DLP/SC
[S] [X]-
[V]
C/
CAISSE AUTONOME DE RETRAITE ET DE PREVOYANCE CARPIMKO
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 27 AVRIL 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00004 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FS7V
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pole social du TJ de MACON, décision attaquée en date du 03 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00013
APPELANTE :
[S] [F]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Maître Benjamin GAUTIER, avocat au barreau de l’AIN
INTIMÉE :
CAISSE AUTONOME DE RETRAITE ET DE PREVOYANCE CARPIMKO
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Clémence MATHIEU de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substituée par Maître Véronique PARENTY-BAUT, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Mars 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, Président
Olivier MANSION, Président de chambre,
Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Sandrine COLOMBO,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller, et par Sandrine COLOMBO, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [F] est affiliée à la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeute, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (la CARPIMKO) depuis le 1er avril 2001 dans le cadre de son activité d’infirmière libérale.
A partir de 2012, elle s’est vu notifier par les organismes de sécurité sociale des redressements sur la base de taxation forfaitaire en l’absence de déclarations de revenus.
Suite à l’assignation de l’URSSAF de Saône-et-Loire en redressement judiciaire à l’égard de Mme [F] en raison de non-paiement de ses cotisations de travailleur indépendant au titre de son activité d’infirmière libérale, le tribunal judiciaire de Mâcon a ordonné, le 29 avril 2013, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire simplifiée à son encontre.
Le 26 juin 2014, le tribunal a homologué le plan de redressement judiciaire proposé.
Du 10 juillet 2017 au 31 juillet 2018, Mme [F] a bénéficié d’un arrêt de travail dans le cadre d’une affection de longue durée. Elle a toutefois repris son travail de manière anticipée le 4 juin 2018.
Le 13 septembre 2017, la CARPIMKO l’a informée qu’elle ne pouvait pas prétendre au bénéfice d’indemnités de sécurité sociale au motif qu’elle n’était pas à jour de ses cotisations afférentes aux années 2010, 2011, 2012 et 2013 à la date de survenance du risque.
Après échanges de courriers entre les parties, Mme [F] a, le 9 octobre 2018, saisi la commission de recours amiable de la caisse aux fins d’obtenir le versement d’indemnités journalières pour la période du 9 octobre 2017 (91ème jour d’arrêt de travail tel que prévu par les statuts) au 3 juin 2018.
Le 18 décembre 2018, la commission a confirmé le refus d’attribution de l’allocation journalière d’inaptitude à compter du 91ème jour d’incapacité professionnelle totale, en application des dispositions de l’article 7 des statuts du régime d’invalidité décès, pour défaut de paiement de cotisations arriérées aux années 2010 à 2013.
Par requête reçue au greffe le 4 janvier 2019, Mme [F] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire en contestation de cette décision et a demandé au tribunal de :
– condamner la CARPIMKO au paiement de la somme de 13 930,28 euros au titre des indemnités journalières dues pour l’arrêt de travail du 10 juillet 2017 au 3 juin 2018,
– condamner la CARPIMKO à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice qu’elle a subi du fait du non-versement de ces indemnités,
– condamner la CARPIMKO au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 3 décembre 2020, le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes.
Par déclaration reçue au greffe le 4 janvier 2021, Mme [F] a relevé appel de cette décision.
Par un mémoire reçu au greffe le 9 février 2023, Mme [F] soulève une question prioritaire de constitutionnalité à destination de la Cour de cassation et demande qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de la décision de cette Cour.
Par conclusions déposées à l’audience, elle maintient sa QPC et demande à la cour de :
– juger que l’instance n’est pas périmée,
– statuer en priorité sur la QPC,
– transmettre la QPC,
– surseoir à statuer dans l’attente de la décision sur la QPC.
Mme [F] conclut également oralement à l’audience au maintien de ses demandes en paiement. Elle considère que ses cotisations non payées ayant été intégrées dans le plan de redressement homologué par le tribunal le 26 juin 2014, elle ne peut être considérée comme n’étant pas à jour de ses cotisations afférentes aux années 2010, 2011, 2012 et 2013 à la date de survenance du risque.
Par ses conclusions notifiées le 8 mars 2023, la caisse conclut au rejet de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité auprès de la Cour de cassation.
De plus, dans ses conclusions en réponse au fond notifiées le même jour, la CARPIMKO demande à la cour de :
A titre principal,
– juger qu’il y a lieu de constater la péremption de l’instance d’appel et que le jugement déféré a donc acquis force de chose jugée,
Au fond, en cas de rejet de la demande de péremption d’instance et à titre subsidiaire,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et, en conséquence, le rejet des allocations journalières d’inaptitude au 91ème jour d’incapacité professionnelle totale.
La question prioritaire de constitutionalité a été transmise pour avis au parquet général de la cour le 20 février 2023 lequel a, dans son avis du 21 février 2023, déclaré s’en rapporter sur ce point.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONALITE
La question prioritaire de constitutionalité est ainsi libellée :
« Les dispositions de l’article L. 613-2 1° du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1827 du 23 décembre 2016 en ce qu’elles excluent les auxiliaires médicaux exerçant sous le statut libéral du bénéfice du régime prévu au second alinéa de l’article L. 613-8 du même code dans sa rédaction issue de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015 sont-elles conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit et spécialement au principe de l’égalité pour tous devant la loi protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ‘ ».
L’appelante considère que, selon cet article, les professions libérales sont exclues du champ d’application du rétablissement du droit aux prestations en espèces à compter du jugement arrêtant un plan de redressement ou de sauvegarde prévu à l’article L. 613-8 al 2 du même code dans sa version applicable au litige et que, ce faisant, il crée une différence de traitement en cas d’ouverture de procédure collective entre les professions indépendantes libérales et les professions indépendantes non libérales, seuls les seconds pouvant bénéficier dans un tel cas du rétablissement au droit aux prestations en espèces.
Mme [F] conteste ainsi la conformité des dispositions de l’article L. 613-2 1° du code de la sécurité sociale aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe d’égalité devant la loi, protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’il exclut les auxiliaires médicaux exerçant sous le statut libéral du bénéfice du second alinéa de l’article L. 613-8 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015. Mme [F] prétend au caractère nouveau et sérieux de la question, aucune considération de droit ou de fait ne justifiant que l’égalité devant la loi ne soit pas garantie aux auxiliaires médicaux exerçant sous le statut libéral pour le bénéfice ou le rétablissement du droit aux prestations en espèces de sécurité sociale à compter du prononcé du jugement arrêtant le plan de redressement judiciaire.
La CARPIMKO répond que Mme [F] est mal fondée à se prévaloir d’une rupture d’égalité devant la loi.
L’article L. 613-2 1° du code de la sécurité sociale dispose, dans sa version alors applicable au litige, que :
« Ne sont pas affiliées au régime d’assurance maladie et d’assurance maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles :
1°) les personnes exerçant ou ayant exercé, à titre exclusif, une activité non salariée entraînant soit leur affiliation à un régime obligatoire légal ou réglementaire de sécurité sociale de salariés, soit le bénéfice du régime des avantages sociaux complémentaires accordés aux praticiens et auxiliaires médicaux et aux bénéficiaires de l’article L. 371-1 ».
Ces dispositions législatives sont applicables au présent litige, le premier juge ayant visé par erreur l’article L. 622-1 du code de la sécurité sociale (anciennement L. 613-8) dont la rédaction est cependant identique.
Elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel. De plus la question ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition dont le Conseil constitutionnel aurait eu l’occasion de faire application est nouvelle.
Or, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie de pouvoir réglemntaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
Ici, Mme [F] exerce une activité libérale réglementée. Elle est donc affiliée à titre obligatoire à la CARPIMKO et ne justifie pas être conventionnée par l’assurance maladie, ni avoir adhéré à la convention conclue entre sa profession et l’assurance maladie. Elle n’a donc pas le même statut que l’indépendant non libéral ou les auxiliaires médicaux conventionnés. Elle n’a du reste pas versé de cotisations et contributions ouvrant des droits à la sécurité sociale.
En conséquence, la différence de traitement est justifiée par des situations différentes, ce qui exclut la rupture d’égalité invoquée.
La question n’est donc pas sérieuse et ne sera pas transmise à la Cour de cassation.
SUR LA PEREMPTION D’INSTANCE
La CARPIMKO allègue que Mme [F] n’a accompli aucune diligence procédurale avant le 5 janvier 2023 et que l’instance d’appel est donc frappée de péremption.
Mme [F] soulève l’irrecevabilité de ce moyen puis conclut à son caractère infondé.
Il ressort de l’article 388 du code de procédure civile, que la péremption d’instance doit, à peine d’irrecevabilité, être soulevée avant tout autre moyen.
Il est constant qu’elle doit être soulevée dans les premières conclusions postérieures à l’expiration du délai de péremption.
En l’espèce, la CARPIMKO a notifié des conclusions reçues à la cour le 20 février 2023, soit postérieurement à l’expiration du délai de péremption sans soulever cette exception de procédure.
Il convient, par suite, que la déclarer irrecevable en sa demande de péremption.
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT DES INDEMNITES JOURNALIERES
L’article L. 613-8 du code de la sécurité sociale dispose que pour bénéficier, le cas échéant, du règlement des prestations en espèces pendant une durée déterminée, l’assuré doit être à jour de ses cotisations annuelles dans des conditions fixées par décret. Le défaut de versement des cotisations ne suspend le bénéfice des prestations qu’à l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la date d’échéance. Cependant, en cas de paiement plus tardif, il peut, dans un délai déterminé, faire valoir ses droits aux prestations, mais le règlement ne peut intervenir que si la totalité des cotisations dues a été acquittée avant l’expiration du même délai.
Lorsque le tribunal arrête un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire en application de l’article L. 621-70 du code de commerce ou lorsque la commission de recours amiable de la caisse mutuelle régionale accorde à l’assuré un étalement du paiement des cotisations, ce dernier est rétabli dans ses droits aux prestations à compter du prononcé du jugement ou de la prise de décision de la caisse mutuelle régionale, dès lors qu’il s’acquitte régulièrement des cotisations dues selon l’échéancier prévu ainsi que des cotisations en cours.
Ici, la CARPIMKO a déclaré sa créance au titre des cotisations de 2010 à 2013 à la procédure de redressement judiciaire ouverte le 29 avril 2013 contre l’assurée. La CARPIMKO se prévaut à juste titre de l’application des déchéances du droit aux prestations en cas de non-paiement ou de paiement tardif des cotisations et majorations de retard. La déchéance de garantie instituée par l’article 7 des statuts du régime d’invalidité décès reste en effet applicable malgré le plan d’apurement des créances accepté sous réserves par la caisse.
C’est donc à bon droit que l’allocation journalière d’inaptitude à compter du 91ème jour d’incapacité professionnelle totale survenue le 10 juillet 2017 a été refusée à Mme [F] en application de l’article 7 des statuts du régime d’assurance invalidité décès de la CARPIMKO pour défaut de paiement de cotisations arriérées afférentes aux années 2010 à 2013, l’assurée ne justifiant d’aucune circonstance, et notamment d’aucun cas de force majeure, permettant de caractériser une impossibilité absolue d’exécution et d’entraîner un relevé de la déchéance encourue. Cette déchéance ne présente pas, de surcroît, le caractère d’une sanction puisqu’elle ne vise pas à réprimer un manquement des assurés mais se borne à subordonner le bénéfice des prestations d’invalidité du régime au versement, par les assurés, de leurs cotisations.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a appliqué la déchénce de garantie et ainsi rejeté la demande d’allocations journalières d’inaptitude au 91ème jour d’incapacité professionnelle totale formée par Mme [F]. Il le sera également, par susbsitution de motifs, en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de l’assurée.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision sera confirmée en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Les dépens d’appel seront supportés par Mme [F] qui succombe.