La fourniture d’articles de presse est bien une prestation de services. Un journaliste peut s’établir en autoentrepreneur et facturer ses articles à un éditeur. Toutefois, le journaliste peut toujours prouver l’existence d’un contrat de travail. L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles l’activité est exercée. Il y a contrat de travail quand une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération. En revanche, lorsque le journaliste autoentrepreneur est en réalité sous l’autorité de l’éditeur, ce dernier s’expose à une condamnation pour travail dissimulé.
Le montage juridique en question
En l’occurrence, la journaliste était immatriculée au Répertoire des Entreprises et des Établissements (SIRENE), en qualité d’entrepreneuse ayant pour activité la photocopie, la préparation de documents et autres activités spécialisées de soutien de bureau. Par acte sous seing privé intitulé «’convention de cession des droits patrimoniaux des articles ou autres oeuvres littéraires ou artistiques pigistes’», elle a cédé à l’EURL Le Journal du Palais ses droits patrimoniaux relatifs à ses oeuvres, publiées ou non, «’pour le compte des titres de forumeco’», moyennant une rémunération annuelle égale à 0,6 % des piges hors taxe perçues.
Requalification en Contrat de travail
La journaliste a émis diverses factures de prestations puis s’est plainte à la société de recevoir de moins en moins de travail depuis plusieurs mois. Prétendant à des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et travail dissimulé, elle a saisi, le conseil de prud’hommes. La juridiction prud’homale (confirmation en appel), a estimé que cette relation devait s’analyser en un contrat de travail, que l’employeur ne pouvait réduire unilatéralement le volume de travail donné à la journaliste.
Présomption légale de salariat
Une journaliste a bénéficié de la présomption légale de salariat visée à l’article L. 7112-1 du code du travail, selon lequel toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure moyennant rémunération le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail’; cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la requalification donnée à la convention par les parties’.
La journaliste autoentrepreneur qui exerce une activité régulière, à temps plein et qui en tire la quasi-totalité de ses revenus, est légitime à revendiquer l’application à son profit de la présomption de salariat. Si l’entreprise de presse peut renverser cette présomption, il lui appartient de démontrer que le journaliste professionnel engagé comme pigiste traite à son initiative les sujets de son choix et qu’il « ne reçoit ni instruction, ni orientation, ni directive », peu important son mode de rémunération.
En l’occurrence, la journaliste ne bénéficiait pas d’une totale liberté de choix dans le sujet de ses articles, dans leur rédaction ni dans les dates de remise ; elle travaillait en fonction des demandes formulées par le Journal et sous son contrôle, dans le cadre d’un service organisé ; les demandes étaient formulées par courriels, en des termes certes courtois et non comminatoires, mais suffisamment incitatifs pour s’analyser en des instructions ; les invitations ou incitations à rédiger un article ayant vocation à être publié dans les colonnes du Journal indiquaient nettement une orientation à suivre ; la notion de directivité induit un contrôle ; un message directif indique clairement une conduite à adopter par son destinataire, même si celui qui le délivre ne va pas jusqu’à le lui imposer. De plus, la rédaction des articles ne pouvait être envisagée sérieusement que par une présence effective aux réunions de rédaction organisées chaque lundi matin dans les locaux du Journal, la préparation d’un journal ne relevant pas de l’improvisation constante.
Enfin, les investigations menées dans une procédure parallèle par l’URSSAF ont permis de relever que l’entreprise comptabilisait dans le compte 60460000 intitulé « rédactionnel/piges » des factures émanant de personnes qui ont effectué des reportages et rédigé des articles destinés au journal. Ces factures mentionnaient donc des « piges », c’est-à-dire un travail de journaliste pour la rédaction d’articles suite à enquête, reportage ou interview. Les personnes ayant émis ces factures étaient inscrites en tant qu’autoentrepreneurs qui déclaraient effectivement les sommes versées.
Statut de journaliste autoentrepreneur
Pour rappel, selon l’article L. 7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ; l’article L. 7111-4 assimile aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle. Télécharger la décision