Clinique c/ La Clinique digitale

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Après retour de cassation, il a été jugé que la société Clinique dispose bien du droit d’interdire, au titre de la protection de sa marque notoire, l’exploitation par un tiers de la marque et application mobile « la Clinique digitale », le risque d’association au titre des services complémentaires étant établi.

Affaire Clinique c/ WB Technologies

La société Clinique Laboratories LLC spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits cosmétiques et titulaire de la marque de l’Union européenne ‘Clinique’ n° 54 429, déposée le 1er avril 1996, enregistrée le 11 janvier 1999 et renouvelée depuis lors pour désigner différents produits et services en classes 3, 14, 25 et 42 et, notamment, des ‘produits de toilette et produits de soin pour le corps, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, antiperspirants, talc, produits de soin pour les cheveux, y compris les lotions, dentifrices’ en classe 3 et des « services de conseils de beauté en matière de sélection et d’utilisation de cosmétiques, produits de toilette, parfums et traitement de beauté; services de conseils en matière de services de beauté, parfumerie, maquillage et traitement de la peau’ en classe 42.

Ayant constaté que la société WB Technologies (la société WBT) immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Paris le 25 octobre 2013 avec pour activités principales la conception, la réalisation et la commercialisation de produits technologiques innovants, utilisait sur son site internet les signes ‘Clinique digitale’ et ‘ La Clinique digitale’ pour des services de conseils de beauté et s’apprêtait à lancer une application pour smartphone ‘La Clinique digitale’ dédiée à de tels services, l’a fait assigner devant le juge des référés sur le fondement de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle aux fins de voir prononcer à son encontre des mesures d’interdiction et une condamnation au paiement d’indemnités provisionnelles à raison de l’atteinte, tant actuelle qu’imminente, à la renommée de la marque ‘Clinique’.

Le juge des référés, par l’ordonnance précitée du 16 décembre 2016, a reconnu la renommée de la marque de l’Union européenne ‘Clinique’ n° 54 429 au sens de l’article 9 du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2424 sur la marque de l’Union européenne mais a rejeté les demandes de la société Clinique, ayant retenu, selon les motifs de l’ordonnance, que la faible similarité des signes en cause, alliée au lien indirect et donc faible entre le service proposé par l’application ‘La Clinique digitale’ et l’activité de la société Clinique et la société Elco, et un public concerné qui n’est que partiellement identique, conduisent à considérer qu’en l’espèce la preuve d’un lien par le public concerné entre la marque ‘ Clinique’ et l’usage du signe ‘ La Clinique digitale’ (ou ‘ Clinique digitale’) n’est pas suffisamment rapportée de telle sorte que la société Clinique Laboratories LLC et la société Elco ne justifient pas d’une atteinte vraisemblable à sa marque au sens de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle.

La cour d’appel de Paris ( chambre 5-1), par arrêt du 20 juin 2017, a retenu pour confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise que, nonobstant la distinctivité et la notoriété de la marque ‘Clinique’, et un public concerné en partie commun, en l’état des importantes différences visuelles, phonétiques et conceptuelles entre les signes en cause pris dans leur ensemble, et de la notable dissemblance des produits proposés, le consommateur de produits cosmétiques moyennement attentif, qui ne sera pas amené à croire que le signe ‘La Clinique digitale’ serait la déclinaison ou l’adaptation de la marque antérieure, ne fera pas non plus de lien entre les signes en cause.

La cour de cassation, par l’arrêt de cassation du 27 mars 2019, fait grief à la cour d’appel, au visa des articles 9 paragraphe 2, c) du règlement (CE) 207/2009 du 26 février 2009 et L.716-6 du code de la propriété intellectuelle, de s’être déterminée sans rechercher, comme elle y était invitée, si les services ou produits proposés par l’utilisation de nouvelles technologies par la société WBT et ceux désignés à l’enregistrement de la marque invoquée ne présentaient pas un caractère complémentaire pouvant conduire le public à leur attribuer une origine commune et d’avoir ainsi privé sa décision de base légale.

Protection étendue des marques notoires

La société Clinique s’est prévalue avec succès d’une atteinte à ses droits sur la marque de l’Union européenne renommée ‘Clinique’, au sens de  l’article 9 paragraphe 2, c) du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire :   

1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :

(…)

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice.

Il est en outre expressément énoncé à l’article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle que constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 11, et 13 du règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire,

Il s’infère de ces textes que l’atteinte à la marque de l’Union européenne renommée est constitutive d’une contrefaçon et que le titulaire des droits sur cette marque, ayant qualité pour agir en contrefaçon, est recevable à saisir le juge des référés au fondement de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle aux fins de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon.

Il demeure que pour invoquer la protection conférée par les dispositions de l’article 9 paragraphe 2, c) du règlement (UE) 2015/2424 à la marque de l’Union européenne renommée, le titulaire de la marque doit justifier de cette renommée.

Une marque de l’Union européenne est qualifiée de renommée lorsqu’elle est connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque et qu’elle jouit de cette renommée dans une partie substantielle du territoire de l’Union.

Un public commun

Le public concerné se compose en l’espèce des consommateurs moyens, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, des produits de toilette, produits de soins pour le corps et pour les cheveux, savons, parfumerie et cosmétiques ainsi que des services de conseils de beauté en matière de sélection et d’utilisation de cosmétiques, produits de toilette, parfums et traitement de beauté; services de conseils en matière de services de beauté, parfumerie, maquillage et traitement de la peau, pour lesquels la marque a été enregistrée.

La marque Clinique est présente dans plus de 130 pays répartis dans le monde entier et dans plus de 16.000 points de vente, en France en particulier sous les enseignes notoirement connues Marionnaud, Séphora ou les Galeries Lafayette, elle jouit d’une très large diffusion sur les réseaux et fait l’objet de très nombreuses publicités dans les magazines à large diffusion de la presse féminine (100 millions de dollars d’investissements promotionnels pour l’Europe de l’Ouest).

Services communs de conseil en beauté 

Le site internet ‘ Clinique’ propose un outil digital de diagnostic de la peau aidant les utilisateurs à sélectionner les produits adéquats (plus de 1,2 millions de visiteurs en France). Le site permet aussi au consommateur d’obtenir, sur présentation d’une photographie de sa peau prise en ‘selfie’ sur son mobile, un diagnostic de son type de peau et des conseils sur les produits cosmétiques les mieux adaptés.

Indifférence du risque de confusion

La juridiction a donc considéré que la marque de l’Union européenne ‘Clinique’ est une marque renommée au sens de l’article 9 paragraphe 2, c) du règlement (UE) 2015/2424 pour les produits cosmétiques couverts par l’enregistrement.

La mise en oeuvre des dispositions protectrices de la marque renommée de l’Union européenne n’est pas subordonnée à l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public. Ces dispositions s’appliquent ‘ à des situations dans lesquelles la condition spécifique de la protection est constituée par un usage sans juste motif du signe contesté qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de celle-ci ou leur porte préjudice’.

De telles situations ‘ lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque , c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas.’ Il n’est donc pas exigé que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe contesté soit tel qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion. ‘ Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et le signe ait pour effet que le public concerné établit un lien entre le signe et la marque’. (CJCE, 23 octobre 2003, Adidas, C-408/01, points 27, 29 et 31).

L’existence de ce lien ‘ doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce’, au nombre desquels figurent notamment :

— le degré de similitude entre les signes en conflit,

— la nature des produits ou services en cause y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné,

— l’intensité de la renommée de la marque antérieure,

— le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure,

— l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public. ( CJCE, 27 novembre 2008, C-252/07, Intel, points 41 et 42).

Enfin , dans la comparaison des produits ou services en cause, ‘il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire’. ( CJCE, 29 septembre 1998, Canon, C-39/97).

Ce caractère distinctif est intrinsèque dès lors que le terme ‘Clinique’, pris comme adjectif, concerne l’observation des symptômes du malade et , comme nom commun, définit un établissement de soins médicaux, qu’il se rattache, en tous les cas, à l’exercice de la médecine, et constitue par là-même un signe arbitraire pour distinguer les produits et services précités. Il est, par surplus, renforcé par la renommée acquise par la marque pour les produits cosmétiques.

Une similitude de degré élevé

En conséquence, la reprise au sein des ensembles verbaux ‘ Clinique digitale’ et ‘La Clinique digitale’de la marque ‘ Clinique’ , dotée d’un fort caractère distinctif, crée entre les signes de comparaison, au plan conceptuel, une similitude de degré élevé qui n’est pas altérée par l’adjonction de l’adjectif ‘digitale’ venant qualifier le terme ‘Clinique’ sans transformer sa signification et sans parvenir à conférer aux ensembles verbaux ‘ Clinique digitale’ et ‘ La Clinique digitale’ un sens propre, différent de celui porté par le seul terme ‘ Clinique’, un tel adjectif étant purement descriptif de l’emploi de moyens numériques.

Au plan visuel, comme au plan phonétique, les signes contestés reproduisent la marque ‘Clinique’ et la situent en attaque de signe ce qui lui confère une position dominante au sein de ces signes et qui accentue ainsi la ressemblance entre la marque et les signes contestés.

Les services de conseils de beauté proposés par la société WBT, seraient ils dispensés par la communauté des utilisateurs de l’application, portent nécessairement sur des produits cosmétiques dès lors qu’ils visent à accompagner le consommateur dans sa recherche de ‘solutions beauté’ en l’aidant à construire son ‘profil beauté’, à identifier ses besoins en matière de soins de beauté et à sélectionner des produits cosmétiques propres à répondre à de tels besoins et les plus conformes à son ‘profil beauté’.

En conséquence, les services de conseils de beauté désignés sous les signes ‘La Clinique digitale’ ou ‘ Clinique digitale’ présentent un lien de complémentarité avec les produits cosmétiques couverts par la marque ‘Clinique’ car ces services visent en définitive, et essentiellement, à guider l’utilisateur dans les choix qu’il lui appartiendra d’effectuer dans ses achats de produits cosmétiques, à l’occasion desquels la société WBT lui promet, au demeurant, de le faire bénéficier ‘d’avantages immédiats et dans la durée’.

Un tel lien ressort d’autant plus que, dans la présentation de son application, la société WBT annonce investir plus de 50% de (ses) ressources en Recherche et Développement et construire, avec la participation de ses clients, une nouvelle cosmétique fondée sur le meilleur de la science et de la nature, montrant ainsi, à tout le moins suggérant, qu’elle nourrit le projet d’opérer dans la production cosmétique et que la finalité des services qu’elle propose est la création d’une nouvelle offre de produits cosmétiques.

Ainsi, eu égard au degré élevé de similitude entre les signes en conflit, de la similarité des produits et services en cause, qui sont complémentaires, le public concerné, identiquement constitué de consommateurs de produits cosmétiques, et auprès duquel, ainsi qu’il a été précédemment indiqué, la renommée de la marque ‘Clinique’ est la plus intense, établira , même s’il ne les confond pas nécessairement, un lien entre la marque et les signes contestés ‘La Clinique digitale’ et ‘Clinique digitale’ pouvant le conduire à attribuer aux produits et services en cause une origine commune ou à les associer comme provenant d’entreprises économiquement liées.

Il en découle au préjudice du titulaire de la marque renommée une dilution du caractère distinctif de cette marque qui se trouve, en raison du brouillage introduit dans l’esprit du public concerné, affaiblie dans son aptitude à distinguer les produits et services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de la dite marque, l’usage des signes contestés entraînant une dispersion de l’identité de cette marque et de son emprise sur l’esprit du public.

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