27 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/05582

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AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/05582 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NF3I

S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE

S.A.S. EPA

C/

[L] [V]

Association UNEDIC

DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 10]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes de SAINT ETIENNE

du 09 Septembre 2020

RG : F 18/00365

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

APPELANTES :

S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE

[Adresse 1]

[Localité 7]

représentée par par Me [S] [E] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. EPA, représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat postulant inscrit au barreau de LYON et par Me Jane-laure NOWACZYK, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON

S.A.S. EPA

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat postulant inscrit au barreau de LYON et par Me Jane-laure NOWACZYK, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON

INTIMÉ :

[V] [L]

né le 15 Septembre 1957 à [Localité 12]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

PARTIE INTERVENANTE :

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 10]

[Adresse 5]

[Localité 10]

représentée par Me Charles CROZE de la SELARL AVOCANCE, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Janvier 2023

Présidée par Vincent CASTELLI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Jihan TAHIRI, Greffière placée.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Nathalie PALLE, président

– Thierry GAUTHIER, conseiller

– Vincent CASTELLI, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant un protocole d’accord du 5 octobre 2017, modifié par un avenant du 12 décembre 2017, M. [V] [L] (le salarié) a cédé la totalité des parts qu’il détenait initialement dans la société EPA (l’employeur, la société) à M. [B] [R]. Ce protocole prévoyait parallèlement un accompagnement de M. [L] au moyen d’un contrat de travail à durée déterminée d’une durée de 20 mois, rémunéré à hauteur de 5 000 euros mensuels bruts, à compter du 12 décembre 2017.

Après entretien préalable du 4 juin 2018, M. [L] s’est vu notifier son licenciement pour faute lourde par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 juin 2018.

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

 » Vous avez subi des arrêts de travail pour maladie à compter du 16 mars 2018 et vous deviez reprendre vos fonctions le 28 mai dernier.

Or, nous avons appris ces dernières semaines que vous agissiez pendant cette période contre les intérêts de l’entreprise à divers titres.

Vous avez ainsi démarché plusieurs clients de notre société alors que vous étiez en arrêt maladie et vous avez recommandé les services d’une société concurrente en matière de location d’échafaudages.

Vous avez également sollicité plusieurs fournisseurs de notre société afin que les remises de fin d’année consenties vous soient payées directement et en votre nom personnel plutôt qu’à la société. Vous avez été jusqu’à les menacer d’action judiciaire s’ils ne respectaient pas vos consignes’

Vous vous êtes également rendu, au cours des semaines passées et alors que vous étiez en arrêt de travail pour maladie, sur des chantiers en cours et au bureau de l’entreprise. Vous avez interpellé des salariés en leur précisant que vous alliez  » couler la boîte  » à votre retour d’arrêt maladie. Vous avez précisé que vous feriez tout votre possible pour que la société n’obtienne pas les marchés de [Localité 9], [Localité 13] et [Localité 11], pour lesquels la société a répondu à des appels d’offres.

Le mardi 15 mai 2018, vous vous êtes présenté dans les locaux de la société et vous n’avez pas hésité à emporter du matériel appartenant à l’entreprise, et notamment un four à micro-ondes et un écran d’ordinateur.

Nous avons enfin constaté que vous utilisiez, pendant votre arrêt maladie, votre téléphone portable professionnel à des fins personnelles, et ce sans modération.

Lors de l’entretien que nous avons tenu ensemble ce lundi, vous avez contesté globalement ces différents sujets sans apporter de justificatifs cohérents. Vous vous êtes rapidement emporté et la personne qui vous accompagnait vous a d’ailleurs conseillé à plusieurs reprises de vous calmer. Vous avez quitté l’entreprise en me menaçant physiquement (geste en passant votre pouce sous la gorge de manière circulaire et significative). Je tiens d’ailleurs à vous informer que j’ai déposé une main courante auprès des services de police sur ce sujet.

Par ces agissements d’une gravité exceptionnelle, vous avez volontairement tenté de nuire à l’entreprise.

Nous considérons donc que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise « .

M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Etienne le 26 juillet 2018 aux fins notamment de voir juger que son licenciement ne repose ni sur une faute lourde, ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse ; que la société EPA a engagé sa responsabilité contractuelle dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée à son encontre et d’obtenir la réparation de son préjudice par l’octroi d’une somme de 75 000 euros.

Par jugement du 9 septembre 2020, le conseil de prud’hommes a :

– dit que le licenciement pour faute lourde notifié le 7 juin 2018 à M. [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– constaté que la société EPA a engagé sa responsabilité contractuelle dans le cadre de la procédure disciplinaire à l’encontre de M. [L] ;

– condamné la société EPA à verser à M. [L] la somme de 29 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– condamné la société EPA à verser à M. [L] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné la société EPA aux dépens de l’instance.

La société a relevé appel de ce jugement le 13 octobre 2020.

Par jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne du 20 octobre 2021, la société EPA a été placée en liquidation judiciaire et la société MJ SYNERGIE a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par assignation du 17 décembre 2021, M. [L] a attrait à la procédure l’UNEDIC DELEGATION AGS-CGEA de [Localité 10].

Dans ses dernières conclusions en date du 14 juin 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société, représentée par son liquidateur judiciaire, demande à la cour de

– réformer le jugement entrepris et de :

– dire et juger que les manquements reprochés au salarié sont établis et justifiaient :

– à titre principal : son licenciement pour faute lourde,

– à titre subsidiaire : son licenciement pour faute grave,

– à titre infiniment subsidiaire : son licenciement pour faute.

– dire et juger que M. [L] ne justifie d’aucun manquement contractuel justifiant l’allocation d’une indemnité à hauteur de 70 000 euros,

En conséquence :

à titre principal : débouter M. [L] de toute demande indemnitaire

à titre subsidiaire :

– constater que la demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est limitée à 5 000 euros et réduire ce montant à de plus justes proportions en fonction du préjudice subi,

– réduire la demande indemnitaire au titre du manquement contractuel à de plus justes proportions,

– débouter M. [L] de sa demande à hauteur de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– condamner M. [L] à verser à la société EPA, représentée par la SELARL MJ SYNERGIE, ès-qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamner M. [L] aux dépens, y compris ceux liés à une éventuelle exécution forcée de la présente décision.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 4 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour d’infirmer le jugement en son intégralité, et statuant à nouveau, de :

– déclarer recevable mais mal fondé et injustifié l’appel principal interjeté par la société EPA à l’encontre du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de SAINT-ETIENNE le 9 septembre 2020

– débouter la société de sa demande principale, de sa demande subsidiaire et de sa demande d’article 700,

– débouter l’Unedic Délégation AGS CGEA de [Localité 10] de son appel incident,

– recevoir et déclarer bien fondé l’appel incident de M. [L],

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

– condamné la société EPA à lui verser la somme de 29 000 euros à titre de dommages-intérêts,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Statuant à nouveau :

– dire et juger que le licenciement notifié le 7 juin 2018 ne repose ni sur une faute lourde, ni sur une faute grave, ni sur une faute simple et est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– fixer la créance de M. [L] au passif de la société EPA aux sommes suivantes :

– 5 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 70 000 euros pour non-respect de l’obligation contenue à l’article L.1222-1 du code du travail,

– 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Dire et juger l’arrêt à intervenir opposable à l’Unedic Délégation AGS CGEA de [Localité 10].

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 28 décembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, l’UNEDIC DELEGATION AGS-CGEA de [Localité 10] demande à la cour de :

– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement et en ce qu’il a condamné la société EPA à payer des dommages-intérêts,

– statuant à nouveau, débouter M. [L] de l’intégralité de ses demandes,

– subsidiairement, minimiser les sommes octroyées à M. [L],

– en toute hypothèse, débouter M. [L] de son appel incident,

En tout état de cause,

– dire et juger que la garantie de l’AGS-CGEA DE [Localité 10] n’intervient qu’à titre subsidiaire, en l’absence de fonds disponibles ;

– dire et juger que l’AGS-CGEA DE [Localité 10] ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L. 3253-8 du code du travail que dans les termes et conditions résultant des articles L. 3253-20, L. 3253-19 et L. 3253-17 du code du travail ;

– dire et juger que l’obligation de l’AGS CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des éventuelles créances garanties, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé de créance par le mandataire judicaire, et sur justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l’article L. 3253-20 du code du travail ;

– dire et juger que l’AGS CGEA de [Localité 10] ne garantit pas les sommes allouées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des astreintes ;

– dire et juger l’AGS-CGEA DE [Localité 10] hors dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour l’exposé complet de leurs prétentions et de leurs moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la cause du licenciement

En application de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Aux termes de l’article L. 1232-6, alinéa 2, du code du travail, la lettre de licenciement comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur et fixe les limites du litige. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n’est pas nécessaire. L’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs.

Le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail.

La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l’intention de nuire qui la caractérise.

En l’espèce, la société articule plusieurs griefs dans la lettre de licenciement, qu’il convient d’examiner successivement.

Sur les agissements déloyaux

La société reproche au salarié d’avoir démarché plusieurs clients de la société et d’avoir recommandé les services d’une société concurrente en matière de location d’échafaudages, en compagnie du dirigeant de ladite société concurrente, ce que le salarié conteste.

La société produit :

– un courriel de M. [G] [D], attaché commercial de l’entreprise Zolpan, cliente de la société, qui mentionne en date du 27 avril 2018 :  » effectivement ces messieurs sont passés il y a 2 semaines environ à l’agence de [Localité 12] et à celle d'[Localité 8], pour nous proposer leurs services de location et montage d’échafaudage et nous laisser de la doc commerciale à ce sujet, mais comme on leur a précisé, nous sommes revendeurs de matériel d’échafaudage neuf (TUBESCA-COMABI et DULARY) donc nous ne proposons pas à nos clients de la location ou montage’ donc je te remercie de ta proposition mais je te fais la même réponse : pas de besoin et contraire à notre plan de vente « ,

– un courriel de M. [E] [A], chargé d’affaires de l’entreprise Seigneurie Gauthier, qui mentionne le 27 avril 2018 :  » Oui j’ai rencontré M. [L] qui m’a présente M. [Y], qui a une entreprise qui loue de l’échafaudage. Je sais que toi aussi tu fais de la location d’échafaudage, je ne manquerai pas de t’appeler si j’ai des demandes « ,

– un courriel de M. [U] [H], qui mentionne en date du 2 mai 2018 :  » Nous avons bien reçu récemment cette société [ECHA2000] en compagnie de M. [L]. Aussi notre activité concerne surtout la couverture et l’étanchéité et notre clientèle pour la plupart est déjà équipée d’échafaudages. La location de ces articles n’est pas notre métier. Désolé’ « .

Le salarié produit un témoignage en date du 11 juin 2018 de M. [O] [Y], qui indique :  » Je certifie sur l’honneur que M. [L] [V] n’a jamais fait de prospection ou quoique ce soit pour ma société. Fin avril j’ai distribué des tracts publicitaires chez des fournisseurs de peinture en accord avec M. [R] du fait que je suis son fournisseur pour les prestations de montage et démontage d’échafaudage et qu’il ne fait pas la location avec montage d’éléments d’échafaudage [‘] M. [L] [V] étant le parrain de ma fille m’a guidé aux adresses des fournisseurs de peinture afin que nous puissions déjeuner ensemble [‘] car nous avons été associés 12 ans « .

Contrairement à ce que soutient le salarié et à ce qu’ont retenu les premiers juges, il ressort sans ambiguïté des messages électroniques ci-avant reproduits que le salarié, à trois reprises, a présenté à des clients de la société EPA, dont il était salarié, les services de la société ECHA2000 en matière de location et/ou de montage d’échafaudages, en compagnie de M. [O] [Y], dirigeant de cette société.

Le témoignage de ce dernier produit par le salarié, plutôt qu’infirmer cette analyse, tend en réalité à la corroborer puisqu’il indique explicitement que le salarié l’a  » guidé aux adresses des fournisseurs de peintures « . Par ailleurs, si M. [Y] affirme avoir agi en accord avec M. [R], gérant de la société EPA, ce dernier le conteste.

Dès lors que la société EPA justifie, notamment par la production de factures et une attestation, exercer une activité de location et de montage d’échafaudages, les propositions, même non suivies d’effets, faites par le salarié des mêmes services d’une entreprise concurrente en direction de clients de la société qui l’emploie, constituent des agissements déloyaux et caractérisent, par elles-mêmes, une intention de nuire aux intérêts économiques de son employeur

Ces faits fautifs étant établis et imputables au salarié, le grief est démontré.

Sur la tentative de détournement

La société reproche au salarié d’avoir sollicité plusieurs de ses fournisseurs afin que les remises de fin d’année obtenues lui soient payées directement et en son nom personnel plutôt qu’à la société. Le salarié conteste avoir voulu s’octroyer le montant de ces remises, indiquant avoir simplement voulu les  » mettre dans le débat  » car la société EPA voulait elle-même se les octroyer.

La société produit deux courriers en date du 2 mai 2018, signés du salarié, à l’attention des sociétés COULEURS DE TOLLENS et ZOLPAN RHONE ALPES AUVERGNE et rédigés dans les termes identiques suivants :  » Début 2017 gérant et unique actionnaire de la SOCIETE EPA S.A.R.L., j’ai signé un contrat avec votre Société sur un chiffre d’affaire avec en compensation d’une RFA de votre part. Votre commercial m’a informé que vous ne pouviez pas tenir vos engagements avec moi mais que LA RFA sera donnée à une jeune société EPA SAS non existante lors du contrat. Par la présente je vous mets en demeure de respecter le contrat signé des deux parties faute de quoi je transmettrais ce dossier à un avocat pour une assignation devant un Tribunal. Bien entendu tous les frais occasionnés et un article 700 seront demandés ainsi qu’une parution dans la presse. Dans l’attente de vous lire avant le 15 MAI 2018 « .

Le salarié, qui ne conteste pas avoir envoyé ces courriers, se borne à contester toute tentative de détournement sans s’expliquer sur les prétendus contrats qui y sont évoqués et qui auraient été conclus à titre personnel avec ces fournisseurs.

La cour considère, dans ces conditions, qu’il est manifeste que lesdits contrats, contenant les remises litigieuses, avaient été conclus par la société EPA à une date à laquelle le salarié en était encore le dirigeant, contrats que ce dernier a tenté de faire exécuter à son profit personnel en usant d’intimidation envers les co-contractants de la société EPA après qu’il en eut cédé les parts. Ces agissements, outre qu’ils ont été commis dans la perspective d’un préjudice financier de la société, ont également nui à son image auprès de ses clients, ces derniers ayant jugé les faits suffisamment sérieux pour en avertir le nouveau dirigeant. Le salarié, lui-même ancien dirigeant de la société, ne pouvait ignorer les conséquences de tels courriers sur la réputation commerciale de la société, de sorte que doit être retenue sa tentative, non seulement de se voir attribuer les fonds afférents à ces opérations, mais également son intention de nuire à la réputation de la société.

Ces faits fautifs, matériellement établis et imputables au salarié, caractérisent donc également son intention de nuire.

Ainsi ce grief est démontré.

Sur les actes de dénigrement

La société reproche au salarié d’avoir interpellé des salariés en leur précisant qu’il allait « couler la boîte » et de leur avoir précisé qu’il ferait tout son possible pour que la société n’obtienne pas certains marchés. Le salarié soutient que la preuve de ces faits n’est pas rapportée.

La société produit les témoignages suivants :

– M. [F] [N], technicien, salarié de la société, qui atteste le 20 décembre 2018 :  » M. [L] [V] m’a tenu des propos dans son bureau le 12 juin 2018 concernant différents chantiers à venir qui ferait tout pour qu’on ne puisse prendre les affaires [Localité 9], [Localité 13], [Localité 14] et qu’il ferait tout pour couler la société « , ainsi que le 26 juillet 2019 :  » Il m’a dit haut et fort qu’il ferait tout pour couler la boîte et que l’on n’obtiendrait pas les chantiers de [Localité 9] et de [Localité 13] « ,

– Mme [W] [J], secrétaire comptable, salariée de la société, qui atteste le 20 décembre 2018 :  » M. [L] a tenu des propos le 12/06/2018 concernant les chantiers à venir à savoir qu’il ferait tout pour que nous n’ayons pas les chantiers, ce jour, il y avait plusieurs personnes présentes « , ainsi que le 4 septembre 2019 :  » J’ai entendu distinctement les propos de M. [L], à savoir que la société n’aurait pas les chantiers de [Localité 9] et [Localité 13] [‘] et qu’il allait tout faire pour  » couler la boîte  » « ,

– M. [G] [D], technico-commercial, non salarié de la société, qui atteste en cause d’appel :  » J’étais présent dans le bureau de M. [N] le 12 juin 2018 [‘] J’ai entendu M. [L], très énervé, tenir ces propos. A savoir qu’il ferait tout pour qu’EPA n’ait pas des chantiers et qu’il mettrait tout en ‘uvre pour  » couler  » la société « ,

– M. [T] [Z], peintre, salarié de la société, qui atteste le 5 janvier 2021 :  » Les mois d’avril, mai et un peu début juin, M. [L] était fréquemment sur les chantiers de la société alors qu’il disait être en arrêt maladie et discutait avec les salariés de la société. Je l’ai entendu parler aux salariés en disant que  » la boîte allait couler « ‘ c’était une phrase qui ressortait souvent. Il disait qu’il fallait partir avant que la boîte ne coule « ,

– M. [X] [K], façadier peintre, qui atteste le 6 janvier 2021 :  » J’entendais les salariés répondre à M. [L]. Les salariés ensuite échangeaient entre eux et étaient inquiets. J’ai entendu leur conversation et ils disaient que M. [L] [‘] savait de quoi il parlait quand il disait que cela n’allait pas bien, que la boîte allait couler [‘] Ces ragots que donnaient M. [L] ont fait beaucoup de mal dans l’entreprise. Les salariés en parlaient entre eux y compris devant d’autres personnes « .

Le salarié produit plusieurs attestations d’autres salariés ou d’interlocuteurs habituels de la société EPA, qui déclarent n’avoir jamais entendu de propos négatifs, injurieux ou diffamatoires de sa part à l’encontre de la société ou de son dirigeant.

Cependant, ces témoignages ne permettent pas de remettre en cause les attestations précises et dépourvues d’outrance ou d’incohérence produites par la société, que le salarié ne conteste pas utilement aux seuls motifs que M. [F] [N] est associé avec M. [O] [R], que les déclarations de Mme [W] [J] seraient peu fiables en raison de son lien de subordination avec la société ou que le témoignage de M. [G] [D] – non salarié de la société – serait tardif pour n’avoir été produit qu’en cause d’appel.

La cour retient que les propos reprochés au salarié sont établis et lui sont imputables. Ces propos constituent pour certains des menaces de nuire à la société, pour d’autres un dénigrement de celle-ci auprès de ses salariés et d’un représentant d’une entreprise tierce.

Bien que la société échoue à démontrer que le salarié ait mis ses menaces à exécution et soit à l’origine de la non-obtention des marchés considérés, la cour considère que ces propos du salarié caractérisent par eux-mêmes une intention de nuire.

Ce grief est donc également démontré.

Les griefs ci-avant examinés et retenus par la cour sont suffisants, chacun pris isolément et a fortiori pris dans leur ensemble, à établir la faute lourde du salarié sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs énoncés par la lettre de licenciement.

Il résulte de cette faute lourde commise par salarié que les demandes de ce dernier au motif de l’illicéité alléguée de son licenciement doivent être rejetées en intégralité.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Compte tenu de l’issue du litige, le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Le salarié qui succombe en son appel supportera les dépens de première instance et d’appel.

En considération de l’équité, le salarié sera condamné à verser à la société EPA, représentée par la SELARL MJ SYNERGIE, ès-qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

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