AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/02363 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M6DK
Société SUEZ RR IWS CHEMICALS FRANCE
C/
[I]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 18 Février 2020
RG : F18/02795
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 26 AVRIL 2023
APPELANTE :
Société SUEZ RR IWS CHEMICALS FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Florian GROBON de la SELARL ELECTA JURIS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Laetitia LOPEZ, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[O] [I]
né le 31 Août 1966 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Frédéric LALLIARD de la SELARL BENOIT – LALLIARD – ROUANET, avocat au barreau de LYON substitué par Me Charlotte AUGROS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Février 2023
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [I] est entré au service de la société LABO SERVICE à compter du 30 décembre 2000, suite à un contrat a durée déterminée en date du 9 octobre 2000, en qualité d’opérateur cariste au coefficient 130 avenant 1 Groupe 1 de la Convention Collective de la Chimie.
Au dernier état de son emploi, M. [I] avait la qualification d’Opérateur Polyvalent, Classification Ouvrier, Coefficient 190 de la Convention Collective applicable moyennant une rémunération mensuelle brute de base de 1 681,68 € outre prime d’ancienneté et prime de douche.
La relation de travail s’est poursuivie avec la société STIT REKEM, suite à la fusion entre les société LABO SERVICE et TERIS SPECIALITE.
La société SITA REKEM est devenue le 1er juillet 2016 la société SUEZ RR IWS CHEMICALS France, par changement de dénomination.
Par courrier du 31 mars 2017, la société SUEZ RR IWS CHEMICALS France a mis à pied à titre conservatoire et a convoqué M. [D] [I] à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 11 avril 2017.
Par lettre du 19 avril 2017, la société SUEZ RR IWS CHEMICALS France a notifié à M. [I] son licenciement pour faute grave.
Le 17 septembre 2018, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de LYON.
Par jugement du 18 février 2020, le conseil de prud’hommes a :
dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse
condamné la société SUEZ RR IWS CHEMICALS France à payer à M. [I]
La somme de 11 081,74 euros à titre d’indemnité de licenciement
La somme de 3 719,82 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
La somme de 371,98 euros pour congés payés afférents
La somme de 22 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La somme de 1 894,86 euros à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire outre le somme de 189,48 euros pour congés payés afférents
condamné la société SUEZ RR IWS CHEMICALS France à payer à M. [I] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
condamné la société SUEZ RR IWS CHEMICALS France aux dépens.
Le 7 avril 2020, la société SUEZ RR IWS CHEMICALS France a fait appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 7 juillet 2020, la SAS SUEZ RR IWS CHEMICALS France demande à la cour de :
Infirmer en toutes ses dispositions le jugement
Et statuant de nouveau,
Débouter Monsieur [I] de l’intégralité de ses demandes et très subsidiairement les ramener à de plus justes proportions, sans pouvoir dépasser trois mois de salaires, soit la somme de 5 070 euros.
Condamner M. [I] à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions notifiées le 5 octobre 2020, M. [O] [I] demande à la cour de :
confirmer le jugement dans son intégralité.
Y ajoutant :
condamner la société SUEZ à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.
SUR CE,
Sur le licenciement :
La société SUEZ RR IWS CHEMICALS France fait valoir :
que le premier grief est établi par l’attestation de M. [H], chef d’atelier ;
que, lors de son audition devant le conseil de prud’hommes, le témoin n’a pas repris les termes grossiers employés par M. [I] mais a confirmé que celui-ci avait indiqué qu’il allait se mettre en arrêt de travail ou causer un accident du travail ;
que menacer de se mettre en arrêt de travail ou provoquer un accident du travail tout en ajoutant que l’on cherche à « niquer la société » ne relève pas du droit d’expression du salarié
que M. [I] a déjà été sanctionné, le 24 juin 2015, pour avoir refusé de communiquer avec son supérieur hiérarchique
que le second grief est établi par l’attestation de M. [B] [V], intérimaire
que le conseil de prud’hommes n’a pas retenu cette attestation car ce témoin n’a pas comparu à l’audition fixée le 10 décembre 2019, faute pour le greffe d’avoir pu le convoquer
que le témoignage de M. [V] ne fait que confirmer celui de M. [H]
M. [I] réplique :
que les propos excessifs d’un salarié doivent être appréciés dans le cadre de son environnement de travail :
que les faits du 30 mars 2017 s’inscrivent dans le contexte d’un litige sur la rémunération et ne peuvent revêtir un caractère fautif ;
qu’il ne s’est rendu coupable d’aucune violence physique ;
que lorsqu’elle l’a entendu, la juridiction prud’homale a constaté des divergences entre les propos de M. [H] et le contenu de son attestation ;
que le second grief ne repose que sur l’attestation de M. [V] qui n’a pas voulu se présenter devant le conseil de prud’hommes lorsqu’il a été convoqué pour témoigner.
***
La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, pendant la durée du préavis. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.
La société SUEZ RR IWS CHEMICALS France reproche à M. [I]
1/ d’avoir contrevenu aux dispositions du règlement intérieur en exprimant son insatisfaction quant à sa rémunération et avoir déclaré qu’il allait consulter son médecin pour obtenir un arrêt de travail, ou qu’il allait « niquer la société » en étant impliqué dans un accident du travail,
Elle verse aux débats :
Une attestation, en date du 5 avril 2017, de M. [F] [H], responsable des ateliers, qui déclare « le jeudi 30 mars à 7 heures (prise de poste) [O] [I] me tend son bulletin de salaire en disant « il me manque pas quelque chose ‘ ». Je regarde son bulletin de salaire et lui demande le problème. Il se plaint que son salaire n’est pas suffisant, qu’il n’a pas été augmenté. Il tient un discours comme quoi il allait prendre exemple sur [Y] [E], que s’il fallait, il irait voir son médecin pour se mettre en arrêt, ou mieux qu’il chercherait à « niquer la société » en étant impliqué dans un accident du travail.[‘] »
Lorsqu’il a été entendu, le 10 décembre 2019, par la juridiction prud’homale, M. [H] a déclaré « ‘il m’a montré sa fiche de paie en me demandant s’il y avait un problème. Je lui ai dit qu’il n’y en avait pas. Le problème c’est la non augmentation, et qu’il n’en avait pas et qu’il allait se mettre en arrêt de travail ou causer un accident du travail dont il serait le blessé ».
Il n’a pas déclaré que M. [I] avait dit qu’il allait « niquer la société », néanmoins, il a été entendu plus de deux ans et demi après les événements décrits ; son témoignage est donc moins précis que son attestation. Il s’est souvenu de l’essentiel de l’échange : M. [I] s’est plaint du niveau de sa rémunération (ce qui ne peut être reproché au salarié) puis a annoncé son intention de se mettre en arrêt maladie ou de causer un accident du travail.
Le grief est établi.
2/ d’avoir glissé son pied sous l’une des roues du chariot élévateur que M. [V] s’apprêtait à faire reculer
L’employeur verse aux débats :
l’attestation de M. [H], qui déclare que « le 31 mars à 12H00, [B] [V] intérimaire m’apprend que [O] [I] a tenté de mettre son pied volontairement sous une roue d’un chariot élévateur lorsqu’il a enclenché la marche arrière. [B] [V] lors du contrôle visuel s’aperçoit que [O] [I] a glissé son pied sous la roue et qu’il l’a retiré de la trajectoire après un regard appuyé de M. [V] » ;
l’attestation de M. [V], en date du 5 avril 2017 qui déclare « le jeudi 30 mars à 9H30, je suis venu récupérer un chariot qui se trouvait au niveau du poste de tri réception OS, je demande à [O] [I] si je peux prendre le chariot élévateur. La réponse étant affirmative, je récupère le chariot puis enclenche la marche arrière, l’avertisseur de recul démarre. Avant de desserrer le frein à main, je contrôle autour de moi que personne ne se trouve sur la trajectoire. En regardant à l’arrière par la droite, j’ai vu [O] [I] glisser son pied sous la roue avant droite, je le fixe du regard quelques secondes puis il retire son pied. Le lendemain 31 mars à 12h00, je préviens mon responsable du problème rencontré »
Lors de son audition devant le conseil de prud’hommes, M. [H] a déclaré « un jour un intérimaire, [B] [V], venait récupérer un chariot élévateur » puis interrogé par le président du conseil de prud’homme sur la date de l’événement, a pu poursuivre « quelques semaines après, je ne me souviens pas de la date. M. [I] aurait tenté de mettre son pied sous une roue d’un chariot élévateur ».
M. [B] [V] n’a pas comparu devant le conseil de prud’hommes, devant lequel il n’a pas pu être convoqué utilement puisque les deux convocations adressées sont revenues avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse ».
L’attestation qu’il a établie ne saurait être écartée au motif de son absence.
Le grief est établi par les attestations concordantes dans un temps voisin des faits.
Il ressort de l’attestation de M. [H] que M. [I] a annoncé, le 30 mars 2017, vers 7h00 son intention d’être impliqué dans un accident du travail et de celle de M. [V] qu’il a effectivement cherché à le faire, le même jour, vers 9h30 puis s’est ravisé lorsqu’il a croisé le regard de son collègue.
Ce comportement rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, pendant la durée du préavis.
En effet, M. [I] avait déjà été sanctionné pour des manquements aux règles de sécurité, le 24 juin 2015, pour avoir, le 28 mai 2015, manipulé des conteneurs de déchets chimiques à l’aide d’un charriot élévateur, alors qu’il était au téléphone, sans ceinture de sécurité et en train d’effectuer une marche arrière.
Le comportement adopté le 30 mars 2017 aurait pu, sans la vigilance de M. [V], causer un accident du travail, occasionner des blessures à M. [I] et engager la responsabilité pénale de l’employeur.
Les attestations versées aux débats par M. [I], selon lesquelles celui-ci aurait subi « plusieurs harcèlements » par ses supérieurs et que les « accusations » portées contre M. [I] sont fausses ne sont pas circonstanciées ni étayées et ne sont pas de nature à mettre en doute les attestations de M. [V] et [H].
Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les autres demandes :
M. [D] [I], qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
L’équité ne commande pas qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SAS SUEZ RR IWS CHEMICALS FRANCE.