La Cour de cassation a confirmé que les modèles de chaise et de fauteuil Tulip créés par Eero Saarinen et déposés au Copyright office américain ne sont pas protégeables en France au titre du droit d’auteur en raison de leur caractère fonctionnel. Constatant qu’aucun élément artistique ne pouvait être séparé de cette forme fonctionnelle, la Cour de cassation a jugé que les sociétés Knoll (cessionnaires des droits) ne pouvaient solliciter en France la protection du droit d’auteur pour les chaise et fauteuil Tulip.
Protection du Design utilitaire et fonctionnel
Confronté à un objet utilitaire, le droit américain du copyright exclut sa protection, sauf s’il existe dans cet objet des éléments artistiques séparables qui pourraient être considérés en eux-mêmes comme des oeuvres picturales, graphiques ou sculpturales, et dans ce cas la protection ne s’étendra qu’à ces éléments.
Se fondant sur les consultations et certificats de coutume produits par les parties et sur la décision de la Cour suprême des Etats-Unis du 22 mars 2017 Star Athletica, LLCv. Varsity Brands, pour déterminer dans quelles conditions le droit positif américain protège les oeuvres d’art appliqué et quelle méthode doit être suivie pour apprécier si de telles oeuvres sont éligibles à la protection du copyright, les juges suprêmes ont considéré que cette protection est exclue pour un objet utilitaire sauf s’il contient des éléments artistiques séparables qui peuvent être considérés en eux-mêmes comme des oeuvres picturales, graphiques ou sculpturales, auquel cas la protection ne s’étend qu’à ces éléments.
Droits des sociétés Knoll
Les société Knoll fabriquent et distribuent du mobilier contemporain. Soutenant que Eero Saarinen, designer architecte américain d’origine finlandaise, leur avait cédé, à titre exclusif, les droits patrimoniaux sur deux modèles de chaise et de fauteuil, dénommés Tulip, créés en 1957, et que la société Mobilier et techniques d’organisation productive (la société MTOP) avait fourni à une chambre de commerce et d’industrie quatre-vingts chaises qui reprenaient les caractéristiques de la chaise Tulip, les sociétés Knoll l’ont assignée en contrefaçon de droits d’auteur, concurrence déloyale et parasitisme.
Application de la Convention de Berne
Pour rappel, aux termes de l’article 2.7. de la Convention de Berne du 9 septembre 1886 sur la protection des oeuvres littéraires et artistiques, pour les oeuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d’origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l’Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n’est pas accordée dans ce pays, ces oeuvres seront protégées comme oeuvres artistiques.
La série de meubles « pedestal » dont dépend le fauteuil et la chaise revendiqués a été créée par Eero Saarinen, d’origine finlandaise mais de nationalité américaine depuis 1940, avant le 1er mars 1957, et vraisemblablement au cours de l’année 1956, et a été divulguée aux Etats Unis.
La détermination de la loi applicable résultait donc d’une règle de conflit de lois énoncée à l’article 2.7 de la Convention de Berne. La mise en oeuvre de ces dispositions obligeait donc la cour à interroger la loi du pays d’origine, soit en l’espèce celle des Etats Unis d’Amérique sur le copyright, avant de pouvoir déterminer si les sociétés cessionnaires des modèles pouvaient bénéficier en France de la protection par le droit d’auteur revendiquée.
Selon l’article 2.7 de la Convention de Berne : « II est réservé aux législations des pays de l’Union de régler le champ d’application des lois concernant les oeuvres des arts appliqués et les dessins et modèles industriels, ainsi que les conditions de protection de ces oeuvres, dessins et modèles, compte tenu des dispositions de l’article 7.4) de la présente Convention. Pour les oeuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d’origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l’Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n’est pas accordée dans ce pays, ces oeuvres seront protégées comme oeuvres artistiques ».
Il en résulte, d’une part, la liberté pour chaque membre de l’Union d’organiser la protection des oeuvres d’art appliqué et de se prévaloir ou non d’un cumul possible du droit d’auteur avec celui des dessins et modèles, et d’autre part, une règle de conflit de loi, qui fait varier la loi applicable en fonction du régime de la création dans le pays d’origine de l’œuvre.
La juridiction a donc recherché si les Etats-Unis protègent les sièges litigieux au titre du droit d’auteur, auquel cas la loi applicable au bénéfice de la protection est la loi française sur le droit d’auteur dès lors que la protection est réclamée en France, ou si au contraire les Etats-Unis protègent uniquement les sièges revendiqués au titre des dessins et modèles, auquel cas ceux-ci ne peuvent bénéficier que de cette protection spéciale en France.
La forme suit la fonction
La forme de la chaise et du fauteuil Tulip, épurée et guidée par les principes du design moderne dont le designer était l’un des adeptes, suivant lesquels la forme suit la fonction, obéit certes à une recherche esthétique, mais répond principalement à des objectifs fonctionnels tenant à des impératifs d’économie de construction, de solidité, de confort pour l’utilisateur.
La forme intégrale d’une chaise ou d’un fauteuil ne peut être considérée comme une oeuvre picturale, graphique ou sculpturale dès lors qu’elle est étroitement liée à sa fonction ; la forme de la chaise et du fauteuil Tulip, certes guidée par les principes du design moderne choisis par son auteur ne sera en effet pas perçue autrement que comme étant celle d’une chaise ou d’un fauteuil, aucun élément esthétique séparable n’existant, étant ajouté que même si le piètement pouvait être séparé du siège, il n’en resterait pas moins une partie utilitaire pour soutenir celui-ci, tout comme l’assise ou le dossier qui sont destinés à permettre précisément à l’utilisateur de s’asseoir ; les sièges sont eux-mêmes monochrome, seul le coussin qui en constitue l’accessoire, au demeurant ajouté par rapport aux dessins et modèles américains, étant de couleur contrastée ; dès lors aucun élément artistique ne peut être imaginé séparément des chaises Tulip, considérées en tout ou en parties, de manière à ce qu’il puisse être protégé à part entière comme une oeuvre picturale, graphique ou sculpturale par le copyright américain.