AFFAIRE : N° RG 21/00800
N° Portalis DBVC-V-B7F-GWZD
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 19 Février 2021 – RG n° 18/00277
COUR D’APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRET DU 27 AVRIL 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. M.S.K. agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me GERY , substitué par Me BAVAY, de L’AARPI BOCHAMP, avocats au barreau de PARIS
INTIMEE :
URSSAF de Normandie venant aux droits de l’Urssaf de Basse-Normandie
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Mme [Y], mandatée
DEBATS : A l’audience publique du 09 février 2023, tenue par Monsieur LE BOURVELLEC, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GOULARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de Chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 27 avril 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l’appel régulièrement interjeté par la Sarl M.S.K. d’un jugement rendu le 19 février 2021 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l’opposant à l’Urssaf de Basse-Normandie, aux droits de laquelle vient l’Urssaf Normandie.
FAITS ET PROCEDURE
Le restaurant exploité par la société MSK (la société) sous l’enseigne commerciale ‘Le Palais d’émeraude’ à [Localité 1], a fait l’objet d’un contrôle inopiné par l’Urssaf de Basse-Normandie (‘l’Urssaf’), avec l’aide de la police aux frontières (PAF) le 6 avril 2017 dans le cadre de la recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé.
Dans le cadre de cette opération, les inspecteurs ont auditionné six personnes en situation de travail. Deux d’entre elles, Mme [H] et M. [P], n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche par la société et ne figuraient pas sur la dernière déclaration annuelle des données sociales.
Une lettre d’observations a été adressée par l’Urssaf à la société le 6 juin 2017, portant redressement pour la période du 16 mai 2016 au 30 avril 2017 pour un montant de 42 090 euros au titre de la régularisation relative aux cotisations et contributions, 16 836 euros au titre de la majoration de redressement complémentaire pour infraction de travail dissimulé, et 17 788 euros au titre de l’annulation des réductions générales de cotisations suite au constat de travail dissimulé.
La société a fait valoir ses observations par courrier du 6 juillet 2017, à la suite de quoi l’inspecteur l’a informée par courrier du 24 juillet 2017 qu’il maintenait le redressement.
Une mise en demeure a été adressée à la société le 14 août 2017 pour un montant de 80 623 euros, que la société a contestée devant la commission de recours amiable par saisine du 11 octobre 2017.
Par courrier du 7 novembre 2017, l’Urssaf a informé la société que la réponse aux observations des inspecteurs était irrégulière comme n’ayant pas été signée des deux inspecteurs, de sorte que la mise en demeure du 14 août 2017 était annulée et que le recours du 11 octobre 2017 devenait sans objet.
La réponse des inspecteurs a été régularisée le 30 octobre 2017 et une nouvelle mise en demeure a été adressée à la société le 13 décembre 2017, qui a saisi la commission de recours amiable pour la contester.
La société a ensuite saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale le 10 avril 2018 de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Lors de sa séance du 15 mai 2018, la commission de recours amiable a rejeté le recours de la société.
Par jugement du 19 février 2021, le tribunal judiciaire de Caen, auquel le contentieux de la sécurité sociale a été transféré à compter du 1er janvier 2019, a :
– débouté la société de toutes ses prétentions,
– confirmé la décision de la commission de recours amiable du 15 mai 2018 en ce qu’elle a maintenu le redressement opéré par l’Urssaf suivant la lettre d’observations du 6 juin 2017, portant sur la période allant du 16 mai 2016 au 30 avril 2017, pour travail dissimulé,
– validé la mise en demeure de l’Urssaf du 13 décembre 2017 d’un montant de 80 623 euros,
– condamné en conséquence la société à payer à l’Urssaf la somme de 80 623 euros au titre d’un redressement, outre les majorations de retard restant à calculer jusqu’à complet paiement du principal,
– débouté la société de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société aux dépens.
La société a formé appel de ce jugement par déclaration du 22 mars 2021.
Aux termes de ses conclusions déposées le 2 février 2023, soutenues oralement par son conseil, la société demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– confirmé la décision de la commission de recours amiable du 15 mai 2018 en ce qu’elle a maintenu le redressement opéré par l’Urssaf suivant la lettre d’observations du 6 juin 2017, portant sur la période allant du 16 mai 2016 au 30 avril 2017, pour travail dissimulé,
– validé la mise en demeure de l’Urssaf du 13 décembre 2017 d’un montant de 80 623 euros,
– condamné en conséquence la société à payer à l’Urssaf la somme de 80 623 euros au titre d’un redressement, outre les majorations de retard restant à calculer jusqu’à complet paiement du principal,
Statuant à nouveau,
– ordonner la rectification de l’assiette de cotisations et contributions sociales calculées par l’Urssaf, afin de déterminer le montant desdites cotisations et majorations réellement dues au regard de la situation des salariés et rectifier en conséquence la mise en demeure notifiée à la société,
– ordonner la rectification du montant de la majoration complémentaire pour infraction de travail dissimulé pour tenir compte du montant rectifié des cotisations et majorations réellement dues par la société,
– dire que chacune des parties conservera les frais irrépétibles de la présente instance.
Par écritures déposées le 31 janvier 2023, soutenues oralement par sa représentante, l’Urssaf Normandie, venant aux droits de l’Urssaf de Basse-Normandie, demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– rejeter les entières demandes de la société.
Pour l’exposé complet des prétentions et des moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures.
MOTIFS
– Sur la contestation du montant du redressement de la société du chef de travail dissimulé
Par observations orales formulées à l’audience, la société indique ne pas contester la réalité du travail dissimulé, ni le principe du redressement, mais remettre en cause l’assiette de rémunérations retenue pour le recouvrement dont elle fait l’objet.
1° – Sur la régularité des auditions et du redressement
La société fait valoir que les calculs opérés par l’Urssaf se fondent exclusivement sur les informations qui auraient été fournies par M. [P] et Mme [H] auprès des policiers de la PAF lors de leur audition du 6 avril 2017. Elle soutient que ces auditions sont irrégulières, de quoi elle conclut à la nullité des procès-verbaux y afférents.
L’Urssaf rétorque que les deux auditions sont régulières, et subsidiairement que l’éventuelle irrégularité de l’une des auditions ne saurait entraîner la nullité de l’ensemble de la procédure.
Il ressort du dossier que M. [P] et Mme [H] ont été auditionnés le 6 avril 2017 par un officier de police judiciaire, avec l’assistance téléphonique d’un interprète en langue chinoise.
L’article D594-16 du code de procédure pénale, en sa version applicable, dispose :
Lorsqu’en application des dispositions du présent code un interprète ou un traducteur est requis ou désigné par l’autorité judiciaire compétente, celui-ci est choisi :
1° Sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par le bureau de la Cour de cassation, ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel ;
2° A défaut, sur la liste des interprètes traducteurs prévue par l’article R. 111-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
3° En cas de nécessité, il peut être désigné une personne majeure ne figurant sur aucune de ces listes, dès lors que l’interprète ou le traducteur n’est pas choisi parmi les enquêteurs, les magistrats ou les greffiers chargés du dossier, les parties ou les témoins.
Les interprètes ou les traducteurs ne figurant sur aucune des listes mentionnées au 1° ou au 2° prêtent, chaque fois qu’ils sont commis, le serment d’apporter leur concours à la justice en leur honneur et leur conscience. Leur serment est alors consigné par procès-verbal.
Il est justifié que M. [P] a été auditionné avec l’assistance de Mme [S] [T], cuisinière en restauration, qui a prêté serment par écrit le 6 avril 2017, lequel a été consigné au procès-verbal. Il en résulte que l’audition de M. [P] est régulière.
L’audition de Mme [H] est intervenue après que Mme [O] [F] ait été réquisitionnée par les services de police le 6 avril 2017 pour assurer l’interprétariat en langue chinoise. Sa prestation de serment n’est pas versée aux débats.
Il en ressort que la preuve n’est pas rapportée que Mme [H] a bénéficié de l’assistance d’un interprète habilité pour ce faire lors de son audition.
Il est cependant constant que cette irrégularité ne peut entraîner l’annulation du redressement et qu’il appartient à la juridiction de rechercher si le redressement litigieux n’était pas suffisamment fondé sur les autres éléments invoqués par l’Urssaf.
Or, M. [P] a déclaré, lors de son audition, que :
– son salaire mensuel est de 1 300 euros, il commence à 10 heures et termine à 21h30 tous les jours sauf une journée de repos,
– il n’a ‘aucune vacances’,
– il est payé ‘toujours en espèces’,
– ‘le patron, M. [B], est venu chercher ma copine sur [Localité 5] et moi je suis venu en train d’où le billet trouvé’.
Par ailleurs, l’Urssaf produit l’audition de Mme [B] épouse [B], gérante de la société, en date du 30 octobre 2017, dont la régularité n’est pas contestée.
Mme [B] déclare au sujet de M. [P] et Mme [H] :
‘J’ai trouvé le Monsieur sur un site d’annonces chinois en France […] et comme il voulait que sa femme soit là j’ai pris les deux.
Le Monsieur qui était aide cuisinier je le payais 1 300 euros en espèces tous les mois et la femme qui faisait la plonge et le ménage au début je ne la payais pas car elle voulait absolument rester et faire des choses alors qu’il n’y avait rien à faire. Je l’ai payée deux ou trois mois à la fin 1 000 euros par mois.
Je précise qu’ils n’étaient même pas à 35 heures, qu’ils avaient logement gratuit ainsi que la nourriture’
Mme [B] et son époux, M. [B], précisent tous deux que M. [P] et Mme [H] travaillaient dans leur restaurant depuis mai 2016 et ils ont reconnu avoir connaissance de la situation irrégulière de ceux-ci. M. [B] a reconnu par ailleurs avoir remis de l’argent sous enveloppes à M. [P] et Mme [H].
Il apparaît ainsi que l’Urssaf produit des éléments de nature à justifier le redressement réalisé, sans que la nullité de celui-ci soit encourue du seul fait que l’audition de Mme [H] était irrégulière.
Il n’y a en conséquence pas lieu d’annuler le redressement litigieux.
L’ensemble de ces éléments démontre que les salariés concernés, non déclarés, étaient, au moment du contrôle, en tenue de travail , occupés à cuisiner et à faire le service, ce dont il résulte une présomption de salariat.
Il résulte également de l’absence de déclaration sociale des salariés en cause, qu’ils n’étaient pas couverts contre le risque d’accident du travail et que l’employeur a procédé à une rétention de précompte, faits constitutifs d’une situation de travail dissimulé par dissimulation d’emploi.
Il convient de rappeler que l’employeur ne conteste pas la situation de travail dissimulé, mais le chiffrage du redressement consécutif.
2°- Sur le chiffrage du redressement
Le calcul opéré par l’Urssaf est certes fondé sur l’audition des deux salariés en situation irrégulière, M. [P] et Mme [H], mais aussi sur celle des gérants du restaurant, M. et Mme [B], dont les termes ont été rappelés plus haut.
Il convient de souligner que nonobstant l’irrégularité de l’audition de Mme [H], et donc de ce que cette audition ne peut être prise en compte pour le calcul de l’assiette du redressement, l’audition de M. [P], et celles des gérants de la société confirment la base de calcul retenue par l’Urssaf.
Pour contester celle-ci, la société produit les attestations de trois salariés, qui indiquent que M. [P] et Mme [H] venaient au restaurant vers 13 heures / 13h30, parfois plus tôt, pour prendre leur repas, avant de repartir une fois leurs tâches terminées. Ils ajoutent que les deux salariés revenaient ensuite vers 21 heures, ou plus tôt pour dîner, et quittaient le restaurant vers 23 heures.
Force est cependant de constater que les officiers de police judiciaire, dans leur procès-verbal du 6 avril 2017, mentionnent qu’à 12h30 ce même jour, ils constatent ‘la présence dans les cuisines d’une femme et d’un homme non munis d’autorisations de travail et non déclarés’. Ils ajoutent que ces deux personnes ‘s’affèrent en cuisine.’
Il en résulte que les témoignages des trois salariés sont contredits par les constatations effectuées par les officiers de police judiciaire, en présence des inspecteurs de l’Urssaf.
Ils sont également contredits par les déclarations de M. [P] lors de son audition, aux termes desquelles il commençait ‘à 10 heures et terminait à 21h30 tous les jours sauf une journée de repos’.
L’attestation de l’expert comptable de la société, relative aux ratios de charges de personnel et au chiffre d’affaires hors taxes de la société, et qui a donc trait à des considérations générales, n’apporte pas la preuve contraire des horaires de travail de M. [P] et Mme [H], tels que résultant des constatations réalisées lors du contrôle et de l’audition du salarié non déclaré.
Il doit être noté que dans leurs témoignages, les trois salariés mentionnent que M. [P] et Mme [H] arrivaient ensemble et repartaient ensemble, au motif qu’ils étaient un couple. Considérant dès lors que M. [P], lors de son audition régulière, indiquait arriver à 10h00 et repartir à 23 heures tous les jours, il doit en être conclu que Mme [H] partageait les mêmes horaires de travail, ce que corrobore sa présence à 12h30 en cuisine le jour du contrôle.
Les développements de la société quant à la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires sont hors de propos, puisque le présent contentieux porte sur l’assiette de calcul du redressement de l’Urssaf et non sur une demande de paiement d’heures supplémentaires formée par un salarié devant la juridiction prud’homale.
3°- Sur la contestation du montant de la réintégration des indemnités compensatrices de congés payés de deux salariés non déclarés
La société estime que le calcul des indemnités compensatrices de congés payés a été surévalué en raison de la surévaluation du nombre d’heures réalisées par les deux salariés.
La preuve a cependant été rapportée par l’Urssaf de ce que l’assiette de calcul du redressement était fondée. Dès lors, les indemnités compensatrices de congés payés, correspondant au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence ont été
calculées conformément aux dispositions en vigueur. Il en est de même du calcul de la majoration de redressement complémentaire pour infraction de travail dissimulé par application d’un taux de 40 % en vigueur au moment où les faits de travail dissimulé ont été établis à l’égard de plusieurs personnes.
Les autres calculs ne font l’objet d’aucune contestation, notamment en ce que l’Urssaf a, à bon droit, réintégré dans l’assiette des cotisations et contributions les sommes versées et l’avantage en nature nourriture, les majorations de salaire afférentes aux heures supplémentaires.
Le redressement n’est pas discuté en ce que les inspecteurs ont procédé à l’annulation de la réduction générale pratiquée par la société sur les périodes où le travail dissimulé a été constaté.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
– Sur les dépens
Succombante, la société sera condamné aux dépens d’appel.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné la société aux dépens de première instance et l’a déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.