COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 27 AVRIL 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/03884 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MGLR
CPAM DE LA DORDOGNE
c/
Monsieur [L] [U]
CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE MALADIE
DIRECTION REGIONALE DU SERVICE MEDICAL NOUVELLE AQUITAINE
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 juin 2021 (R.G. n°20/00010) par le Pole social du TJ de PERIGUEUX, suivant déclarations d’appel des 05 et 9 juillet 2021.
Jonction par mention au dossier du RG 21/4026 au RG 21/02884.
APPELANTE :
CPAM DE LA DORDOGNE agissant en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]
représentée par Me MAZEROLLE substituant Me Max BARDET de la SELARL BARDET & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Monsieur [L] [U]
né le 15 Décembre 1961 à [Localité 3]
de nationalité Française
Profession : Médecin, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me BERTRANDON substituant Me Emma BARRET de la SELARL BARRET-BERTRANDON-JAMOT-MALBEC-TAILHADES, avocat au barreau de PERIGUEUX
INTERVENANTE FORCEE :
CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE MALADIE
Direction Régionale du Service Médical Nouvelle Aquitaine prise en la personne de son repésentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]
représentée par Me Matthieu CHAUVET, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 15 février 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président,
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
en présence de Monsieur Bertrand MAUMONT, mégistrat détaché en stage à la Cour d’appel de BORDEAUX
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Exposé du litige
A compter du 15 octobre 2005, M. [U] a exercé les fonctions de médecin conseil au sein de l’échelon local du service médical de l’assurance maladie de la Dordogne.
Le 11 juin 2019, M. [U] a été convoqué à un entretien en présence d’autres salariés et des supérieurs hiérarchiques.
Lors de l’entretien du 12 juin 2019, M. [U] a été invité à présenter ses observations sur une fuite de diagnostic d’une assurée.
Le 14 juin 2019, la caisse nationale d’assurance maladie a complété une déclaration d’accident du travail survenu le 12 juin 2019 dans les termes suivants : ‘suite à une convocation à une réunion avec mise en cause de l’honneur et de la probité non fondée et démentie ensuite, angoisse majeure’.
Le certificat médical initial, établi le 14 juin 2019, mentionnait : ‘stress post traumatique’.
Par décision du 3 septembre 2019, la caisse primaire d’assurance maladie de Dordogne (la caisse) a refusé de prendre en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.
Le 7 octobre 2019, M. [U] a saisi la commission de recours amiable de la caisse.
Le 2 janvier 2020, M. [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Périgueux aux fins de contester la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par décision du 9 juillet 2020, la commission de recours amiable a refusé la prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle.
Le 8 septembre 2020, M. [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Périgueux aux fins de contester la décision explicite de rejet de la commission de recours amiable et de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de son accident.
Par jugement du 10 juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Périgueux a :
– ordonné la jonction du dossier 20/00212 au dossier 20/0010 et dit qu’il sera statué sous ce seul et unique numéro,
– reçu M. [U] en son recours contre la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne du 9 juillet 2020,
– dit que les faits du 12 juin 2019 sont bien constitutifs d’un accident du travail et que le syndrome post-traumatique doit être pris en charge à ce titre,
– renvoyé M. [U] vers la caisse d’assurance maladie de la Dordogne pour être rempli de ses droits dans le cadre juridique ainsi défini,
– dit n’y avoir lieu à expertise,
– dit que l’accident du travail reconnu ne relève pas de la faute inexcusable de l’employeur et a débouté M. [U] de ce chef,
– condamné la caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne à payer à M. [U] une indemnité de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par déclaration du 5 juillet 2021, la caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne a relevé appel de ce jugement.
Par déclaration du 9 juillet 2021, M. [U] a relevé appel de ce jugement.
Par mention au dossier du 22 septembre 2022, le magistrat chargé d’instruire l’affaire a joint l’affaire RG 21/4026 au dossier n° RG 21/3884.
Aux termes de ses dernières conclusions du 9 février 2023, la caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne sollicite de la Cour qu’elle :
– infirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que les faits du 12 juin 2019 étaient bien constitutifs d’un accident du travail et que le syndrome post-traumatique devait être pris en charge au titre de la législation professionnelle,
– déboute M. [U] de l’intégralité de ses demandes,
Subsidiairement,
– donne acte à M. [U] que son action en reconnaissance de faute inexcusable est dirigée à l’encontre de la DRSM Nouvelle Aquitaine, son employeur,
– ordonne la mise hors de cause de la caisse sur ce point,
– déclare M. [U] irrecevable en sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable,
– déboute M. [U] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable et de toutes plus amples demandes dirigées à l’encontre de la caisse,
A titre infiniment subsidiaire,
– confirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que l’accident du travail reconnu ne relevait pas de la faute inexcusable de l’employeur,
– déboute M. [U] des demandes formées de ce chef,
A titre très infiniment subsidiaire, si le caractère professionnel des faits était reconnu et l’action de M. [U] jugée recevable,
– donne acte à la caisse de ce qu’elle s’en remet à l’appréciation de la Cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable et sur la désignation d’un expert médical afin de procéder à l’examen de M. [U] et d’en évaluer les préjudices subis,
En tout état de cause,
– déboute M. [U] de ses demandes, en ce compris de condamnation aux dépens et d’indemnisation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne M. [U] à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions enregistrées le 23 septembre 2022, M. [U] demande à la Cour de :
– déclarer recevable et bien fondé son appel partiel interjeté contre le jugement rendu le 10 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Périgueux,
– dire et juger recevable l’appel en cause diligenté par M. [U] à l’encontre de la Drsm Nouvelle Aquitaine,
– ordonner la jonction avec le dossier principal enrôlé sous le numéro RG 21/04026,
Y faisant droit,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a reconnu l’accident du travail,
– dire que les faits du 12 juin 2019 sont bien constitutifs d’un accident du travail et que le syndrome post-traumatique subi par M. [U] doit être pris en charge à ce titre,
– infirmer partiellement le jugement déféré et, statuant à nouveau,
– dire que l’accident du travail reconnu relève de la faute inexcusable de l’employeur, la Drsm Nouvelle Aquitaine,
– faire droit à la demande d’expertise de M. [U],
– condamner la Drsm Nouvelle Aquitaine et la caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne à payer in solidum à M. [U] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre tous les dépens.
Appelée devant la cour en intervention forcée par M. [U], la caisse nationale d’assurance maladie et la direction régionale du service médical (DRSM) Nouvelle Aquitaine, ont remis des conclusions au greffe le 13 février 2023 par lesquelles elles concluent à la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et à sa réformation en ce qu’il a dit que les faits survenus le 12 juin 2019 étaient constitutifs d’un accident du travail. Elles sollicitent, sur ce dernier point, le rejet des demandes de M. [U] et la condamnation de celui-ci à payer à la DRSM la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l’action à l’encontre de la DRSM et de la CNAM
Faisant valoir que leur mise en cause par une intervention forcée provoquée pour la premier fois en cause d’appel par M. [U] alors que le litige n’avait pas évolué et que ce dernier disposait dés la première instance des éléments dont il se prévaut devant la cour, la DRSM et la CNAM opposent une fin de non recevoir à l’action de M. [U] à leur encontre par application des articles 554 et 555 du code de procédure civile.
Selon l’article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
L’article 555 du dit code prévoit que ces mêmes personnes peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l’évolution du litige implique leur mise en cause.
L’évolution du litige implique l’existence d’un élément nouveau, révélé par le jugement ou survenu postérieurement à celui-ci et impliquant la mise en cause.
L’évolution du litige s’apprécie à la date de la clôture des débats de première instance.
Peut provoquer une évolution du litige au sens de l’art 555 la modification en appel de la vision juridique des faits ou la modification de la position juridique d’une partie.
En l’espèce, la caisse a accepté devant le tribunal de représenter l’employeur de M. [U] qui est la DRSM dépendant de la CNAM. Devant la cour, la caisse dénie sa qualité d’employeur au profit de la DRSM et sollicite sa mise hors de cause. La DRSM appelée en intervention forcée en cause d’appel reconnaît sa qualité d’employeur.
Il en résulte que la caisse a modifié sa position juridique ce qui a été de nature à faire évoluer le litige.
L’intervention forcée sera, en conséquence, déclarée recevable.
Sur la reconnaissance d’un accident du travail
En application de l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme un accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
L’existence d’un accident du travail est subordonnée à une lésion soudaine apparue au temps et sur le lieu du travail. Lorsque la lésion est d’ordre psychique ou psychologique,
elle doit résulter d’une brusque altération des facultés mentales du salarié en relation avec un événement soudain.
La présomption d’imputabilité énoncée à l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale n’est acquise que si les lésions ont été constatées dans un temps voisin de l’accident.
A défaut, il incombe à l’assurée de rapporter la preuve que la lésion constatée dans le certificat médical initial a un lien direct avec l’accident.
En l’espèce, la caisse a diligenté une enquête sur les circonstances de l’accident confiée à un agent assermenté.
Il en ressort que M. [U] a été convoqué par courriel du 11 juin 2019 en vue de participer avec deux techniciennes du service médical à une réunion organisée le lendemain par le docteur [V], médecin chef du service médical, ‘ suite à un problème sur les données sensibles’.
La réunion s’est tenue en présence des personnes suivantes :
– le docteur [E], directrice régionale de la DRSM
– le docteur [V], médecin chef,
– le docteur [C], médecin conseil,
-le docteur [U], médecin conseil et les deux techniciennes, Mme [G] et [B]
– Mme [H] et le docteur [J], représentants du personnel.
L’objet de la réunion était de vérifier si un membre du service était à l’origine d’une intrusion dans le dossier numérisé d’une assurée qui s’était plainte d’une divulgation de ses données médicales. La réunion a duré 30 minutes environ et le docteur [V] a clôt la réunion après avoir constaté en consultant le logiciel de gestion du service médical que les interventions du docteur [U] et des deux techniciennes étaient justifiées.
Selon les éléments recueillis lors de l’enquête :
– les participants n’ont pas fait état d’agression verbale ou de propos discourtois au cours de l’entretien,
– les personnes convoquées et les représentants du personnel ont relevé un climat d’accusation permanent,
– l’encadrement indique avoir respecté la procédure dans un tel cas,
– le docteur [V] a, cependant reconnu, ne pas avoir procédé à une vérification préalable du dossier avant de convoquer les personnes.
Pour s’opposer à la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident déclaré par M. [U], la DRSM fait valoir d’une part, qu’aucun événement soudain n’a été constaté au cours de la réunion qui a, au contraire, permis de mettre hors de cause le médecin conseil et les deux techniciennes comme l’a confirmé le Docteur [E] dans un courrier du 17 juin 2019 adressé aux intéressés et d’autre part, que la lésion a été constatée plus de 24 heures après le délai légal de l’article R 441-2 du code de la sécurité sociale.
Les déclarations des personnes entendues au cours de l’enquête sont concordantes sur le fait que le docteur [V] a introduit la réunion en indiquant qu’il y avait eu une intrusion dans le dossier médical de l’assurée et que le docteur [U] et les deux techniciennes étaient désignés comme les responsables éventuels de cette intrusion. Les trois intéressés en situation de stress prononcé depuis la veille en l’absence d’explications sur les motifs de la convocation étaient, certes, soulagés, lorsque la directrice régionale les a mis hors de cause, mais étaient encore sous le choc de ce qui s’était passé à l’issue de la réunion. Le docteur [U] exprimait, à cet égard, la gravité de la situation qu’il avait vécue en relevant qu’en tant qu’ancien membre du conseil de l’ordre il savait qu’il encourait un licenciement pour faute lourde pour les faits qui étaient allégués.
Le certificat médical initial établi le 14 juin 2019 ne peut-être considéré comme tardif au regard de la nature de la lésion dont a été victime le docteur [U] (un stress post traumatique), du contexte de la survenance de la lésion concernant un médecin conseil au sein de la caisse primaire d’assurance maladie et des témoignages des représentants du personnel faisant état de la situation de stress du mis en cause avant et après la réunion.
La cour retient, en conséquence, l’existence d’un événement soudain caractérisé par le tenue d’une réunion susceptible de revêtir un caractère pré disciplinaire organisée en urgence qui a causé un stress post traumatique au temps et au lieu du travail.
Le fait que la réunion ait permis, en définitive, de le mettre hors de cause est sans incidence sur la réalité de la lésion de M. [U].
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont reconnu l’existence d’un accident du travail.
Sur la reconnaissance de la faute inexcusable
Le manquement à l’obligation de sécurité et de la protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le salarié, en vertu des articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail, a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La faute commise par l’employeur doit être une cause nécessaire de l’accident et non déterminante. La preuve de l’existence d’un danger et de l’absence de mesures préventives incombe à celui qui allègue la faute inexcusable.
En l’espèce, l’encadrement du service médical a organisé une réunion institutionnelle pour régler une situation susceptible de mettre en cause la responsabilité des agents. Ceux-ci étaient assistés par des représentants du personnel. La réunion qui s’est déroulée dans un climat respectueux a permis aux agents de s’expliquer et d’être rapidement mis hors de cause au vu de ces explications. Compte tenu de l’expérience professionnelle du docteur [U] âgé de 58 ans, l’employeur n’avait pas ou n’aurait pas du avoir conscience du danger auquel cette réunion exposait la victime de l’accident du travail.
Dés lors, le premier juge en a exactement déduit que la preuve de la faute inexcusable n’était pas rapportée.
Le jugement sera, en conséquence, confirmé en toutes ses dispositions.
Tenues aux dépens, la CNAM et la DRSM verseront à M. [U] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.