Le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle.
La Cour de cassation juge traditionnellement que « Le juge apprécie souverainement le montant du préjudice, dont il justifie l’existence par la seule évaluation qu’il en fait, sans être tenu d’en préciser les divers éléments » (Ass. plén., 26 mars 1999, pourvoi n° 95-20.640, Bull. 1999, Ass. plén., n° 3 ; Ch. mixte., 6 septembre 2002, pourvoi n° 98-22.981, Bull. 2002, Ch. mixte, n° 4 ; 2e Civ., 21 avril 2005, pourvoi n° 04-06.023, Bull. 2005, II, n° 112 ; Com., 16 janvier 2007, pourvoi n° 05-16.222 ; 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-15.954 ; 3e Civ., 10 mars 2010, pourvoi n° 08-15.950, 08-15.332 ; Com., 24 mai 2017, pourvoi n° 15-21.179).
Mais elle juge également que méconnaît son office le juge qui refuse d’évaluer un dommage dont il a constaté l’existence en son principe (3e Civ., 6 février 2002, pourvoi n° 00-10.543, Bull. 2002, III, n° 34 ; Com., 28 juin 2005, pourvoi n° 04-11.543, Bull. 2005, IV, n° 148 ; 2e Civ., 5 avril 2007, pourvoi n° 05-14.964, Bull. 2007, II, n° 76 ; 3e Civ., 2 février 2011, pourvoi n° 10-30.427 ; Com., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-21.500) et qu’il ne peut allouer une réparation forfaitaire (1re Civ., 3 juillet 1996, pourvoi n° 94-14.820, Bull. 1996, I, n° 296 ; Com., 23 novembre 2010, pourvoi n° 09-71.665 ; 3e Civ., 7 juin 2011, pourvoi n° 09-17.103 ; 2e Civ., 13 décembre 2012, pourvoi n° 11-26.852 ; Com., 3 juillet 2019, pourvoi n° 17-18.681), c’est-à-dire sans rapport avec l’étendue du préjudice subi.
En matière de responsabilité pour concurrence déloyale, la chambre commerciale retient qu’il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale (Com., 22 octobre 1985, pourvoi n° 83-15.096, Bull. 1985, IV, n° 245 ; Com., 27 mai 2008, pourvoi n° 07-14.442, Bull. IV, n° 105 ; 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-14.582 ; Com., 28 septembre 2010, pourvoi n° 09-69.272 ; Com., 11 janvier 2017, pourvoi n° 15-18.669).
Cette jurisprudence, qui énonce une présomption de préjudice, sans pour autant dispenser le demandeur de démontrer l’étendue de celui-ci, répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer.
En effet, si les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s’approprier la clientèle ou à désorganiser l’entreprise du concurrent peuvent être assez aisément démontrés, en ce qu’elles induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, soit un manque à gagner et une perte subie, y compris sous l’angle d’une perte de chance, tel n’est pas le cas de ceux des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu’ils permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.
Lorsque tel est le cas, il y a lieu d’admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes.