27 avril 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 20/00374

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KG/CH

S.A.R.L. [Z], prise en la personne de son représentant légal

C/

[G] [A] [M] [P]

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Marne

[V] [T]

[D] [T]

[X] [T]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

MINUTE N°

N° RG 20/00374 – N° Portalis DBVF-V-B7E-FRNA

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Pôle social du Tribunal Judiciaire de CHAUMONT, décision attaquée en date du 31 Juillet 2020, enregistrée sous le n° 18/00034

APPELANTE :

S.A.R.L. [Z], prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Fabien BLONDELOT de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de l’AUBE

INTIMÉS :

[W] [A] [M] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000411 du 19/02/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Dijon)

représentée par Me Isabelle GAMBINI, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE substituée par Me Aurelie VIRLOGEUX, avocat au barreau de DIJON

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Marne

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Mme [F] [J] (Chargée d’audience) en vertu d’un pouvoir général

[V] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Isabelle GAMBINI, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE substituée par Me Aurelie VIRLOGEUX, avocat au barreau de DIJON

[D] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Isabelle GAMBINI, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE substituée par Me Aurelie VIRLOGEUX, avocat au barreau de DIJON

[X] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Isabelle GAMBINI, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE substituée par Me Aurelie VIRLOGEUX, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Février 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [T] a été embauché le 25 novembre 2000 en tant que charpentier puis en tant que chef d’équipe niveau 4 par la société [Z] (la société).

Le 5 avril 2016, il est victime d’un accident du travail mortel suite à l’effondrement d’un mur sur le chantier sur lequel il travaillait.

Le caractère professionnel de l’accident a été reconnu par la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute- Marne (CPAM).

Mme [P], venant aux droits de M. [T], et agissant tant en son nom personnel qu’en représentation de leurs trois enfants mineurs, a saisi, le 8 mars 2018, la CPAM en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

En l’absence de conciliation avec la caisse, elle a saisi le tribunal des affaires sociales de la Haute-Marne qui, par décision en date du 31 juillet 2020, a dit que l’accident mortel du travail dont a été victime M. [T] est la conséquence d’une faute inexcusable de son employeur, la société [Z], et a fixé la majoration de la rente et les diverses indemnisations des ayants droits de M. [T].

La société a interjeté appel de cette décision et par acte du 31 mars 2021, elle a assigné en référé devant le premier président de la cour d’appel de Dijon, la CPAM de la Haute-Marne et Mme [G] [P] à titre personnel et ès-qualités de représentant de ses enfants mineurs, pour obtenir sur le fondement des dispositions des articles 524, 519 et 521 du code de procédure civile, l’arrêt de l’exécution provisoire prononcée par le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont.

Par ordonnance du 4 mai 2021, la première présidente de la cour de céans a arrêté l’exécution provisoire prononcée par le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont du 31 juillet 2020 (RG 18/034), laissé les dépens à la charge de la SARL [Z].

Dans le dernier état de ses conclusions reçues à la cour le 29 mars 2021 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la société demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu le 31 juillet 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont en toutes ses dispositions,

en conséquence,

– débouter Mme [P] et ses enfants [D], [V] et [X] [T] agissant en son nom personnel et ès-qualités de représentante légale de ceux-ci de l’ensemble de leurs demandes,

– ordonner le remboursement par la CPAM de la Haute-Marne de toute somme versée par la société [Z] en exécution du jugement rendu le 31 juillet 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont.

Par ses dernières écritures reçues à la cour le 28 septembre 2022 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débats, Mme [P] et ses enfants [D], [V] et [X] [T] demandent à la cour de :

– confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Chaumont du 31 juillet 2020,

en conséquence, juger qu’ils sont recevables et bien fondés en leurs demandes,

– constater que l’accident du travail subi par M. [H] [T] le 5 avril 2016 résulte d’une faute inexcusable de son employeur, la SARL [Z], résultant dans le manquement par cette dernière à son obligation de sécurité de résultat,

– en tirer toutes conséquences de droit, notamment en ce qui concerne la majoration des rentes qui leurs ont été servies par la CPAM,

– fixer la créance de M. [X] [T], pris en la personne de son représentant légal, à la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral, qui sera avancée par la CPAM de la Haute-Marne, en application de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale,

– fixer la créance de Mme [D] [T], prise en la personne de son représentant légal, à la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral, qui sera avancée par la CPAM de la Haute-Marne, en application de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale,

– fixer la créance de M. [V] [T], pris en la personne de son représentant légal, à la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral, qui sera avancée par la CPAM de la Haute-Marne, en application de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale,

– fixer la créance de Mme [G] [P] à la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral, qui sera avancée par la CPAM de la Haute-Marne, en application de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale,

– débouter la SARL [Z] de toutes demandes plus amples ou contraires,

– condamner la SARL [Z] prise en la personne de ses représentants légaux aux entiers dépens, qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.

Par ses dernières écritures reçues à la cour le 12 avril 2021 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM de la Haute-Marne demande à la cour de :

– constater qu’elle s’en remet à prudence de justice concernant l’existence de la faute inexcusable de l’employeur,

– dire et juger que les conséquences financières liées à la reconnaissance de la faute inexcusable seront supportées par la société [Z],

– condamner la société [Z] aux entiers dépens de l’instance.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS

– Sur la faute inexcusable

La société fait valoir essentiellement que :

– la société a été relaxée, par décision pénale en date du 11 avril 2017, du chef au manquement à une obligation de sécurité ou d’imprudence imposée par la loi ou par un réglement, concernant la mort accidentelle de M. [T], et en conclut que ce jugement a donc autorité de la chose jugée faisant obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable en raison de l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, (civ 2ème du 1er décembre 2022 pourvoi n° 2110773),

– elle soutient que le manquement concernant le mode de transmission de la mission ainsi que son mode opératoire n’est pas fondé puisque les instructions données, pour l’intervention du 5 avril 2016 sur le chantier, répondent aux exigences de l’article L 4121-2 du code du travail à savoir des intructions appropriées aux travailleurs et n’exigeant pas de consignes écrites,

– elle affirme qu’aucune conversation téléphonique n’a eu lieu entre le gérant de la société et M. [T] lors de l’intervention du 5 avril 2016 mais bien entre M. [T] et le propriétaire des lieux, M. [R], contrairement à ce que prétendent les premiers juges du fond en se basant sur les témoignages des deux salariés présents lors de l’accident, que le gérant de la société, M. [Z], a été induit en erreur par le propriétaire des lieux qui lui a fait croire que le mur avait été dérasé.

Elle conclut que sa faute ne peut être engagée et que les intimés peuvent agir en justice contre le propriétaire des lieux qui, pour des raisons économiques, n’a pas procédé à l’arasement du mur.

Les ayants droits de M. [T] soutiennent que le rapport de la DIRECCTE de [Localité 3] démontre un certain nombre de manquement qui permettent d’engager la responsabilité civile de l’employeur à savoir :

– l’absence de consignes écrites et précises quant au mode opératoire et aux mesures de prévention à mettre en oeuvre,

– l’absence de mesures de prévention existantes et de plan d’action dans le document unique d’évaluation des risques professionnels,

– l’absence de formation en qualité de chef d’équipe, bien que titulaire d’une délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité que M. [T] a signée le 18 mai 2011.

Ils concluent que l’employeur a donc manqué à ses obligations de sécurité et de prudence, à travers une organisation imprécise, laissant trop facilement la part à la seule expérience des salariés alors que les travaux habituellement réalisés sont de nature dangereuse, s’agissant notamment de travaux en hauteur.

Aux termes de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsqu’un accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droits ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Le manquement à cette obligation a le caractère de faute inexcusable au sens de l’article susvisé lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié, mais il suffit qu’elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.

Il incombe à celui qui s’en prévaut de rapporter la preuve de la faute inexcusable.

Il sera relevé à titre préliminaire que l’employeur a été relaxé, par décision pénale en date du 11 avril 2017, du chef au manquement à une obligation de sécurité ou d’imprudence imposée par la loi ou par un réglement, concernant la mort accidentelle de M. [T].

La société fait valoir que la décision de relaxe s’impose dans l’instance civile puisque les faits sont les mêmes.

Aux termes de l’article 4-1 du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 :

«L’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1383 du code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie.»

Par ailleurs, il est jugé au visa des articles 4-1 du code de procédure pénale et de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale que si le premier de ces textes permet au juge civil, en l’absence de faute pénale non intentionnelle, de retenir une faute inexcusable en application du second, l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attaché à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l’innocence de celui à qui le fait est imputé.

Le jugement du 11 avril 2017 caractérise l’absence de manquement dans les instructions données par la société à M. [T], estimant qu’elles étaient appropriées aux travailleurs selon les dispositions de l’article L 4121-2 du code du travai et prononce la relaxe sur l’absence de manquement à une obligation de sécurité ou d’imprudence imposée par la loi ou par un réglement, concernant la mort accidentelle de M. [T].

En effet, il a été relevé par le juge pénal que le mode opératoire des travaux était parfaitement connu de M. [T] puisque la mission a été établie de concert avec le gérant de la société, M. [T] et le propriétaire dès le 2 novembre 2015, »qu’il était évident lors de la reprise de chantier le 5 avril 2016 que les étais ne pouvaient pas être retirés si le mur n’était pas dérasé, sans quoi ceux-ci auraient été retirés dès la fin du chantier au mois de novembre 2015″, « que la fiche technique d’intervention établie la veille de l’accident du travail ne mentionne pas cette condition préalable (retrait des étais si mur dérasé) car, à l’évidence, M. [Z] et ses salariés étaient convaincus de ce que le mur avait été bien dérasé » et « Monsieur [T] qui était présent à la visite de chantier, lors des travaux de retrait de la toiture de la grange et qui a signé la proposition du 3 novernbre 2015 ne pouvait ignorer lors du chantier du 5 avril 2016 que le retrait des consoles n’interviendrait, qu’une fois le mur derasé » et « que le propriétaire de l’ouvrage n’a pu developper le contenu de sa longue discussion du 5 avril au matin, préalable aux travaux, discussion au terme de laquelle Monsieur [T] a été manifestement convaincu de procéder au retrait des étais, en dépit de ce qui avait été convenu. Il est probable que c’est cette discussion qui a conduit Monsieur [T] à procéder au retrait des étais ».

Ces motifs ainsi que les constatations matérielles du jugement pénal excluent le fait que l’employeur avait conscience d’un danger ainsi qu’un lien entre un comportement fautif de l’employeur et la survenue de l’accident.

Dès lors que ce qui a été définitivement jugé par le juge pénal forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, le jugement qui a reconnu l’existence d’une faute inexcusable de la part de la société [Z], doit être infirmé.

– Sur les autres demandes

La société demande d’ordonner le remboursement des sommes versées par la société auprès de la CPAM en exécution du jugement en date du 31 juillet 2020.

La CPAM indique qu’elle a versée la somme de 105 000 euros au titre des divers préjudices subis par les intimés, a procédé à la majoration de la rente dont la capitalisation s’élève à 380 411,01 euros et que ces deux sommes sont actuellement en cours de recouvrement auprès de l’assureur de la société.

Le remboursement d’une telle somme n’a pas a être ordonné dès lors qu’il résulte de la seule infirmation du jugement et ce en application des dispositions de l’article L.111-10 du code des procédures civiles d’exécution.

Mme [G] [P], M. [X] [T], Mme [D] [T] et M. [V] [T] supporteront les dépens d’appel.

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