ARRET N° .
N° RG 22/00081 – N° Portalis DBV6-V-B7G-BIJPK
AFFAIRE :
M. [R] [O]
C/
Mme [G] [M] veuve née [B]
PLP/MS
Autres demandes en matière de baux commerciaux
Grosse délivrée à Maître Michel LABROUSSE, Maître Philippe CAETANO
COUR D’APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
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ARRÊT DU 27 AVRIL 2023
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Le vingt sept Avril deux mille vingt trois la Chambre économique et sociale de la cour d’appel de LIMOGES a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [R] [O]
né le 21 Mai 1991 à AGUELMOUS (MAROC), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Michel LABROUSSE, avocat au barreau de TULLE
APPELANT d’une décision rendue le 13 DECEMBRE 2021 par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE TULLE
ET :
Madame [G] [M] veuve née [B]
née le 18 Novembre 1935 à VITRAC SUR MONTANE (19800), demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Philippe CAETANO de la SELARL SELARL MARCHE CAETANO, avocat au barreau de BRIVE
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 07 Mars 2023. L’ordonnance de clôture a été rendue le 01 février 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, magistrat rapporteur, assisté de Mme Sophie MAILLANT, Greffier, a tenu seul l’audience au cours de laquelle il a été entendu en son rapport oral.
Les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients et ont donné leur accord à l’adoption de cette procédure.
Après quoi, Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 27 Avril 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
Au cours de ce délibéré, Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, a rendu compte à la Cour, composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre,de Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller et de Madame Johanne PERRIER, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles. A l’issue de leur délibéré commun, à la date fixée, l’arrêt dont la teneur suit a été mis à disposition au greffe.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte du 10 juillet 2009, M. [O] a acquis le fonds de commerce exploité dans des locaux appartenant à M. et Mme [M] et situés [Adresse 1]. A cette occasion, le bail locatif, initialement établi au bénéfice du frère de M. [O] et son épouse, a été renouvelé par acte authentique du même jour et à compter du 1er janvier 2015 pour une durée de 9 ans.
[K] [M] est décédé le 31 janvier 2017 et son épouse est devenue usufruitière de la totalité des biens de la succession, sa fille, Mme [C] [M], étant nue-propriétaire notamment du local commercial.
Le 4 juillet 2019, M. [O] a comparu devant le tribunal correctionnel de Tulle et placé en détention provisoire. Par un jugement du même tribunal du 29 juillet 2019, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 6 ans assortie d’un sursis partiel pour la durée d’un an avec mise à l’épreuve. M. [O] a par la suite été renvoyé des fins de la poursuite par un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Limoges du 29 novembre 2019.
Par acte d’huissier du 23 janvier 2020, M. [O] a reçu un commandement de payer visant la clause résolutoire et sollicitant le paiement des loyers du 1er juillet 2019 au 31 décembre 2019.
Le 19 février 2020, Mme [G] [M] a fait assigner M. [O] en référé devant le tribunal judiciaire de Tulle aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire avec tous les effets inhérents.
Parallèlement, M. [O] a saisi le tribunal judiciaire de Tulle aux fins de voir suspendre les effets du commandement et de la clause résolutoire, ainsi que de se voir octroyer des délais de paiement.
Par ordonnance du 22 septembre 2020, le juge des référés a considéré que la bailleresse devait être déboutée de ses demandes en présence d’une instance pendante devant le juge du fond pour le même litige.
Par ordonnance du 10 novembre 2020, le juge de la mise en état a rejeté la demande de nullité du commandement de payer formulée par M. [O].
Par jugement du 13 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Tulle a :
– déclaré irrecevable la demande relative à la nullité du commandement de payer ;
– constaté l’acquisition de la clause résolutoire à compter du 24 février 2020 ;
– ordonné l’expulsion de M. [O] et de tous occupants de son chef du local commercial situé [Adresse 1] ;
– dit qu’à défaut pour M. [O] d’avoir libéré les lieux, il sera procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef, le cas échéant avec le concours d’un serrurier et de la force publique ;
– condamné M. [O] à verser à Mme [M] la somme de 3 384,26 € au titre des loyers et charges impayés, avant le 24 février 2020 ;
– condamné M. [O] à verser à Mme [M] une indemnité d’occupation mensuelle de 415 €, révisable comme le loyer initialement prévu, et ce à compter du 24 février 2020 et jusqu’à la libération effective des lieux par remise des clés ;
– condamné M. [O] à verser à Mme [M] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [O] au paiement des dépens ;
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
M. [O] a interjeté appel de la décision le 2 février 2022.
Aux termes de ses écritures du 29 avril 2022, M. [O] demande à la cour :
– d’infirmer la décision dont appel en tous ses chefs de jugement ;
Statuant à nouveau, de :
– suspendre les effets du commandement délivré le 23 janvier 2020 visant la clause résolutoire et les effets de ladite clause résolutoire ;
– suspendre le paiement des loyers courants jusqu’à la reprise de l’activité commerciale ;
– débouter Mme [M] de sa demande de résiliation de bail et d’expulsion ;
– lui octroyer les plus larges délais de paiement pour acquitter sa dette, dans la limite de l’article 1343-5 du code civil ;
– dire que chaque partie conservera ses dépens.
Il soutient :
– que les effets du commandement et de la clause résolutoire doivent nécessairement être suspendus au regard de sa situation judiciaire antérieure. En effet, il explique que c’est son incarcération, mais également la confiscation de tous ses avoirs bancaires, qui ont entraîné le non-paiement des loyers ;
– que sa situation a les caractères de la force majeure ayant empêché l’exécution de son obligation ;
– en tout état de cause, que les plus larges délais de paiement doivent lui être accordés, dans la limite de l’article 1343-5 du code civil.
Aux termes de ses écritures du 22 juillet 2022, Mme [M] demande à la cour, à titre principal, de :
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, si besoin par substitution de motifs ;
A titre subsidiaire, de :
– prononcer la résiliation du bail aux torts exclusifs de M. [O] ;
– condamner M. [O] à lui payer une somme de 4 214,26 € correspondant aux loyers impayés arrêtés au 31 juillet 2022, et ce avec les intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance du commandement de payer du 23 janvier 2020 ;
– condamner M. [O] à lui payer les sommes de :
* 415 € par mois, révisable comme le loyer initialement prévu, outre les charges, à compter du 1er août 2022 et jusqu’à la date à laquelle la décision prononçant la résiliation sera définitive ;
* 700 € par mois à titre d’indemnité d’occupation à compter de la date à laquelle la décision prononçant la résiliation sera définitive et ce jusqu’à complète libération des lieux et restitution des clés ;
– ordonner l’expulsion de M. [O] et de tous occupants de son chef des locaux, avec le concours d’un serrurier et de la force publique si besoin est, sans qu’aucun délai ne puisse lui être accordé ;
– juger que l’expulsion sera assortie à une astreinte de 100 € par jour de retard, et ce jusqu’à complète libération des lieux et restitution des clés ;
En toute hypothèse, de :
– condamner M. [O] à lui payer la somme de 6 000 € en réparation du préjudice moral subi ;
– condamner le même à lui payer la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, comprenant le coût du commandement de payer du 23 janvier 2020 et les dénonciations afférentes, ainsi que celles des conclusions de première instance et d’appel, notamment à l’égard de la société Caisse d’Épargne et de Prévoyance d’Auvergne et du Limousin.
Elle soutient :
– à titre principal, que la résiliation du bail en application de l’article L. 145-41 du code de commerce est acquise, celui-ci ayant pris fin le 24 février 2020 par l’effet de la clause résolutoire ;
– que M. [O] est donc désormais occupant sans droit ni titre et qu’une indemnité d’occupation devra donc être mise à sa charge ;
– à titre subsidiaire, que les manquements contractuels (défaut de paiement des loyers, défaut d’occupation, d’exploitation et d’assurance des locaux loués) la fondent à obtenir la résiliation au regard des inexécutions contractuelles graves et persistantes ;
– que rien ne justifie l’accord de délai de paiement à M. [O] au regard notamment de la mauvaise foi dont le débiteur a fait preuve ;
– que les effets du commandement de payer et le paiement des loyers ne peuvent être suspendus jusqu’à une hypothétique reprise de l’activité commerciale, M. [O] n’étant pas dans une impossibilité absolue d’exploiter le fonds, seule à même de justifier une telle suspension.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [R] [O] assimile à un cas de force majeure l’ayant empêché de payer ses loyers, l’existence de sa détention provosire, qu’il qualifie d’abusive en raison de sa relaxe ultérieure, ainsi que la confiscation de tous ses avoirs bancaires d’un montant supérieure à 30 000 €. Il sollicite en conséquence la suspension des effets du commandement visant la clause résolutoire, mais également la suspension de l’exécution de l’obligation jusqu’à ce qu’il puisse reprendre l’exercice de son activité commerciale.
M. [O] sollicite par ailleurs l’octroi des plus larges délais de paiement, dans la limite de l’article 1343-5 du code civil pour acquitter sa dette, au motif que sa situation financière, après confiscation de ses avoirs et incarcération durant de longs mois, est plus que désespérée, qu’il ne dispose, aujourd’hui, d’aucun revenu et espère reprendre son activité commerciale dans les meilleurs délais.
Il n’est pas contesté que Mme [W] [B] a fait délivrer à M. [R] [O], le 23 janvier 2020, un commandement de payer les loyers et charges non régularisés pour un montant de 2 969,26 euros outre 163,73 euros de frais d’acte. Le décompte joint au commandement portait sur les loyers d’avril 2019 à décembre 2019, outre une régularisation de charges pour l’année 2019.
Il est également constant que M. [O] n’a pas régularisé sa situation dans le délai d’un mois dont il disposait à cet effet.
Selon une jurisprudence constante le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure, laquelle est une notion qui réside dans l’existence d’un fait imprévisible et irrésistible, étranger à la personne elle-même.
Il sera par ailleurs relevé que le premier incident de paiement non régularisé date d’avril 2019, alors même que M. [O] disposait sur ses comptes bancaires de sommes significatives, (33 694 euros) et de sommes en numéraire (5 950 euros) et cela, antérieurement à son placement en détention provisoire, exécutée de juillet à novembre 2019. La détention n’a été que temporaire et les défauts de paiements sont antérieurs et postérieurs à cette période. M.[O] n’a pris aucune disposition pour être substitué durant son incarcération et il n’a pas repris son activité lorsqu’il a été libéré alors qu’il s’est maintenu dans les lieux et qu’il a récupéré les sommes d’argent qui lui avaient été confisquées.
C’est à juste titre que le tribunal a constaté l’acquisition de la clause résolutoire à compter du 24 février 2020, ordonné l’expulsion de M. [O] et l’a condamné à payer à Mme [B] les sommes de 3 384,26 € au titre des loyers et charges impayés, ainsi que celle de 415 € à titre d’indemnité d’occupation mensuelle.
C’est également de manière justifiée que le premier juge a débouté M. [O] de sa demande d’octroi de délais de paiement sur le fondement des dispositions de l’article 1343-5 du code civil, après avoir relevé qu’il n’avait fait aucune démarche pour commencer à régler sa dette et qu’il ne proposait aucune solution suseptible de laisser croire qu’il était en mesure de reprendre l’exploitation du fonds de commerce et payer les échéances dues.
A ce jour M. [O] n’a payé qu’une partie résiduelle des sommes dont il est débiteur, ne propose aucune date de reprise de son activité et aucun plan d’apurement de sa dette, alors qu’il a d’ores et déjà, et depuis longtemps, repris possession des scellés et obtenu une indemnisation de l’Etat.
Pour ces motifs ajoutés à ceux du premier juge, il y a lieu de confirmer le jugement déféré, dans toutes ses dispositions.
M. [R] [O], qui succombe, sera condamné au paiement des dépens d’appel et il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [G] [B], qui obtient gain de cause et reste créancière d’une importante dette de loyers et charges alors qu’elle ne perçoit qu’une modeste pension de retraite d’un montant mensuel de 1 099 €, les frais irrépétibles de l’instance d’appel. M. [O] sera condamné à lui verser, de ce chef, une indemnité de 2 000 €.