COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 27 AVRIL 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/00190 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L4C6
Société [2]
c/
CPAM DE LA DORDOGNE
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 décembre 2020 (R.G. n°18/00105) par le Pôle social du TJ de PERIGUEUX, suivant déclaration d’appel du 08 janvier 2021.
APPELANTE :
Société [2], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 3]
représentée par Me Géraud GELLEE substituant Me Julie HAZART de la SELARL TESSARES AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
CPAM DE LA DORDOGNE, prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social
Assurée : Mme [S] [O]
[Adresse 1]
dispensée de comparution
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 février 2023, en audience publique, devant Madame Marie-Paule MENU, Présidente chargée d’instruire l’affaire, qui a retenu l’affaire
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente
Madame Sophie Lésineau, conseillère
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Evelyne GOMBAUD,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
FAITS ET PROCEDURE
La société [2] (la société) emploie Mme [O] en qualité d’opératrice.
Le 19 septembre 2017, la société a établi une déclaration d’accident du travail établie dans les termes suivants : ‘ au vestiaire, en enlevant ses chaussures de sécurité ; douleurs vives, dos bloqué ‘.
Le certificat médical initial, établi le 18 septembre 2017, mentionne un lumbago aigu.
Le 19 octobre 2017, la société a émis des réserves.
Le 29 novembre 2017, la caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne (la caisse) a informé l’employeur de la réception par ses services d’un certificat médical mentionnant une nouvelle lésion et de la nécessité de procéder à une instruction pour lui permettre de se prononcer sur son rattachement à l’accident du 18 septembre 2017.
Par décisions du 14 décembre 2017, la caisse a informé la société de la prise en charge de l’accident au titre des risques professionnels et du rattachement de la nouvelle lésion
au sinistre survenu le 18 septembre 2017.
Le 26 janvier 2018, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse aux fins de contestation de cette décision.
En l’absence de réponse, la société a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale de la Dordogne par un courrier recommandé du 7 mars 2018.
Par décision du 14 avril 2018, la commission de recours amiable de la caisse a rejeté le recours intenté.
Par jugement du 17 décembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Périgueux a débouté la société de l’ensemble des ses demandes et l’a condamnée aux dépens.
Par déclaration du 11 janvier 2021, la société a relevé appel de ce jugement.
L’affaire a été fixée à l’audience du 9 février 2023, pour être plaidée.
PRETENTIONS ET MOYENS
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 27 juin 2022, la société demande à la cour de:
– déclarer l’appel de la société recevable et bien-fondé et réformer l’intégralité des dispositions du jugement du tribunal judiciaire de Périgueux du 17 décembre 2020
Par conséquent,
A titre principal :
– constater que la caisse ne rapporte pas la preuve de la survenance d’un mécanisme accidentel au 18 septembre 2017
– constater que le mécanisme accidentel en lui-même est curieux car Mme [O] aurait ressenti une douleur au dos en enlevant ses chaussures de sécurité, sans pour autant indiquer avoir fourni un effort violent ou avoir subi un choc
– constater au demeurant que l’employeur a souligné l’existence d’un état pathologique préexistant sans rapport avec le travail
– constater que le fait accidentel allégué par l’assurée ne remplissait pas les conditions fixées par la jurisprudence et l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale
– constater que dans ses rapports avec l’employeur, la caisse n’a pas apporté la preuve formelle de la survenance du fait accidentel litigieux
Au constat de la violation des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale,
– dire inopposable à la société la décision de prise en charge de l’accident du 18 septembre 2017 de Mme [O]
A titre subsidiaire :
– constater que dès la déclaration d’accident, Mme [O] n’a pas fait état d’un quelconque problème de conditions de travail (effort ou choc),
– constater que le médecin consulté par Mme [O] avait d’abord diagnostiqué un simple lumbago
– constater que le 20 novembre 2017, Mme [O] s’est vue diagnostiquer une hernie discale L5S1 reconnue comme imputable au prétendu accident du 18 septembre 2017
– constater que compte tenu du mécanisme accidentel (se baisser pour enlever ses chaussures), il est impossible de considérer un quelconque lien avec une hernie discale
– dire que seule une cause totalement étrangère au travail, à savoir ses problèmes d’état antérieur, est à même d’expliquer la survenance des lésions dont Mme [O] a été victime
– dire que les lésions liées à un état antérieur évoluant pour son propre compte et n’ayant aucun lien avec l’accident du travail ne peuvent être prises en charge au titre de la législation sur le risque professionnel
– dire par conséquent la décision de la caisse de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l’accident du 18 septembre 2017 de Mme [O] inopposable à l’égard de la société,
A titre très subsidiaire,
– constater qu’il existe un différend d’ordre médical portant sur l’imputabilité des soins et arrêts de travail faisant suite à l’accident déclaré par Mme [O]
En conséquence,
– ordonner une expertise médicale judiciaire, le litige intéressant les seuls rapports caisse primaire/employeur, afin de vérifier la justification des soins et arrêts de travail pris en charge par l’organisme de sécurité sociale au titre de l’accident de travail
– nommer tel expert avec pour mission, après s’être fait communiquer l’intégralités des pièces médicales et administratives du dossier par la caisse ou par tout tiers susceptible de les détenir, et avoir dûment convoqué les parties, de prendre connaissance de l’entier dossier médical de Mme [O] établi par la caisse, déterminer exactement les lésions initiales imputables à l’accident du 18 septembre 2017 déclaré par Mme [O] , fixer la durée des arrêts de travail en relation directe et exclusive avec l’accident en cause, en tout état de cause déterminer si à la nouvelle date de consolidation que l’expert aura fixée, l’état de l’assurée laissait subsister des séquelles imputables aux lésions initialement prises en charge
– renvoyer l’affaire à une audience ultérieure pour qu’il soit débattu du contenu du rapport d’expertise,
– dire inopposables à l’égard de la société les prestations servies n’ayant pas de lien direct, certain et exclusif avec l’accident du 18 septembre 2017 déclaré par Mme [O].
La société fait valoir en substance :
– la preuve de la survenance d’un fait accidentel le 18 septembre 2017 n’est pas rapportée
en l’absence de témoin, d’un effort violent, ainsi d’un port de charges lourdes, ou d’un choc, en présence à l’inverse d’une hernie discale sans lien avec un fait traumatique, en ce que le fait de se déchausser n’a aucun lien avec le travail d’opératrice de la salariée
– l’existence d’une hernie discale révélée par une irm réalisée au mois d’octobre 2017, que le mécanisme lésionnel décrit par la salariée n’est pas de nature à avoir entraîner, et le diagnostic posé le 20 octobre 2017 de complications au niveau des cervicales, que la caisse a refusé de prendre au charge au titre de l’accident, laissent penser que seule une cause totalement étrangère au travail, singulièrement un état pathologique antérieur, est à même d’expliquer la survenance des lésions survenues le 18 septembre 2017, de plus fort en l’absence de doléances de la part de Mme [O] sur ses conditions de travail
– le fait de se déchausser ne peut pas avoir eu pour effet de provoquer la hernie discale diagnostiquée le 20 novembre 2017
– il se déduit de la disproportion entre la durée de l’arrêt de travail délivré le 18 septembre 2017, singulièrement six jours, et la durée totale de la période pendant laquelle la salariée a été arrêtée, singulièrement 713 jours – au titre de l’accident jusqu’au 7 juin 2018 puis au titre de la maladie jusqu’au 31 août 2019-, et des conclusions du médecin dont elle a requis l’avis suivant lequel le tableau est celui d’une lombalgie survenue à la suite d’un mouvement minime qui peut avoir dolorisé un état antérieur et peut justifier un arrêt de travail jusqu’au 18 décembre 2017, l’existence d’un état pathologique antérieur, à tout le moins d’un différend d’ordre médical justifiant la mise en place d’une mesure d’instruction.
Aux termes de ses dernières conclusions, en date du 15 décembre 2022, la caisse demande à la Cour de :
– confirmer le jugement rendu le 17 décembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de la Dordogne ayant débouté la société de l’ensemble de ses demandes
– confirmer l’opposabilité à la société de la décision de prise en charge au titre des risques professionnels de l’accident dont a été victime Mme [O] le 18 septembre 2017 et de la nouvelle lésion du 20 novembre 2017 en lien avec l’accident initial
– confirmer l’imputabilité des soins et arrêts de travail à l’accident du travail dont a été victime Mme [O] le 18 septembre 2017, et donc leur opposabilité à la société.
La caisse fait valoir en substance :
– le sinistre est survenu au temps et au lieu de travail; la lésion a été constatée le même jour; les réserves formulées par l’employeur tenant uniquement à l’absence de témoin et à la disproportion entre le fait de se déchausser et la lésion diagnostiquée sont insuffisantes pour renverser la présomption de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale ; s’il invoque l’existence d’une pathologie indépendante, l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que la lésion constatée le 18 septembre 2017 est sans lien avec le mouvement effectué par la salariée
– le médecin conseil a conclu que la hernie discale L4L5 constatée le 20 novembre 2017 étant en lien direct avec le lumbago est imputable à l’accident survenue le 18 septembre 2017 ; l’employeur n’apporte aucun élément médical de nature à le remettre en cause
– l’employeur qui ne rapporte pas la preuve de l’existence de l’état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte échoue à renverser la présomption d’imputabilité qui s’attache aux arrêts de travail délivrés et aux soins prescrits jusqu’à la consilidation.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises sur l’audience.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, la Cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les ‘dire et juger’ et les ‘constater’ ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi. En conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
L’appel interjeté dans les formes et délai requis est recevable.
I- Sur la reconnaissance de l’accident du travail
En application de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme un accident du travail, qu’elle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
L’accident du travail est caractérisé par la survenance d’un fait accidentel en relation avec le travail ayant provoqué une lésion et suppose l’existence d’un fait ou d’un ensemble de faits précis survenus soudainement, soit un événement daté et soudain, pouvant être déterminé et objectivé. La lésion peut être physique mais également d’ordre psychique ou psychologique.
Il appartient à la caisse dans ses rapports avec l’employeur de rapporter la preuve de la matérialité de l’accident du travail et à l’employeur qui conteste la décision de prise en charge de détruire la présomption d’imputabilité qui s’attache à toute lésion survenue brusquement au temps et au lieu de travail, en apportant la preuve que cette lésion a une cause totalement étrangère au travail, ce dont il résulte que les développements de la société sur l’absence de lien direct avec le travail habituel de la salariée sont inopérants.
La matérialité de l’accident peut être rapportée même en l’absence de témoin dès lorsqu’il existe un ensemble de présomptions sérieuses, graves et concordantes corroborant les déclarations du salarié. La constatation médicale des lésions dans un temps proche de l’accident concourt à l’existence de ces présomptions.
Pour confirmer la décision déférée dans ses dispositions qui jugent opposable à l’employeur la décision de la caisse de prendre en charge la lésion diagnostiquée à Mme [O] le 18 septembre 2017 au titre de la législation sur les risques professionnels, il suffira de relever que l’employeur a renseigné le 19 septembre 2017 une déclaration pour un accident survenu la veille à 16h15, à savoir l’apparition de douleurs vives et le dos bloqué alors que la salariée, opératrice, enlevait ses chaussures dans le vestiaire, soit au temps et au lieu de travail, peu important dans ces conditions l’absence de choc, que Mme [O] n’ait pas porté de charges lourdes et/ou qu’elle n’ait pas fait de faux mouvement; que selon les mentions figurant dans la déclaration, la société a été informée de l’accident par un de ses préposés le 18 septembre 2017 à 16h15; que le certificat médical initial établi le 18 septembre 2017 fait état d’un lumbago aigu; que l’hypothèse formulée par l’employeur que la lésion a été provoquée par la hernie discale mentionnée sur le certificat médical du 4 novembre 2017 et/ou les contractures cervicales diagnostiquées le 20 octobre 2017, est manifestement insuffisante pour renverser la présomption d’imputabilité dont la caisse se prévaut à juste titre, le lumbago diagnostiqué le 18 septembre 2017 étant survenu au temps et au lieu de travail.
II- Sur l’imputation de la hernie discale L4L5 à l’accident du travail
Il résulte de la législation susvisée que la présomption d’imputabilité fait obligation à la caisse de prendre en charge au titre de la législation professionnelle et s’applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l’état pathologique antérieur aggravé par l’accident ou la maladie, jusqu’à la guérison complète ou la consolidation, et, par la suite, aux soins destinés à prévenir une aggravation.
En l’espèce, une hernie discale L4L5 a été diagnostiquée au mois de novembre 2017. Le 30 novembre 2017 le médecin conseil a conclu qu’elle était imputable à l’accident du travail survenu le 18 septembre 2017. La société qui se borne à se prévaloir de l’absence de lien entre les deux lésions sur la seule affirmation du médecin qu’elle a requis selon laquelle le mécanisme lésionnel du 18 septembre 2017, singulièrement le fait de se déchausser, n’est pas de nature à entraîner une hernie discale ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’absence de lien causal entre le travail et la lésion. Le jugement déféré sera confirmé dans ses dispositions qui déclarent opposable à l’employeur la décision de la caisse de prendre en charge la lésion survenue le 20 octobre 2017 au titre de la législation sur les risques professionnels car en lien avec l’accident initial.
III- Sur la prise en charge des arrêts de travail prescrits
La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’étend pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime, et il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire en établissant que les arrêts de travail et les soins prescrits en conséquence de l’accident résultent d’une cause totalement étrangère au travail, cause étrangère caractérisée par la démonstration que la longueur des soins et arrêts est la conséquence d’un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.
En l’espèce la salariée a bénéficié de prolongations successives de l’arrêt de travail initial et a été indemnisée pour les soins et arrêts de travail au titre de la législation professionnelle jusqu’à sa consolidation fixée au 7 juin 2018. Il en résulte que la caisse bénéficie de la présomption d’imputabilité desdits soins et arrêts
Pour confirmer la décision déférée dans ses dispositions qui déboutent la société de sa demande d’expertise et qui lui déclarent opposable la décision de la caisse de prendre en charge les arrêts de travail délivrés et les soins prescrits ensuite de l’accident de travail survenu le 18 septembre 2017 au titre de la législation sur les risques professionnels , il suffira de rappeler que la durée, même apparemment longue des arrêts de travail, ne permet pas de présumer qu’ils ne sont pas la conséquence de l’accident du travail, peu important l’absence de séquelles indemnisables; que l’hypothèse formulée par l’employeur de l’existence d’un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte n’est aucument étayée; que la société ne justifie ainsi d’aucun élément objectif permettant d’établir que les soins prescrits et les arrêts de travail délivrés ont pour origine exclusive un état pathologique preéxistant; qu’il n’appartient pas à la Cour de suppléer la carence de l’employeur dans l’administration de la preuve.
IV- Sur les dépens et les frais irrépétibles
La décision déférée mérite confirmation dans ses dispositions qui condamnent la société aux dépens.
La société, qui succombe devant la Cour, supportera les dépens d’appel.