27 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 20/00404

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KG/CH

S.A.S. [10], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés de droit au siège social

C/

[K] [L] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L]

[C] [L] épouse [H] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L], agissant tant en son nom propre qu’en qualité de représentant

légal de ses enfants mineurs [B] [H] et [N] [H]

[M] [L] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L]

[I] [L] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L]

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Marne

FONDS

D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE (FIVA)

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

MINUTE N°

N° RG 20/00404 – N° Portalis DBVF-V-B7E-FRXJ

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pôle social du Tribunal Judiciaire de CHAUMONT, décision attaquée en date du 31 Juillet 2020, enregistrée sous le n° 18/00033

APPELANTE :

S.A.S. [10], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés de droit au siège social

[Adresse 3]

[Localité 7]

représentée par Me Sophia BEKHEDDA, avocat au barreau de DIJON, et Me Sabrina KEMEL, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Sofiane KECHIT, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

[K] [L] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L]

[Adresse 2]

[Adresse 13]

[Localité 4]

représentée par Me Guillaume BERNARD de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

[C] [L] épouse [H] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L], agissant tant en son nom propre qu’en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs [B] [H] et [N] [H]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Guillaume BERNARD de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

[M] [L] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L]

[Adresse 2]

[Adresse 13]

[Localité 4]

représenté par Me Guillaume BERNARD de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

[I] [L] es qualité d’ayant droit de feu Monsieur [U] [L]

[Adresse 2]

[Adresse 13]

[Localité 4]

représenté par Me Guillaume BERNARD de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Marne

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 6]

représenté par Mme Anne GRIERE (Chargée d’audience) en vertu d’un pouvoir général

[12] ([12])

[Adresse 14]

[Adresse 14]

[Localité 8]

non comparante, non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Février 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : réputé contradictoire,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [L] a été employé, du 10 octobre 1977 au 28 février 2016, en qualité d’opérateur thermique polyvalent, sur un site de fonderie exploité par la société [9] aux droits de laquelle est venue la société [10] (la société).

Le 22 juin 2016, il a souscrit une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d’un certificat médical du 14 juin 2016 décrivant un carcinome bronchique.

Le 9 août 2016, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Haute-Marne lui a notifié sa décision de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnelles, sa maladie qualifiée de cancer broncho-pulmonaire, étant inscrite au tableau n° 30 des maladies professionnelles au titre des affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante.

M. [L] est décédé le 23 juin 2016 des suites de cette maladie.

Par décision en date du 9 août 2016, la CPAM a attribué à Mme [L] en tant qu’ayant droit de M. [L], une rente annuelle de 14 109,54 euros.

Estimant que cette maladie résulterait de la faute inexcusable de l’employeur, les ayants droit de M. [L] ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Par décision du 31 juillet 2020, cette juridiction a retenu la faute inexcusable de l’employeur et a, notamment, fixé l’indemnisation des préjudices subis.

Par déclaration enregistrée le 6 novembre 2020, la société [10] a relevé appel de cette décision.

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 janvier 2021 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :

– réformer le jugement par le pôle social du tribunal de grande instance de Chaumont en ce qu’il a :

– fixé l’indemnisation des préjudices personnels de M. [U] [L] comme suit :

* réparation de la souffrance physique : 50 000 euros

* réparation de la souffrance morale : 50 000 euros

* réparation du préjudice d’agrément : 10 000 euros

– fixé le préjudice moral personnel des ayants-droit de M. [U] [L] comme suit :

* Mme [K] [L] : 60 000 euros

* Mme [C] [H] : 25 000 euros

* M. [M] [L] : 25 000 euros

* M. [I] [L] : 25 000 euros

* Mme [B] [H] : 7 000 euros

* Mme [N] [H] : 7 000 euros

statuer à nouveau et de :

– dire que les préjudices de souffrances physiques et souffrances morales ne forment qu’un seul et même préjudice et réduire à de plus juste proportions le montant alloué par le tribunal en première instance,

– débouter les intimés au titre de leur demande afférent au préjudice d’agrément,

– réduire à de plus justes proportions les indemnisations au titre du préjudice moral personnel des ayants-droit de M. [U] [L].

Par leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 24 janvier 2023 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débats, les intimés demandent à la cour de :

à titre principal,

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à titre subsidiaire,

– confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a fixé l’indemnisation des préjudices subis par M. [U] [L] selon les modalités suivantes :

* réparation de la souffrance physique : 50 000 euros

* réparation de la souffrance morale : 50 000 euros

statuant à nouveau,

– fixer l’indemnisation du préjudice de souffrances endurées par M. [U] [L] par l’allocation de la somme de 100 000 euros,

en tout état de cause,

– condamner la société [10] à payer à chacun des ayants droit de M. [U] [L], une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens en cause d’appel.

Par ses dernières écritures reçues à la cour le 1er février 2023, la CPAM de la Haute-Marne demande à la cour de :

– constater qu’elle s’en remet à prudence de justice concernant l’existence de la faute inexcusable de l’employeur,

– condamner la société [10] à garantir le remboursement des sommes versées par elle dans le cas où la faute inexcusable serait reconnue.

Le [12] régulièrement convoqué a adressé une lettre aux termes de laquelle il déclare ne pas intervenir.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS

Il convient de rappeler que l’appel de la société est limité aux dispositions du jugement relatives à la fixation des sommes allouées en réparation des souffrances physiques, des souffrances morales et du préjudice d’agrément.

– Concernant les demandes relatives aux préjudices subis par M. [L]

– sur les souffrances physiques et morales :

La société fait valoir que le quantum fixé par les premiers juges en réparation du préjudice des souffrances physiques et morales est trés éloigné de celui alloué par les juridictions et que le poste de préjudice lié à la souffrance physique et celui lié à la souffrance morale relèvent en réalité d’un seul et même préjudice, global, et ne peuvent faire l’objet d’indemnisations distinctes.

Les ayants droit de M. [L] soutiennent que l’état physique de M. [L] était dégradé (essouflement, perte d’autonomie pour monter les escaliers, s’habiller et douleurs), qu’il dépendait de ses proches en raison de sa maladie, qu’il savait que sa maladie était incurable et vivait dans la peur d’une aggravation de son état de santé, qu’il le vivait comme une injustice et était trés angoissé et n’arrivait plus à se projeter dans l’avenir.

En cas de faute inexcusable, la victime bénéficie, conformément aux articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale figurant au livre IV de ce code, d’une majoration de la rente ne pouvant excéder certains plafonds et de la réparation de préjudices complémentaires, prévus à l’article L. 452-3, comprenant les souffrances physiques et morales endurées, les préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que la perte ou la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Il est jugé que la victime ou ses ayants droit n’ont plus à démontrer que les souffrances endurées n’avaient pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent dans le cadre de la rente attribuée.

En l’espèce, M. [L], âgé de 54 ans, a souscrit une déclaration de maladie professionnelle le 22 juin 2016 avec certificat médical du 14 juin 2016 qui indique : « amiante-carcinome bronchique ».

Il a subi une exploration fonctionnelle respiratoire, sans date indiquée, (pièce n° 10) mais avec des conclusions du médecin mentionnant un syndrome restrictif de 25%.

M. [L] est décédé le 23 juin 2016 des suites de la maladie professionnelle déclarée.

La CPAM a attribué un taux d’incapacité permanent à 100 % en tenant compte de ses séquelles et a réglé une rente annuelle à sa veuve de 14 109,54 euros.

Les séquelles de l’affection sont décrites aussi bien par les médecins que par les attestations des proches de M. [L].

S’agissant des souffrances physiques :

Il est établi que M. [L] avait des grandes difficultés respiratoires et des douleurs thoraciques ainsi qu’un traitement lourd et invasif avec une perte d’automomie dans les actes de la vie courante.

S’agissant des souffrances morales : Elles sont plus importantes en raison des répercussions de la maladie sur son psychisme, du sentiment de diminution physique et de la crainte élevée de développer un cancer et voir une diminution certaine de son espérance de vie.

Ses proches le décrivaient trés dépressif et trés anxieux pour l’avenir.

Il convient de fixer l’indemnité au titre de la réparation des souffrances physiques à la somme de 35 000 euros et au titre de la réparation des souffrances morales à la somme de 35 000 euros, compte tenu également du fait que M. [D] est décédé à 54 ans.

Le jugement sera donc infirmé sur ce chef.

– sur le préjudice d’agrément :

La société soutient qu’aucune pièce n’est versée aux débats et que le salarié n’apporte pas la preuve d’un préjudice indemnisable à ce titre.

Le préjudice d’agrément, qui consiste dans la perte ou la diminution des possibilités du malade à se livrer aux activités de sports ou de loisirs qu’il pratiquait antérieurement, ne couvre pas les troubles ressentis dans la vie courante déjà indemnisés par le capital ou la rente majorés.

En l’espèce, les ayants droits de M. [L] indiquent que ce dernier « allait tout le temps au club de foot pour faire le soigneur des joueurs et qu’il ne pouvait plus en raison de sa maladie les accompagner. »

Ainsi, il est démontré que M. [L] peut prétendre à une indemnisation au titre de ce préjudice. Il convient de la fixer à la somme de 5 000 euros.

Le jugement sera donc infirmé sur ce chef.

– Concernant les demandes des ayants droit de M. [L]

La société demande de ramener à de plus justes proportions les indemnités allouées.

Les ayants droit de M. [L] rappellent le traumatisme qu’ils ont subi en voyant la dégradation physique et morale de M. [L] et son décès.

Il y a lieu de fixer les indemnités relatives aux préjudices moraux des ayants droits de M. [L] de la manière suivante :

– sur le préjudice moral de Mme [L], veuve de M. [L] : 30 000 euros (34 ans de mariage et l’accompagnant moralement et physiquement dans la maladie de son mari)

– sur le préjudice moral des enfants de M. [L] : 15 000 euros (traumatisme subi)

– sur le préjudice moral des petits enfants de M. [L] : 3 000 euros.

– Sur les autres demandes

La demande de la CPAM est sans objet, l’appel étant limité aux dispositions du jugement relatives à la fixation des sommes allouées en réparation des souffrances physiques, des souffrances morales et du préjudice d’agrément.

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société à verser aux ayants droit de M. [L] la somme globale pour tous de 2 000 euros.

La société supportera les dépens d’appel.

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