27 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/05562

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N° RG 20/05562 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NFZZ

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE

Au fond du 29 juillet 2020

RG : 2019j00455

Caisse CREDIT MUTUEL [Localité 1]

C/

[M]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 27 Avril 2023

APPELANTE :

Caisse CREDIT MUTUEL [Localité 1] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TUDELA WERQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813, postulant et plaidant par Me Romain MAYMON, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIME :

M. [T] [M]

né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté et plaidant par Me Julien TRENTE de la SELARL LEXFACE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 13 Octobre 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Février 2023

Date de mise à disposition : 27 Avril 2023

Audience présidée par Aurore JULLIEN, magistrate rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière.

Composition de la Cour lors du délibéré :

– Patricia GONZALEZ, présidente

– Marianne LA-MESTA, conseillère

– Aurore JULLIEN, conseillère

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Nouvelle d’exploitation forestière scierie de la Deume (ci-après « la société SNEFCD ») était spécialisée dans le sciage et rabotage du bois. Elle était gérée par M. [T] [M].

Le 12 février 2015, la société SNEFCD a signé un contrat d’approvisionnement avec la société GPF Coopérative forestière (ci-après « la société GPF ») pour une durée de 1 an à compter du 1er mai 2015. Le 21 mai 2015, la Caisse fédérale de crédit mutuel a accordé sa caution bancaire à la société SNEFCD pour garantir les engagements de cette société envers la société GPF pour un montant de 25.000 euros.

Par acte du 7 avril 2015, le Crédit Mutuel d'[Localité 1] (ci-après « le Crédit Mutuel ») a signé un contrat de crédit avec la société SNEFCD pour un montant de 35.000 euros remboursable en 84 mensualités. Par acte du même jour, M. [M] s’est portée caution solidaire et indivisible de la société SNEFCD dans la limite de 10.000 euros pour 108 mois.

Le 10 février 2016, la société SNEFCD a signé un deuxième contrat d’approvisionnement avec la société GPF pour une durée de 1 an à compter du 1er mai 2016. Le 2 mai 2016, la Caisse fédérale de crédit mutuel a accordé une deuxième caution bancaire à la société SNEFCD à concurrence de 25.000 euros.

Par acte sous seing privé du 23 avril 2016, M. [M] s’est porté caution solidaire et indivisible de la société SNEFCD dans la limite de 30.000 euros pour une durée de 5 ans.

Les 31 janvier 2017 et 8 mars 2018, les sociétés SNEFCD et GPF ont signé un troisième puis un quatrième contrat d’approvisionnement pour une durée de 1 an chacun. Par actes des 20 avril 2017 et 17 mai 2017, la Caisse fédérale de crédit mutuel s’est également portée caution dans les limites respectives de 25.000 euros et 50.000 euros.

Par jugement du 24 octobre 2018, le tribunal de commerce d’Aubenas a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société SNEFCD. Par jugement du 13 novembre 2018, elle a été convertie en liquidation judiciaire.

Le 21 décembre 2018, le Crédit Mutuel a réglé la somme de 50.000 euros à la société GPF au titre de ses engagements de caution.

Par courrier recommandé dont il a été accusé réception le 28 décembre 2018, le Crédit Mutuel a déclaré ses créances au passif de la société SNEFCD pour les montants suivants :

– 18.781,69 euros au titre du prêt professionnel

– 50.000 euros au titre de la caution bancaire délivrée en garantie des engagements de la SNEFCD.

Par courrier recommandé dont il a été accusé réception le 12 janvier 2019, le Crédit Mutuel a mis en demeure M. [M], en sa qualité de caution solidaire de la société SNEFCD, de lui régler la somme totale de 40.000 euros.

Par acte d’huissier du 11 avril 2019, le Crédit Mutuel a assigné M. [M] devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne.

Par jugement contradictoire du 29 juillet 2020, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

– condamné M. [M] à verser à le Crédit Mutuel la somme de 10.000 euros au titre du cautionnement du prêt professionnel outre intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure soit le 9 janvier 2019,

– ordonné la capitalisation annuelle des intérêts à compter du 9 janvier 2019,

– débouté M. [M] de sa demande à voir dire le Crédit Mutuel irrecevable en ses demandes à son encontre au titre de l’engagement de caution du 23 avril 2016 pour défaut d’intérêt à agir,

– débouté le Crédit Mutuel de sa demande en paiement par M. [M] de la somme de 30.000 euros au titre de son engagement de caution en date du 23 avril 2016,

– débouté M. [M] de sa demande de délais de paiement,

– condamné M. [M] à payer à le Crédit Mutuel la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les dépens, dont frais de greffe taxés et liquidés à 76,70 euros, sont à la charge de M. [M],

– ordonné l’exécution provisoire de ce jugement nonobstant toutes voies de recours et sans caution,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le Crédit Mutuel a interjeté appel par acte du 13 octobre 2020.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 18 mai 2021 fondées sur l’article 1134 devenu 1103 et 1104 du code civil et les articles 2288 et suivants du code civil, le Crédit Mutuel a demandé à la cour de :

– écarter toutes conclusions et moyens contraires,

– déclarer sa demande recevable et bien fondée,

en conséquence,

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de sa demande en paiement par M. [M] de la somme de 30.000 euros au titre de son engagement de caution en date du 23 avril 2016,

et partant,

– condamner M. [M] à lui payer les sommes suivantes :

– au titre du cautionnement de la garantie bancaire des engagements de la société SNEFCD : 30.000 euros outre intérêts au taux légal à courir à compter de la date de la mise en demeure soit le 9 janvier 2019,

– confirmer le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions,

– condamner M. [M] à payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

– condamner M. [M] aux entiers dépens de la procédure d’appel, ces derniers distraits au profit de la société Tudela et associés sur son affirmation de droit.

Concernant la demande d’infirmation du jugement au titre de l’engagement de 30.000 euros de M. [M] du 23 avril 2016, le Crédit Mutuel a mis en avant les éléments suivants :

– la chronologie des engagements, et notamment le fait que la date du 22 avril 2016 mentionnée dans le cautionnement est erronée puisque la société d’exploitation forestière a sollicité une caution par l’intermédiaire de son gérant le 23 avril 2016 et que les documents ne pouvant être tous signés le même jour, avaient été régularisés pour certains le 2 mai 2016

– le fait que la garantie renouvelée par le Crédit Mutuel au profit de la société d’exploitation forestière est systématiquement postérieure à la signature des contrats d’approvisionnement, renouvelés au fil des ans et que de la sorte, la demande de caution bancaire et le cautionnement de M. [M] ont été signés le 23 avril 2016 et la caution de la banque le 2 mai 2016, pour la garantie du contrat de fourniture du 10 février 2016

– la mention sur la demande de cautionnement indiquant une entrée en vigueur au 1er mai 2016

– l’absence de conséquence à l’erreur matérielle dans le cautionnement quant à la date de la caution bancaire

– le fait que ce sont les mentions manuscrites qui font le cautionnement et non les clauses l’entourant

– la connaissance par M. [M] du système d’engagement qui existait depuis plusieurs années dans les relations entre la société d’exploitation forestière et le Crédit Mutuel, étant rappelé qu’il était gérant de ladite société

– le fait que le cautionnement de M. [M] est d’un montant défini mais pas d’une durée indéterminée étant rappelé qu’il ne peut se prévaloir d’un parallélisme avec l’engagement de la banque envers la société

– le fait que le cautionnement a pour but de garantir une garantie de paiement d’une durée d’un an renouvelable ce qui signifie un engagement tant que la garantie est renouvelée soit jusqu’au 25 mai 2019, la dernière garantie ayant été donnée le 17 mai 2018

– l’indifférence de l’augmentation de la garantie sur l’étendue du cautionnement.

Concernant l’appel incident, le Crédit Mutuel a entendu faire état des moyens suivants concernant son opposition à l’octroi de délais de paiements :

– la nature des revenus et patrimoine de M. [M] qui perçoit des revenus fonciers et a déclaré un patrimoine immobilier conséquent de même que des actifs immobiliers dans sa fiche de renseignements de patrimoine.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 9 septembre 2021 fondées sur l’article 1199 du code civil et l’article 122 du code de procédure civile, M. [M] a demandé à la cour de :

– juger le Crédit Mutuel irrecevable en ses demandes à son encontre au titre de l’engagement de caution du 23 avril 2016 pour défaut d’intérêt à agir, ledit engagement de caution étant caduc depuis au plus tard le 10 mai 2018,

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté le Crédit Mutuel de sa demande en paiement de 30.000 euros au titre de son engagement de caution en date du 23 avril 2016,

recevoir son appel incident, réformant le jugement déféré et statuant à nouveau, juger qu’il est un débiteur malheureux et de bonne foi,

– en conséquence, lui octroyer les plus larges délais de paiement pour s’acquitter du règlement de sa dette vis-à-vis de le Crédit Mutuel en exécution de l’arrêt à intervenir,

– juger que, pendant ce délai, ses règlements s’imputeront en priorité sur le capital,

– condamné le Crédit Mutuel à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le Crédit Mutuel aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Me Trente de la Selarl Lexface conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Concernant l’appel principal portant sur le cautionnement de 30.000 euros, M. [M] a présenté les moyens suivants :

– l’irrecevabilité de l’action du Crédit Mutuel en raison de la caducité de son engagement de caution, engagement lié par la durée de la garantie à première demande fournie par l’appelant, étant rappelé qu’il ne s’est jamais engagé comme caution de la garantie à première demande du 17 mai 2018

– les stipulations contractuelles entre l’appelant et la caisse fédérale de Crédit Mutuel, qui indique que sauf mise en jeu, l’engagement est caduc, s’agissant de la garantie de paiement

– le contenu de la garantie de paiement du 21 mai 2015 qui indique que cet engagement est valable jusqu’au 30 avril 2016 et de l’engagement suivant qui indique une durée de validité du 2 Mai 2016 au 30 avril 2017

– la teneur de son engagement en tant que caution dans la limite de 30.000 euros pour une durée de 5 ans au titre de la garantie de paiement délivrée le 22 avril 2016 et l’absence par la suite de mise en jeu de la garantie à première demande en cours jusqu’au 10 mai 2018, engagement devenu caduc comme la caution.

Concernant sa demande de délais de paiement, M. [M] a fait valoir la nature de ses revenus, versant au débat ses avis d’imposition. Il s’est présenté comme débiteur malheureux et de bonne foi, rappelant qu’en première instance, il a déjà été condamné à payer au Crédit Mutuel la somme de 10.000 euros au titre de ses engagements, somme qu’il ne peut déjà régler en une seule fois.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 16 novembre 2021, les débats étant fixés au 9 février 2023.

Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à ses dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes du Crédit Mutuel au titre du cautionnement de 30.000 euros

L’article 1134 du code civil dispose, dans sa version applicable au litige, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise, et doivent être exécutées de bonne foi.

L’article 1165 du code civil dans sa version applicable au litige dispose que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121.

Il ressort des pièces versées au débat que M. [M], en sa qualité de dirigeant de la SNEFCD a sollicité en date du 23 avril 2016 l’émission d’un engagement bancaire de garantie à première demande au cautionnement, engagement pour lequel une entrée en vigueur est sollicitée pour le 1er mai 2016.

Suivant acte du 23 avril 2016, M. [M] donne son engagement de caution personnel et solidaire pour garantir la garantie de paiement, l’action mentionnant que la garantie est celle du 22 avril d’un montant de 25.000 euros d’une durée d’un an renouvelable.

Les parties font valoir une position différente concernant la date du 22 avril 2016 indiquée par le rédacteur de la caution.

Or, il convient d’apprécier la mention du 22 avril 2016 comme étant une erreur matérielle eu égard à la date de signature apposée sur la demande de garantie à première demande formée auprès du Crédit Mutuel par l’intimé, en sa qualité de gérant de la SNEFCD.

Il est ensuite relevé que la garantie à première demande a été accordée à la date du 2 mai 2016 s’agissant au titre de la demande formée le 23 avril 2016 par l’intimé en sa qualité de gérant.

Il ne saurait être tiré argument du décalage entre la date de formulation de la demande auprès du Crédit Mutuel et à la date à laquelle la garantie a été octroyée à savoir le 2 mai 2016, eu égard aux nécessaires délais de traitement d’une telle demande sans compter que l’octroi de la garantie était sollicité à compter du 1er mai 2016, jour férié, une mise en ‘uvre le lendemain ne pouvant relever non plus d’un grief.

En outre, les autres exemplaires de contrat de garantie de financement versés aux débats par le Crédit Mutuel démontrent que la demande de garantie formulée chaque année nécessite un délai de traitement de plusieurs jours. Doit être également relevé le fait que de 2015 à 2018, M. [M] a présenté une demande de garantie en paiement assortie d’un cautionnement personnel auprès du Crédit Mutuel dans le cadre des marchés annuels entre sa société et la société GPF.

Il est ainsi inopérant de tirer un quelconque grief de ce décalage.

S’agissant de la validité querellée du cautionnement, il convient d’apprécier la teneur de la mention manuscrite ainsi que le contenu des clauses conventionnelles entourant le cautionnement.

M. [M] a entendu faire valoir que son engagement de caution était limité dans le temps, à savoir un an, et était renouvelé chaque année, c’est-à-dire à chaque obtention d’une garantie bancaire de paiement.

La lecture des conditions générales du cautionnement, et notamment de l’article 3, permet de relever que « la caution est engagée dans la limite du montant global indiqué ci-dessus comprenant le principal de l’engagement garanti, les intérêts et le cas échéant, les pénalités ou intérêts de retard y afférents, aux conditions et taux convenus entre la banque et le cautionné, et indiquées dans le contrat principal et pour la durée indiquée aux présentes. »

La mention manuscrite rédigée par M. [M] dans l’acte de cautionnement du 23 avril 2016 indique qu’il s’engagent dans la limite de la somme de 30.000 euros et « pour la durée de cinq ans » sur ses revenus et ses biens.

De fait, M. [M] ne peut nier avoir pris un engagement de caution d’une durée de cinq ans.

En application du strict principe de relativité des contrats prévu à l’article 1165 du code civil dans sa version applicable au litige, M. [M] ne peut prétendre que son engagement tomberait à l’échéance de chaque engagement de garantie octroyé par la banque, engagement d’une durée d’un an, n’étant pas partie à ce contrat.

En conséquence, il convient d’infirmer la décision déférée en ce qu’elle a rejeté la demande du Crédit Mutuel à l’encontre de M. [M] aux fins de paiement de la somme de 30.000 euros au titre de son engagement de caution.

De la sorte, M. [M] sera condamné à payer au Crédit Mutuel la somme de 30.000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 janvier 2019.

Sur la demande de délais de paiement

L’article 1343-5 alinéa 1 du code civil dispose que Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

S’il n’est pas contesté que M. [M] présente un état de santé dégradé, il constaté par ailleurs que ce dernier dispose d’un patrimoine mobilier et immobilier qu’il peut mobiliser afin de régler les sommes dues au Crédit Mutuel.

En conséquence, la demande de délais de paiement sera rejetée et la décision déférée confirmée sur ce point.

Sur les autres demandes

M. [M] qui succombe en ses prétentions, sera condamné à supporter les dépens de la procédure d’appel.

L’équité commande d’accorder au Crédit Mutuel une indemnisation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [M] sera condamné à payer au Crédit Mutuel la somme de 2.500 euros sur ce fondement.

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