présente procédure, les parties s’accusent mutuellement de manquements contractuels ;
— qu’il faut à cet égard constater que, comme le fait d’abord valoir à juste titre 13e Art Music, l’article 11 du contrat stipule que chacune des parties pourra résilier de plein droit et unilatéralement le présent contrat, en cas d’inexécution par celle-ci de l’une des obligations essentielles du présent contrat ;
— que Midnite n’apparaît pas elle-même avoir respecté l’obligation de paiement du prix fixé entre les parties, obligation essentielle du contrat, à savoir 40.000 euros HT au titre d’une avance et 5.000 euros HT au titre d’une prime ; que Midnite n’a pas versé le prix convenu, mais estime que les manquements contractuels de 13e Art Music étaient de nature à justifier une diminution de prix, étant observé qu’aucune pièce produite aux débats ne vient justifier de l’accord formel de l’appelante pour cette diminution, nonobstant les échanges de SMS entre les parties sur ce point ;
— que, dans un courriel du 9 mars 2020 (pièce 15 intimée), 13e Art Music fait état d’un accord verbal expresse pour la sortie du titre ‘Naya’, accord verbal contesté par l’intimée ;
— qu’en toute hypothèse, cette information donnée ne permet pas de savoir si le titre en question faisait partie du champ contractuel, comme l’indique la société appelante, Midnite ne pouvant se prévaloir non plus d’un courrier adressé par le conseil de l’appelante le 26 octobre 2020 (pièce 41) pour faire état d’une reconnaissance de son comportement illicite par 13e Art Music, alors que ce courrier, postérieur à l’ordonnance entreprise, visait à l’évidence à s’y conformer ;
— qu’il s’en déduit aussi que c’est en vain que l’intimée estime que l’attitude de l’appelante caractériserait, compte tenu des supposées contradictions, un manquement au principe selon lequel nul ne doit se contredire au détriment d’autrui, alors que les contradictions alléguées ne sont pas établies ;
— que 13e Art Music indique aussi valablement, à titre de contestation, que l’enregistrement ‘Naya’ n’était pas inclus dans la liste des titres du premier album élaboré conjointement par les parties, ainsi qu’il résulte d’un courriel de Midnite du 2 avril 2020 (pièce 3 appelante), alors que le contrat s’appliquait audit premier album avec option sur deux autres albums ; que 13e Art Music expose d’ailleurs aussi que ce titre avait été enregistré dès mai 2019, soit bien avant les relations entre les parties ;
— que 13e Art Music peut en outre légitimement contester tout manquement contractuel de sa part en relevant que, s’agissant des discussions avec Pias, elle avait en réalité entamé des discussions avec cette dernière société dès novembre 2019, préalablement à la signature du contrat, comme en attestent en effet les échanges de courriels avec cette société (pièce 14), 13e Art Music proposant à Midnite, au regard de ses pourparlers antérieurs, de l’aider dans la recherche d’un distributeur, sans qu’il puisse s’en déduire un illicéité manifeste dans le comportement de 13e Art Music ;
— que c’est encore à juste titre que le dommage imminent allégué par l’intimée n’est qualifiée par 13e Art Music que d’éventuel et dans les faits sans réalité, étant notamment observé que le contrat signé entre Midnite et Pias prévoit que Pias remet la somme de 60.000 euros HT à titre d’avance, qui est, aux termes de ce contrat de distribution, récupérable.
Ainsi, la SARL Midnite, dans ces circonstances, ne démontre pas que la rupture des relations contractuelles et la mise en ligne du titre ‘Naya’ constituent un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent, alors que :
— le contrat en cause prévoit bien la faculté de résiliation unilatérale par une partie ;
— la SARL Midnite a manqué à son obligation essentielle de paiement du prix ;
— les manquements contractuels reprochés par la SARL Midnite à la SAS 13e Art Music, de nature à justifier la diminution du prix, ne sont pas établis avec l’évidence requise en référé, qu’il s’agisse tant des modalités de négociation avec la société Pias que de la mise en ligne du titre ‘Naya’, au regard des contestations sérieuses élevées par l’appelante ;
— le dommage imminent ne saurait résulter du seul contrat de distribution conclu entre Midnite et Pias, ledit contrat prévoyant les conditions dans lesquelles les sommes versées à Midnite pouvaient être en toute hypothèse récupérables ;
— la cour, statuant avec les pouvoirs du juge des référés, n’a pas à se substituer aux juges du fond pour établir l’imputabilité des manquements dont font mutuellement état les parties, mais peut cependant constater que Midnite échoue à établir, avec l’évidence requise, qu’il y avait lieu d’ordonner, en référé, la poursuite des relations contractuelles et la cessation de supposées exploitations litigieuses ou atteintes à l’exclusivité.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la décision entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions et il sera dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la SARL Midnite.
Ce qui est jugé en cause d’appel commande de rejeter la demande de la SARL Midnite pour procédure abusive, la SARL Midnite succombant en ses prétentions.
La SARL Midnite devra indemniser la SAS 13e Art Music de ses frais non répétibles exposés pour sa défense, en première instance et en appel, et sera également condamnée aux dépens, dans les conditions indiquées au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la SARL Midnite ;
Rejette la demande en dommages et intérêts de la SARL Midnite pour procédure abusive ;
Condamne la SARL Midnite à verser à la SAS 13e Art Music la somme de 4.000 euros au titre des frais non répétibles de première instance et d’appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Midnite aux dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit du conseil de la SAS 13e Art Music en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
La Greffière, La Présidente