Marque de « Barrage » : la déchéance encourue

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 L’absence d’exploitation d’une marque dans la classe désignée à son dépôt peut entraîner sa déchéance y compris pour les marques servant de « Barrage ». La société Mont Blanc a été déchue des droits sur sa marque « Mont Blanc » pour les boissons alcooliques.

Défaut d’exploitation d’une marque

Cette dernière n’a jamais produit ni commercialisé de boissons alcooliques, assumant par là même sa décision d’avoir fait de celle-ci une marque dite de « barrage » destinée à empêcher toute commercialisation de boissons alcoolisées sous le même nom.

La société Mont Blanc ne justifiait pas non plus avoir produit ni commercialisé sous cette marque des «’eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, des sirops ou autres préparations pour faire des boissons’», au sens des produits au titre desquels elle a déposé sa marque. En s’abstenant d’en faire un usage sérieux pour les produits précités, la société Mont Blanc s’est exposée à l’action en déchéance prévue à l’article L 714-5 du CPI.

Notion de justes motifs

La société a tenté de se prévaloir de « justes motifs », au sens de l’article L 714-5 du CPI pour essayer de justifier de ce non-usage et ainsi échapper à la déchéance encourue.

A cet égard, la société considérait comme relevant de ces justes motifs son souci de préserver sa notoriété et son image de marque, en l’occurrence celle d’une entreprise produisant et commercialisant des produits essentiellement destinés aux enfants et adolescents, notamment des crèmes dessert et autres produits transformés à base de lait pour lesquels la marque «’MONT BLANC’» a d’ailleurs été déposée.

La société a fait valoir qu’en produisant et commercialisant elle-même des boissons alcoolisées sous la marque «’MONT BLANC’», elle aurait nui à son image et risqué de perdre sa clientèle naturelle, ce d’autant plus que le code de la santé publique encadre très strictement la promotion des boissons alcoolisées, notamment en ses articles L 3323-2 et L 3323-3 qui limitent la publicité dite indirecte (c’est-à-dire celle pour des produits non alcoolisés sous une marque rappelant des produits alcoolisées), ce qui aurait restreint de manière importante ses possibilités de promouvoir ses produits laitiers sous la marque «’MONT BLANC’».

La juridiction a « compris » cette justification mais celle-ci n’a pas résisté à l’analyse juridique. En effet, par une décision du 14 juin 2007 (affaire C-246/05), la CJUE a considéré que les justes motifs pour le non-usage d’une marque devaient s’entendre des obstacles qui présentent une relation directe avec cette marque rendant impossible ou déraisonnable l’usage de celle-ci et qui sont indépendants de la volonté du titulaire de ladite marque.

La stratégie de marque : hors périmètre du « juste motif »

Or, tel n’est pas le cas des obstacles invoqués par la société Mont Blanc, alors en effet que c’est pour satisfaire aux seuls impératifs de sa propre stratégie industrielle et commerciale, consistant en la production et la distribution quasi-exclusive de produits transformés à base de lait, qu’elle a fait le choix, certes respectable mais non imposé par quiconque, de renoncer à faire usage de sa marque pour promouvoir d’autres produits.

Les motifs pour lesquels la société Mont Blanc a renoncé à produire et commercialiser des produits alcoolisés ne sont pas indépendants de sa propre volonté.

En conséquence et dans la mesure où la société Mont Blanc ne peut pas se prévaloir de justes motifs légitimant le non-usage de sa marque pendant une période ininterrompue d’au moins cinq ans précédant l’instance, c’est à bon droit que le tribunal, faisant droit à la demande formée en ce sens par la société Unipak, a prononcé la déchéance partielle de la marque « MONT BLANC » n° 1 371 452, et ce à compter du 20 août 2008 (soit cinq ans avant la délivrance de l’assignation) pour les produits suivants ‘: «bière, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons ‘; spiritueux’».

Conditions de la déchéance de marque

Pour rappel, l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose, dans sa rédaction applicable au litige :

«Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.

Est assimilé à un tel usage : a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ; b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ; c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.

La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.

L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.

La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens. La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans. Elle a un effet absolu. Télécharger la décision

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