En présence d’indices sérieux de faits constitutifs de concurrence déloyale par un ancien salarié (e.g. vol de base de données de prospects), l’ordonnance sur requête est l’une des procédures à privilégier pour éviter la déperdition des preuves.
La société victime pourra ainsi obtenir du président du tribunal de commerce, sur le fondement, notamment, des articles 145 et 493 du code de procédure civile, la désignation d’un huissier, en qualité de mandataire de justice, en vue de procéder à une opération de saisie dans les locaux du concurrent visé.
Copie illicite d’une base de prospects
La société Elixis Digital qui édite le site ‘Le Coin des Testeurs’ propose aux internautes de tester gratuitement des produits en contrepartie de quoi ils doivent renseigner certaines de leurs données à caractère personnel, ce site permettant ainsi à la société Elixis Digital de constituer une base de données de contacts emails.
Un salarié qui avait été embauché par la société en qualité de directeur technique, a quitté celle-ci dans le cadre d’une rupture conventionnelle.
Par la suite, le salarié a constitué une société spécialisée dans le marketing digital, éditrice du site web ‘France Testeurs’ dont l’activité est identique à celle du site ‘Le coin des testeurs’.
La société Elixis Digital a suspecté son ancien salarié d’avoir détourné les outils informatiques qu’elle a créés, développés et exploités ainsi que sa clientèle, utilisé ses bases de données et de se livrer ainsi à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique.
Similitudes troublantes
Au regard des pièces produites et, notamment, du procès-verbal de constat, il apparaissait que les deux sites litigieux comportaient des similitudes en ce qui concerne leur nom, leurs conditions générales d’utilisation, leur contenu, leur aspect visuel, le système d’affichage utilisé, la gestion des offres commerciales et ce, même si certains des éléments textuels y figurant ne présentaient pas d’originalité et si la reprise d’un élément graphique (barre de progression) apparaît être issue d’une plateforme internet ‘open source’.
Ce procès-verbal a également mis en évidence des similitudes entre les applications ‘Devati’ créée par l’intimée et ‘Onenotif’ créée par les appelants et leur code source et ce, sans qu’il soit démontré par ces derniers que l’ensemble des éléments de codes relevés sont issus d’une plateforme libre de droits.
Enfin, pour justifier ses soupçons portant sur l’utilisation de ses bases de données d’emails qu’elle collecte depuis sa création, la société Elixis Digital se fonde sur l’envoi d’émailing sur les serveurs des sociétés dirigées par son ancien salarié.
Les similitudes évoquées, alors que le salarié était tenu par son contrat de travail à une obligation de loyauté envers son ancien employeur et qu’il ne s’expliquait ni ne justifiait la réalisation en quelques mois des outils informatiques nécessaires au fonctionnement du site ‘France Testeurs’, permettaient de caractériser l’existence d’un procès en germe possible en concurrence déloyale et parasitisme. En conséquence, la société Elixis Digital établissait un motif légitime justifiant la mesure d’instruction sollicitée.
Obtenir une mesure d’instruction
Une mesure d’instruction a été obtenue par la société Elixis Digital. Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L’article 493 prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel la contradiction est rétablie.
Cette voie de contestation n’étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s’y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci. Il doit ainsi apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.
Il doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.
L’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu’il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond.
Dérogation au principe de la contradiction
L’éviction du principe de la contradiction, principe directeur du procès, nécessite toutefois que la société victime justifie de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d’espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.
Dans sa requête, la société Elixis Digital a justifié la nécessité de déroger au principe de la contradiction en faisant état du risque de destruction ou de dissimulation des preuves informatiques si son ancien salarié avait été informé à l’avance de sa demande.
En l’espèce, il existait un risque évident de déperdition des preuves inhérent à la nature même des pièces, données informatiques par essence furtives qui pouvaient aisément être supprimées ou altérées alors qu’elles étaient nécessaires pour établir l’existence des agissements déloyaux suspectés de l’ancien salarié de la société requérante et l’étendue du préjudice subi.
Proportionnalité de la mesure ordonnée
De surcroît, la mesure d’instruction n’a pas été jugée disproportionnée puisque circonscrite dans le temps et dans l’objet des recherches par l’indication des personnes concernées par celle-ci, des sites, outils informatiques, bases de données d’emails en lien avec les faits dénoncés et des mots clés. Une mesure de séquestre des éléments recueillis a été prévue afin de préserver, le cas échéant, le secret des affaires et l’huissier s’y est conformé. Télécharger la décision